22 janvier 2021, 17:50

WARDRUNA

• Interview Einar Selvik

Le monde viking a le vent en poupe ces derniers temps : séries, jeux vidéos, reconstitutions historiques, musique... Mais l'authenticité est un aspect parfois difficile à conserver. WARDRUNA est le groupe pionnier en matière de chants traditionnels nordiques et son leader Einar Selvik se place en conservateur des mythes et traditions de sa Norvège natale. Il nous présente le tout nouvel album « Kvitravn », son histoire et son sens profond mais revient aussi avec nous sur la conception de la Bande Originale du jeu vidéo Assassin's Creed Valhalla. Un homme engagé et dévoué à un art qui aurait pu se perdre.


Merci de prendre un peu de temps pour répondre à nos questions car tu sembles très occupé...
Tout le plaisir est pour moi ! Je suis occupé mais c'est chronique chez moi ! Je considère ça comme un problème de luxe ! Je ne me plains pas.

Tu as beaucoup de projets en cours, le premier étant la sortie du jeu vidéo "Assassin's Creed Valhalla" pour lequel tu as composé la musique. Comment as-tu vécu cette expérience ? Est-ce différent de la composition d'un album ?
Oui, les paramètres de départs sont différents ainsi que le format de la musique. Donc il faut prendre cela en compte lors de la composition. Toute la musique du jeu tourne autour de la tradition scaldique, de l'ancienne tradition poétique orale qui est au cœur de la tradition nordique. Les chansons sont donc très acoustiques ce qui correspond à ce que j'ai l'habitude de faire avec WARDRUNA. Mais avec WARDRUNA, je n'essaye pas de répliquer une musique d'une certaine période historique. Nos instruments vont de l'âge de pierre à l'âge de bronze et à l'époque viking, au Moyen-Âge et même intègrent des sonorités modernes. Alors que Assassin's Creed Valhalla est ancré dans une période de temps bien spécifique. Alors j'ai dû me focaliser sur cette époque pour l'utilisation d'instruments qui datent de ce moment bien particulier. C'est donc un cadre plus strict pour moi qu'habituellement. Mais c'est un défi aussi. Donc c'est intéressant.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de participer à ce projet ? Es-tu fan de jeux vidéos ou est-ce une façon de promouvoir ta culture ?
J'avais déjà été démarché pour des projets similaires avant mais pour différentes raisons, ce n'était pas le bon moment. Mais dès le début du projet Assassin's Creed, j'ai aimé le concept. Il était ambitieux à de nombreux points de vue, y compris au niveau de la musique. Je me suis rapidement rendu compte que mes idées correspondaient à ce qui était demandé pour le projet. Et j'aime bien me diversifier. Répéter toujours les mêmes choses ne me convient pas, je ne crois pas que ce soit sain. En sortant de ma zone de confort, je me sens vivant et j'apprends beaucoup. Cela me permet de grandir, dans mon art, mais aussi en tant que personne.

L'autre échéance est bien sûr aussi la sortie du nouvel album de WARDRUNA, « Kvitravn ». Peux-tu nous expliquer la symbolique de ce corbeau blanc ?
En fait, le corbeau lui-même est un symbole central dans la tradition nordique. Il permet de faire le lien entre ce monde et les autres mondes et il est aussi perçu comme un messager. Il est aussi l'incarnation animale de l'Esprit humain et de sa mémoire. Il y a donc déjà plein de significations pour l'animal en tant que tel. Mais en plus, le fait d'être blanc en fait quelque chose de sacré et pas seulement pour les Scandinaves. Les animaux blancs sont mondialement considérés comme sacrés ; dans de nombreuses cultures, que ce soient des éléphants blancs, des tigres blancs, des rennes blancs, des serpents blancs... On voit les corbeaux blancs dans de nombreuses cultures et ils représentent souvent une prophétie, un changement ou une illumination. Ils ont aussi une valeur spécifique dans le processus de guérison. J'ai trouvé que ce corbeau blanc était un très bon symbole pour faire le lien entre toutes les chansons de l'album. Il apporte un message de l'Autre Monde en quelque sorte. Il apporte une prophétie et dans ce cas, peut-être un espoir de changement.
 


