21 octobre 2020, 18:40

ROLLING STONES

• "Steel Wheels Live"

Album : Steel Wheels Live

Est-ce réellement si incongru de parler des ROLLING STONES ici, dans HARD FORCE ? Come on : sans les STONES, pas de YARDBIRDS, et donc pas de LED ZEPPELIN, pas d'AEROSMITH, et pas de GUNS N’ ROSES. C’est un peu la théorie de l’évolution, du darwinisme musical – et il y a un moment où, entre deux growls et deux riffs sous-accordés, il va falloir rendre à César.

Bon, pour être complètement honnête, on vous présente cet énième live dans la série des éditions « from the Vault » (toutes les archives live du groupe depuis peu révélées) parce qu’il renferme un évènement qui devrait plaire à certains. Certes, nous n’avons pas chroniqué tous les concerts des tournées des stades depuis 1981 ainsi parus en combos CD+DVD chez Eagle Rock, pas plus que ceux, incroyablement jouissifs, des arènes des années 70, et encore moins les enregistrements BBC des années 60. Pourtant, croyez-moi, nous les collectionnons et les chérissons tous car, chut, c’est un secret : je suis un fan des Stones. 

Alors pourquoi choisir aujourd’hui ce « Steel Wheels Live », tout nouveau produit qui sort quasiment à quelques semaines près en même temps que la réédition pharaonique de « Goat’s Head Soup » (1973, "Angie", tout ça, et un inédit avec Jimmy Page, tiens aussi), une des boxes les plus attendues et excitantes de l’année, ne serait-ce que pour la présence enfin véritablement officielle du fameux live de Bruxelles ? 

Eh bien on pourrait énumérer un grand nombre de raisons, toutes plus évidentes pour les inconditionnels des Stones : déjà, que ce Steel Wheels / Urban Jungle Tour, s'il suit la parution de l’album du même nom, franchement pas inoubliable, suit une longue période de carence scénique pour les anglais : cela faisait sept ans qu’ils n’avaient pas engagé de monumentale tournée mondiale, la faute à des albums trahissant de grosse pannes d’inspiration (« Under Cover » en 83, et « Dirty Work » en 86), et à des velléités grosses comme leurs égos de vouloir s’émanciper en solo, Jagger le premier. Le dernier hit-single des Stones remonte à 1981 : c’est 'Start Me Up', vraiment leur dernier tube (à jamais d’ailleurs) – pourtant, avec « Steel Wheels », la tentation de revenir à une formule plus rock, à la fois actuelle et respectueuse de leur héritage montre un groupe qui essaie de se remettre artistiquement en selle. Et de le prouver sur les planches : la tournée Steel Wheels / Urban Jungle dure un an, de l’été 89 à l’été 90, et parcourt le monde entier, réinstallant les Stones comme les géants définitifs du rock, sur une scène conçue à leur image, avec envergure, instaurant à jamais l’escalade dans la démesure, depuis reprise par les AC/DC, KISS, RAMMSTEIN et autres. Reste que trente ans après, visionner un tel document est impressionnant de par cette grandeur crânement exposée, alors inédite : combien de dizaines de mètres de long fait cette foutue scène ???

Au tournant de la dernière décennie du dernier millénaire, les STONES veulent rajeunir leur image : ils ont déjà bientôt trente ans de carrière au compteur, mais sont encore verts pour jouer des épaules parmi la foule de nouveaux prétendants – et, relativement honnête, Jagger n’a jamais caché son admiration pour ces poulains plus ou moins métissés qui sont à la fois ses héritiers et sa relève, encore plus enthousiaste lorsque ceux-ci innovent et brassent des sons aussi novateurs, urbains et exotiques à la fois (Urban Jungle, donc ?). C’est ainsi qu’entre 1989 et 1990, sur des dizaines et des dizaines de dates (115 tout compte fait), ce sont tour à tour ses protégés LIVING COLOUR puis DAN REED NETWORK, deux pionniers de la fusion grand public, qui font office de première partie des stadiums – puis les écossais GUN pour la partie européenne du marathon, de mai à août 1990.

Mais en guise de jeunes pistoleros, ce sont les GUNS N’ ROSES qui font sensation en incarnant les premières parties de luxe pour quatre dates seulement, chez eux même à Los Angeles en octobre 1989, le groupe écumant toutes les manifestations possibles pour prolonger le raz-de-marée médiatique qui enfle depuis la sortie de « Appetite For Destruction » deux ans plus tôt – et plus encore depuis la sortie du single "Sweet Child O’Mine" à l’été 88, qui les a enfin propulsé au sommet. 

