Choisit-on ses héros ?
Une certitude, Eddie Van Halen s'est imposé à moi comme une absolue évidence ce jour de 1978 où, dans la voiture avec mon père, je suis resté abasourdi par ce que nous venions d'entendre sur l'auto-radio. Je me rappelle d'une déflagration sonique inédite, d'une avalanche de notes dont la combinaison était totalement nouvelle.
Les guitaristes et les soli, on en connaissait un rayon, on ne jurait que par ça à la maison. Mais là, nous étions totalement soufflés par cette démonstration de virtuosité.
La guitare réinventée.
On est resté béats, garés dans cette rue du 11e arrondissement parisien, à essayer de comprendre ce qui nous arrivait, à deviner si le gars dont on ne connaissait pas encore le nom avait plus de deux mains.
En cela, il faut remercier Bernard Lenoir qui avait choisi sur France Inter le titre "Eruption" en guise de générique de l'émission "Feedback".
Le premier album, en cassette pour ma part, a été usé jusqu'à la corde. Cela tenait autant au fait que ce disque était une bombe d'énergie, de mélodie, de pur hard rock, de swing, de show, de sexualité assumée, d'humour, de jovialité, de look et d'attitude, qu'au fait que personne ne comprenant tout de suite la technique d'Eddie et ne possédant pas en plus la puissance, la sonorité et la production du groupe à domicile, l'exercice était impossible à imiter chez soi, reproduire, approcher.
Aujourd'hui, tout cela paraît évident, mais en 1978, personne ne jouait comme ça.
Les vidéos du groupe circulaient à peine à la télé et les magazines spécialisés guitare en France en étaient aux tablatures de Marcel Dadi.
Alors on passait, et repassait, et repassait encore et encore par fractions ces fulgurances indéchiffrables.
Ensuite, VAN HALEN, d'album en album et même malgré quelques coups de mou par instant dans les compositions, s'est imposé comme un quartette unique en son genre, quasi inimitable durant de longues années.
Je ne comprends toujours pas comment j'ai pu louper les dates parisiennes du groupe entre 78 et 80. Incompréhensible avec le recul, malgré cette passion pour VAN HALEN et ma fréquentation croissante des salles. Mais c'est comme ça, il a fallu se contenter de quelques misérables passages de clips, de saliver sur une portion tronquée de l'US Festival 83 et de se rabattre sur des bootlegs au son douteux en tape trading.
La deuxième claque qui me revient à l'esprit, c'est ce disque avec le chérubin qui fume. Nous étions mi-janvier 1984, dans une pièce d'un pavillon de Samois-sur-Seine, aménagée en cabine studio pour la radio libre où j'animais l'émission Countdown avec mon partenaire des ondes Philippe. Et nous avions un sacré dilemme : sur ce vinyle intitulé "1984", on ne savait pas quel titre jouer.
Pas parce que l'album comportait des synthés - ça, ça agaçait beaucoup la frange dure - mais parce qu'il n'y avait tout bonnement rien à jeter.
"Hot For Teacher", "Panama", "I'll Wait", "Drop Dead Legs" et évidemment "Jump" pour ne citer que les titres les plus évidents hissaient ce disque instantanément au rang de classique.
Juin 1988, dans la fournaise des "Monsters of Rock" américains que je relate dans le numéro collector de HARD FORCE, paru en août dernier : je ne sais pas comment je m'étais débrouillé, mais me voilà passant deux-tiers du concert dans la fosse photographes du Giants Stadium, pile en face d'Eddie, sans que personne ne vienne m'en déloger. Certes, ce n'était pas le VAN HALEN originel, certes le répertoire était très mainstream radiophonique et avait perdu de l'esprit Pasadena des débuts, mais entre nous… vous seriez allés prendre une bière à la buvette plutôt ?
2012. Depuis le rabibochage avec David Lee Roth et cet album de très bonne facture, "A Different Kind of Truth", on en avait tous rêvé de cette venue live en Europe. On a compris, malheureusement, avec le temps, que c'était un vain espoir et ça nous laisse désormais un goût amer d'inachevé.
Je regarde les hommages ce soir qui proviennent de partout dans le monde et en m'enfonçant dans la nuit, je commence à réaliser combien, ces dernières années, on avait pu oublier à quel point cet artiste a changé la face de la musique moderne, l'approche d'un instrument.
Les raccourcis simplistes pousseraient à dire "à l'instar de Hendrix".
Oui, il faut admettre qu'il a été l'une des révolutions fondamentales du rock, remarquable, parce que plus tardive que toutes celles des années 60.
Non pas que j'en doutais, mais les témoignages admiratifs, émouvants, affectueux, amicaux et respectueux qui fusent de toutes parts, confortent le rang que ceux de ma génération comptaient réserver à l'homme, lorsque l'heure viendrait.
En souvenir du logo VH et de ses petites ailes que nous dessinions sur nos cahiers ou nos sacs US et de tous ces soli magnifiques que nous avons voulu t'emprunter sans jamais t'égaler.
Salut Eddie et merci !