​Les chansons des précédents albums portaient sur les runes et les anciens textes. Qu'en est-il des thèmes abordés dans « Kvitravn » ?
Je dirais qu'elles errent sur les mêmes chemins, dans les mêmes mondes. Dans la précédente trilogie, j'utilisais les runes comme des symboles et elles ont bien sûr de nombreux aspects que l'on peut expérimenter. Elles sont notre relation à la Nature et aux différentes traditions animistes. Avec « Kvitravn » je rentre plus dans les détails et j'y inclus des aspects peut-être plus humains. L'humain est au cœur de l'album, l'Humain dans la Nature et sa connexion au monde. Mais aussi la façon dont il se perçoit dans son environnement. La tradition nordique est peut-être plus complexe dans la façon dont on représente l'Homme. Il n'est pas simplement un corps et un esprit. Il comprend plus d'aspects compliqués et subtils. L'album essaye de rentrer dans au moins quelques-uns de ces concepts.

Et comment as-tu enregistré l'album ? As-tu récupéré des sons directement puisés de la nature comme pour les précédents titres ?
Oui, l'album suit le même concept créatif que les précédents. Ce sont les thèmes eux-mêmes qui définissent les besoins instrumentaux, le moment où j'enregistre, l'endroit où j'enregistre... Il y a donc des passages qui ont été enregistrés dehors et dans des endroits bien spécifiques. Tout a du sens. Même l'orchestration. Il y a des instruments que je n'avais jamais utilisés avant même si j'avais déjà travaillé avec des instruments de la même famille, du même type.

D'ailleurs en parlant d'instruments, comment les trouves-tu ? Est-ce que tu les fabriques toi-même ? As-tu un luthier expert qui t'aide ? Ce ne doit pas être facile vu leur spécificité.
Quand j'ai commencé WARDRUNA , personne ne connaissait vraiment les instruments que j'utilisais mais il y avait quand même quelques personnes qui pouvaient les fabriquer. Pour ceux que personne ne pouvait fabriquer, je les concevais moi-même. Ce fut un long processus de parler aux créateurs d'instruments, de visiter des musées, de dialoguer avec des archéologues... J'ai fait beaucoup de recherches, d'essais et d'erreurs je dois dire que j'ai conçu beaucoup d'instruments merdiques ! Mais aujourd'hui, l'intérêt a grandi pour ce genre d'instruments donc il y a de plus en plus de créateurs habiles qui les construisent efficacement. C'est une bonne chose, car moi je manque de plus en plus de temps pour les construire moi-même ! Donc aujourd'hui, des gens travaillent pour moi à la construction des instruments dont j'ai besoin.


Capture du clip "Kvitravn" (White Raven)


Comment expliques-tu cet engouement pour les instruments traditionnels mais aussi pour les anciennes mythologies et cultures ?
Je pense que pour beaucoup de gens, c'est une forme d'exutoire mais c'est aussi une façon de se reconnecter au monde grâce à une tradition différente et une époque différente. Je pense que dans nos sociétés occidentales, les gens manquent de nature et ils ressentent un profond manque. Le manque de Nature les renvoie vers la recherche de traditions naturalistes. De plus, ces traditions sont intemporelles et mondiales donc elles touchent tout le monde, tout le temps. En ce qui concerne la tradition nordique particulièrement, je pense qu'on a réussi à garder la transmission de notre culture et de nos valeurs. Elles sont donc toujours vivantes et actuelles. Cela les rend accessibles. Cela permet aux gens de faire le lien avec leur propre culture pré-chrétienne. Mais le manque de Nature me paraît être la raison la plus probable pour laquelle les gens reviennent vers des traditions et des religions anciennes.

Est-ce que tu penses en ce sens que la musique de WARDRUNA permet de rendre la culture norvégienne authentique accessible pour les gens ?
Oui, bien que mon but ne soit pas la promotion de notre musique, je pense que nous avons réussi à créer un lien. Concernant l'authenticité, je ne revendique pas de recréer la musique d'une époque ancienne. Je me base sur des recherches solides mais je ne peux jamais être sûr de l'authenticité de ce que je crée. Mon travail a été reconnu et je donne maintenant des conférences en musicologie donc je pense être légitime mais les traditions étant majoritairement orales, il est difficile de dire si je suis toujours dans le vrai, le précis. En tous cas, je me rapproche au plus près de ce qui pouvait se faire à l'époque.

