23 novembre 2020, 20:07

KILLER BE KILLED

• "Reluctant Hero"

Album : Reluctant Hero

…qui semble donc être LE disque rugueux de la fin de l’année. Qu’aviez-vous d’autre en tête ? Et quand bien même, soyons sérieux : KILLER BE KILLED enterre toute possibilité de compétition en cette fin 2020. 

Mais en théorie, une telle réussite artistique n’est pas anodine : on a toujours trop tendance à ne voir dans des supergroupes que la somme des individualités qui les composent. Sur le papier, depuis que de telles initiatives se mettent en branle dans les cercles fermés du rock'n'roll, soit la fin des années 60, il n’y en a pas non plus trente-six mille qui ont réellement survécu plus longtemps que l’illusoire effet de buzz instantané. Tout le monde n’est pas CREAM, ça se saurait, et encore moins dans le milieu du metal. Un univers qui, certes, encourage les projets annexes entre musiciens, mais rarement à un point où l’on peut parler ainsi de "supergroupe" si l’on s’en tient à sa définition première, et surtout à sa valeur – soit une équation résultant d’une addition de x artistes ayant chacun une personnalité telle et une créativité hors du commun, et qui ensemble, génère une nouvelle entité aussi impressionnante qu’inédite, et surtout originale, musicalement parlant. CHICKENFOOT, HOLLYWOOD VAMPIRES ou encore VELVET REVOLVER, oui c’est sympathique voire même jouissif de manière récréative, mais cela est-il fondamentalement innovant ? Je pose la question. 

Dans le metal extrême (car nous en pénétrons bien les sphères ici), le constat est identique : excepté le pedigree de certaines formations à géométrie variable et aussi exceptionnelles en terme de curriculum vitae et de savoir-faire, on ne peut qu’applaudir des trucs comme BLOODBATH par exemple – mais qui dans ce cas ne fait que prolonger un plaisir collectif et la célébration d’une certaine école. 

Bien évidemment avions-nous été bluffés par le premier album de KILLER BE KILLED en 2014, oui il y a déjà six ans – mais nous n’en imaginions pas pour autant une suite, connaissant surtout les agendas complexes et incompatibles de ses protagonistes, tous des cadors dans leur genre. Rappelons-en la teneur : le batteur de CONVERGE Ben Koller (depuis 2015), le bassiste et chanteur de MASTODON Troy Sanders, le chanteur de feu-THE DILLINGER ESCAPE PLAN Greg Puciato, et le chanteur-guitariste de SOULFLY et ex-SEPULTURA Max Cavalera, qui avait le premier initié l’entreprise. Si l’on sait que ce dernier était déjà adepte de collaborations extérieures (non pas de supergroupes mais de "simples" side-projects) au sein de formations éphémères ou plus pérennes et déjà assurément aventureuses (NAILBOMB, CAVALERA CONSPIRACY), la présence du brésilien reste certes le gage le plus aguicheur en terme d’image, l’homme ayant tant fait pour le metal depuis plus de trente ans. Si sa patte, son approche de la rythmique et son grain de chant si reconnaissables en font l’une des icônes définitives du genre, il est ainsi associé à trois musiciens tout aussi impressionnants en terme de dextérité, d’imagination, d’audace et de dépassement des limites, dont il serait criminel de sous-estimer le talent : à vrai dire, oui ici la fameuse équation prend tout son sens, même si a priori, si l’on décline les genres journalistiques de chacun d’entre eux, individuellement dans leur propre groupe, il y a de quoi se taper des journées entières de migraine rien qu’à évoquer le potentiel d’une telle copulation à quatre – d’autant que pour certains, tels Koller ici, il cumule les jobs dans bon nombre d’autres groupes. Thrash-metal pour l’un, post-hardcore, mathcore, metalcore, ou encore prog-thrash-stoner-heavy-metal pour les autres, les épithètes pour qualifier ce que l’on imaginerait de KILLER BE KILLED pourraient lui être fatal avant même d’en écouter la moindre triple croche. 