Et c’est donc deux mois après, les 17, 19 et 20 décembre 1989, que les STONES investissent pour trois soirs la plus petite salle de la tournée : le Convention Center d’Atlantic City (seulement 16000 sièges) qui les accueille pour les trois dernières soirées de l’année et du leg américain, l’une d’entre elles étant immortalisée pour être retransmise en direct à la télévision, en pay-per-view, et donc capté par une grosse équipe technique – une pratique alors habituelle à l’époque, dont on bénéficie des archives dans cette collection. Ce qui explique donc la présence de quelques bonus alléchants au menu de ce live, déjà bien fourni question set-list, entre classiques, pépites dépoussiérées, et nouveautés des années 80. Des invités de luxe donc, à l’image de ce qu’est devenu le groupe à ce stade de sa carrière : outre la légende John Lee Hooker, pionnier du blues urbain de Chicago, c’est leur vieil ami Eric Clapton que l’on retrouve pour deux morceaux. 

Et la grosse grosse surprise pour nous, c’est bien la présence d’Axl Rose et d’Izzy Stradlin de GUNS N’ ROSES, le temps d’un boeuf monstre – déjà immortalisé par cette fameuse photo iconique des deux chanteurs, face à face, de profil, la grande gueule ouverte de l’un, chemise bleue, cheveux courts, quadra athlétique, et l’ensemble de cuir, Perfecto customisé squelette, t-shirt Exile On Main Street pour l’occasion, casquette et bandana pour l’autre – autre sorte de grande gueule qui ne cache pas ici son plaisir de partager les lignes de chant d’un certain "Salt Of The Earth", pépite définitive et dernier morceau du chef d’oeuvre « Beggars Banquet » en 1968.

Si Izzy Stradlin, fils taciturne et bâtard de Ronnie Wood ET de Keith Richards reste dans son coin, certainement trop timide pour aller confronter sa Les Paul aux Strato' et Telecaster de ses pères spirituels, Axl, lui, roule et ondule sur scène à sa manière, un léger sourire d’auto-Satisfaction au coin des lèvres. Axl Rose, alors l’une des stars montantes du rock’n’roll vers qui tous les regards se tournent alors, et dont l’introduction sur scène par Jagger suscite une clameur de la foule qui en dit long sur leur nouvelle popularité à tous. Popularité qui aurait pu être mise à mal dès le premier soir des quatre, en octobre, où Axl s’était d’abord permis son fameux discours aux limites de la xénophobie avant d’entamer le très controversé "One In A Million" (après que LIVING COLOUR ait joué son set d’ouverture...), et surtout son petit speech de défiance vis-à-vis de certains de ses collègues, Slash en ligne de mire, en fustigeant « ceux qui dansent encore avec Mr. Brownstone », incriminant ainsi la dépendance du guitariste à l’héroïne, et menaçant alors de quitter le groupe. Tout cela dans le stade rempli du Los Angeles Mémorial Coliseum : des tensions légendaires qui ont pavé l’histoire du rock, un règlement de compte alors que les GUNS sont les invités très très spéciaux des STONES – et donc déjà fidèles à leur image de sales morveux gâtés, irrespectueux et revanchards.

Deux mois plus tard, le même Slash, Duff et Steven ne sont pas conviés ; mais Axl Rose rêve de plus de grandeur encore en foulant pendant cinq minutes les 70 mètres (donc) de cette immense tribune auprès de son héros et modèle — on en comprend peut-être encore mieux le circus de la tournée suivante, leur Use Your Illusion Tour, tout aussi impressionnant, avec son lot de choristes et de cuivres en renfort d’un nouveau répertoire de plus en plus stonien. Tout était déjà écrit au long des deux heures exemplaires de ce set, qui propulsait l’industrie de l’entertainment dans des sphères plus folles encore : la formule était brevetée, Axl n’avait plus qu’à l’exploiter. 

Alors voilà, c’est peut-être donc ce soir-là, en décembre 1989, à Atlantic City, sorte de Las Vegas east-coast par dépit, que Axl Rose a eu une vision sur scène : de définitivement faire de ses GUNS N’ ROSES, alors "le plus dangereux", le plus grand groupe du monde, et ce directement en apprenant auprès des plus grands – ce qui reste encore une certitude.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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