Et tu es maintenant un expert ou tu continues à faire des recherches ?
Non, loin de là ! Je suis toujours en train de chercher. Notre histoire est si vaste qu'il y a toujours des choses nouvelles qui sont trouvées. J'ai toujours besoin de me poser sur des bases solides quand j'écris des chansons. Heureusement, à l'époque médiévale, il y a quelques textes qui ont été écrits à propos des différents aspects de la tradition et cela m'aide beaucoup. C'est un vrai puzzle. Tu ne peux pas te fier uniquement aux écrits. Il faut aussi aller vers l'archéologie. Heureusement, les instruments de musique font partie de la tradition encore vivante donc pour certains d'entre eux, on est à peu près sûrs de leur tonalité qui n'a pas évolué ces 1500 dernières années on va dire. On peut aussi trouver des indices dans les poèmes. Il faut aussi se baser sur la pratique des instruments, ce qui est peut-être ma qualité. Je sais jouer de différents instruments donc je sais ce qui est possible ou non. Et lier la connaissance à la pratique permet de créer dans la vraie vie des instruments imaginés à partir de sources archéologiques. Et qui fonctionnent vraiment. Parce que les historiens ont tendance a oublié ce côté pratique, essentiel pourtant.


© Wardruna - DR


Revenons un peu à l'album. Il y a 11 titres, tous avec des atmosphères différentes. Est-ce qu'il faut les considérer dans leur ensemble ou chaque morceau est-il indépendant des autres ?
C'est difficile à dire. Certains titres peuvent être combinés les uns aux autres mais d'autres ont vraiment une essence propre. Chacun peut par contre se les approprier et en faire ce qu'il en veut. Donc tout est possible.

Il y a une chanson que je trouve vraiment spéciale. Elle s'appelle "Ni" et c'est la neuvième piste de l'album. Tu peux nous en dire plus sur ce chiffre "Neuf" ?
C'est une chanson de guérison. Comme tu le dis, Ni veut dire Neuf et c'est un chiffre très symbolique, non seulement dans la tradition norvégienne mais aussi dans de nombreuses cultures dans le monde entier. Il est utilisé en médecine et en sorcellerie et cette chanson vous emporte dans toutes les fonctions de guérison de ce nombre neuf.

Qu'est-ce qui te donne envie de composer des chansons ? As-tu besoin d'un état d'esprit particulier ou l'inspiration te vient-elle n'importe où et n'importe quand ?
Je compose souvent quand je pars me promener dans la Nature, c'est elle ma Muse principalement. Mais un instrument, une poésie, quelques mots peuvent aussi provoquer l'inspiration chez moi. Mais parfois un thème fort me vient à l'esprit et je ne peux plus m'en défaire jusqu'à l'écriture d'une chanson. Des fois, la composition est facile et rapide mais des fois, elle prend nettement plus de temps. Il faut juste être patient. Certaines chansons prennent des années à écrire, d'autres sont finies en une journée. Cela dépend.

Es-tu le seul compositeur dans WARDRUNA ?
Oui, je suis le compositeur principal mais je travaille beaucoup avec Lindy-Fay Hella qui est notre chanteuse depuis le premier album et qui a un véritable impact créatif sur certains titres. C'est une force de la Nature et elle a une approche unique ainsi qu'une voix unique. Elle est essentielle au processus d'écriture et apporte beaucoup à la direction que les titres doivent prendre. Donc même si je suis en effet celui qui compose, je ne serai rien sans sa magie artistique.

Et qu'en est-il de l'esthétique de la pochette. Elle est simple avec votre logo en blanc. C'est toi qui choisis le côté visuel de vos albums ?
Oui, je fais tout moi-même. Et cela représente bien le concept de l'album. Il est pur, simple mais aussi très puissant. J'aime le pouvoir de la simplicité. Dans le booklet, il y a aussi les paroles des chansons et leur traduction. Je pense que c'est important car même si tu peux écouter les titres sans te pencher sur les paroles, je pense qu'elles apportent une dimension et une profondeur particulière à la musique.

On peut te dire à bientôt en France ?
Oui, le public français a toujours été spécial pour nous et son accueil a toujours été chaleureux ; j'ai vraiment hâte de venir vous voir ! Le plus tôt sera le mieux !
 

Face à la pandémie mondiale et à l'avenir incertain des spectacles vivants, WARDRUNA vous invite à le rejoindre depuis chez vous pour un ambitieux spectacle virtuel le 26 mars. Il s'agit de reconnecter les publics du monde entier et de réimaginer l'ensemble de l'expérience en direct d'une manière nouvelle et audacieuse. En vous joignant à l'événement, vous pourrez assister à la première des chansons du nouvel album « Kvitravn » aux côtés des œuvres précédentes de WARDRUNA, dans un cadre spécial.

Billets en ventes à partir du 29 janvier à 10h sur le site officiel Wardrunashop.com
 

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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