Mais ce qui s’avère le plus extraordinaire, au-delà de l’art aussi naturel de pouvoir composer de tels morceaux à huit mains, c’est l’apparente simplicité de leurs compositions, aussi intenses qu’apparemment accessibles. Ne pas comprendre "radiophoniques" par "accessibles" : nous restons sur un terreau des plus virils. Mais comment ne pas évoquer GOJIRA à l’entame in-your-fuckin’-face de "Deconstructing Self-Destruction" qui semble avancer comme un bulldozer en empruntant la dynamique sur quadruple-pistons du "Backbone" de nos frenchies préférés ??? Vous le comprendrez donc très vite : en terme de rythmique, le travail opéré par ces quatre amis est époustouflant, tant en terme de technicité que de puissance, sans pour autant reposer sur des structures polyrithmiques : KILLER BE KILLED n’est PAS DILLINGER ESCAPE PLAN, et encore moins MESHUGGAH. Comprendre qu’au-delà de l’évidente musicalité, le groupe a tout entrepris pour faire simple : des compositions habitées de passages sophistiqués mais qui convergent avant tout vers une recherche de l’efficacité à tout prix, dans un format, euh, "chanson". Hey, non seulement Max Cavalera n’a-t-il pas encore appris à utiliser plus de quatre cordes sur sa guitare rythmique, mais ce que l’on retient de prime abord dans ce nouvel album inespéré de KILLER BE KILLED, c’est la sensation d’écouter du MASTODON plus concis, débarrassé de toute sa complexité, et donc abordable, d’autant que la voix de Troy Sanders est peut-être celle qui se retrouve la plus éloquente ici. Si Koller (dont il s’agit ici de la première participation sur disque, succédant en studio à Dave Elitch, alors connu chez THE MARS VOLTA) reste cantonné à son kit, bien affairé qu’il est, KILLER BE KILLED repose, comme MASTODON d’ailleurs, sur la complémentarité de trois grains de voix. Et Sanders est celui qui impressionne le plus ; Puciato verse davantage dans les mélodies imparables, tandis que Cavalera n’intervient que ponctuellement et surtout à bon escient : soyons francs, si parfois ses parties vocales peuvent à terme lasser au sein de ses derniers projets personnels, ici est-il franchement très impressionnant, tant ses interventions, judicieuses, décuplent l’effet de violence recherchée, et doppe encore plus les contrastes entre chacun des protagonistes.

De contrastes, il en est bien question tout au long de ce disque pensé, écrit et réalisé comme l'assemblage inédit de ces quatre personnalités hors du commun et dont l’association est donc exemplaire – en particulier sur l’extraordinaire "Inner Calm From Outer Storms", modèle de nuances de charge frontale, et d’équilibre entre les textures vocales. Contrastes donc : « Reluctant Hero », si à nouveau il rappelle surtout MASTODON à chaque écoute, s’affine davantage à chaque redécouverte et offre petit à petit ses secrets aux auditeurs attentifs. Bien sûr, certaines compos révèlent des inclinaisons plus appuyées que d’autres : "Animus" (une minute !) et surtout "Filthy Vagabond" sont des salves punk-hardcore fort véloces et old-school, et dont les choeurs nourris rappellent les MISFITS ; tandis que l’envoûtant "From A Crowded Wound" réunit un riff central aussi basique qu’incisif, un pattern de batterie quasi tribal, et les vocaux aériens de Puciato peuvent évoquer ALICE IN CHAINS, pour un résultat à mi chemin entre la tempête (encore une fois, les interventions ponctuelles de Cavalera sur son acmé restent redoutables !!!) et une sorte de metal progressif, n’ayons pas peur des mots, où les mélodies limpides brillent par l’authenticité des émotions – assurément l’un des sommets de l’album. Des interventions lumineuses qui embellissent "The Great Purge", et qui vont plus loin encore à travers le final "Reluctant Hero", conclusion stellaire de l’opus, aux limites de la cold-wave, introspectif et dont la montée en puissance risque de vous nouer la gorge – déjà mise à l’épreuve après autant de tentatives de hurlements. 

Enfin un mot sur la production mastodonte de Josh Wilbur, à nouveau sollicité : on a beau écouter TRES fort son travail sur la discographie de LAMB OF GOD ou de GOJIRA, il semble s’être ici surpassé. La technologie a-t-elle récemment bénéficié de nouvelles avancées ? Je n’en sais foutre rien mais ce « Reluctant Hero » est un monument sonique à signaler, encore plus saisissant lorsqu’est ainsi conjuguée la force de tels individus : écoutez-moi ce "Comfort From Nothing" strictement imparable, ou bien ce "Dream Gone Bad" à l’inspiration très KILLING JOKE, et l’on en reparle.

Du coup ça m’emmerde un peu, parce que j’étais persuadé que le MR. BUNGLE serait mon disque de 2020. Moralité : toujours attendre la fin de l’année, aussi merveilleuse soit-elle, pour se prononcer définitivement.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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