6 janvier 2021, 23:53

Jean-François "Jeff" Bouquet

• Disparition d'un pionnier des médias metal français

Par où commencer ?
Sans doute par une voix, inconnue jusqu’alors sur les ondes, d'un animateur qui devient un compagnon de mes devoirs jusqu’aux révisions du Bac.
Elle vient combler l’espace libre, au début des années 80, entre Francis Zégut, qui a créé quelque temps auparavant un personnage et un ton uniques, propres à Wango Tango, et la radio dite « à l’américaine », celle qu’on fantasme, celle où l’on n’hésite pas à passer les désormais classiques de la FM à côté de hits de la scène hard rock et metal mélodique émergente.
 


Des émissions comme "Danger Décibels", "Le triangle des bermudes" et “Prohibition” qui te forgent une culture et te font découvrir et écouter tout ce que ton porte-monnaie adolescent ne te permet pas de t’offrir.
On parle de RADIO 7, station que l’on capte à cette époque au mieux à 100km autour de Paris, ce qui rend son écoute toute aussi précieuse qu’elle est aléatoire, mais en FM et en stéréo !

Cette voix devient un visage avec la deuxième revue spécialisée énervée à se lancer en France, METAL ATTACK.


Fin 1983, il en est le rédacteur en chef. Comme Jeff est autant à l’aise au micro que sur les photos et devant une caméra, il devient familier des hardos, comme on nous appelle à l’époque. Et nous, de nous dire qu’il a bien de la chance de poser à côté des filles de ROCK GODDESS ou de Ian Gillan.

    


Il monte sur scène pour présenter le Breaking Sound Festival en août 84 et c’est même lui qui, en toute décontraction devant la caméra de Drevet sur TF1, y explique que le hard rock peut être vécu dans une ambiance bon enfant.


​Il a ses connexions avec le monde de la télévision, lui, journaliste de formation, grand amateur de musique et de lifestyle anglo-saxon qui l’ont amené à séjourner un temps aux Etats-Unis où réside une partie de sa famille, qui a fait ses débuts de stagiaire à "La Lorgnette" de Jacques Martin où il rencontre la productrice Marie-France Brière (elle comptera beaucoup dans son parcours sur le petit écran), qui a travaillé comme attaché de presse chez CBS et même écrit une biographie sur et avec la complicité d’Elton John, avec lequel il tissera des liens d’amitié. 

Ce n’est donc pas tant une surprise de le voir arriver en 1984 sur TF1, mais davantage que ce soit en spandex, avec un générique signé WARNING, pour une émission intitulée “Les Tympans Félés” consacrée au hard rock et à une heure de grande écoute. Evidemment, de tous les programmes présentés le temps d’une seule saison, c’est l’émission avec Malcolm Young et Brian Johnson de AC/DC qui est depuis passée à la postérité.


Durant l’été 1984, je suis dans un hôpital parisien et le diagnostic n’est pas fameux.
J’écoute son émission à la radio et il y a une possibilité de laisser des messages à l’antenne. J’appelle de ma chambre, le standard décroche et quelques minutes plus tard, il me dédicace un titre en direct.
C’est notre première “rencontre”.

Reconnaissant qu’il ait éclairé un quotidien morose, je lui raconterai plus tard l’anecdote, en juillet 1985, après l’avoir interviewé avec mes potes Daniel Baud et Philippe Marek au France Festival pour la radio locale où nous officions depuis 2 ans et demi. Eh oui, dans le milieu, nous sommes ses petits frères de la bande FM, lui qui est de 12-13 ans notre aîné.

Depuis peu, l’envie de produire un média papier me démange.
HARD FORCE, initialement pensé comme un fanzine, est lancé par notre association en juillet 1985. Nous lui cherchons des membres d’honneur et, tout naturellement culottés, nous frappons aux portes de… Jeff et Francis Zégut. L’un et l’autre acceptent et vont nous permettre, dès l’automne, de bénéficier gracieusement d’annonces promotionnelles sur leurs antennes : RTL avec Francis pour le national et sur Le Poste Parisien (puis Top101) pour la région parisienne avec Jeff, qui anime dans les studios de la radio historique des Champs-Elysées adossée au Lido. 

Entre deux groupes internationaux prestigieux et des responsables de labels, il nous invite à présenter HARD FORCE lors d’une émission en octobre.
Je me souviens encore de ses mots : “C’est un fanzine, mais c’est tellement pro, qu’on dirait presque un magazine”.
Etre adoubé de la sorte par le multi-carte du hard rock en France, c’est l’assurance de booster une vocation qui couve.

  


Fin 1986, les ambitions montent d’un cran pour HARD FORCE, en passant magazine. Entretemps, Jeff et moi avons sympathisé.
De nos parties nocturnes de bowling aux discussions à n’en plus finir sur la politique, les médias, les soirées tardives chez lui à parler musique et picture-discs (une passion commune) ou dans les bureaux de HARD FORCE en bouclage, il est bien présent lorsque le magazine arrive pour la première fois en kiosques. 

C’est l’occasion pour lui de nous apprendre les ficelles du métier, l’organisation d’une rédaction, son savoir-faire en terme de choix d’accroches à la “une”. Il nous présente le tout-Paris des maisons de disques, me fait rencontrer des gens exceptionnels comme Jean-Noël Ogouz chez WEA (qui s’occupe de GUNS N’ ROSES, AC/DC, MÖTLEY CRÜE…). Après avoir pu compter sur lui quand nous étions inconnus, il peut compter sur nous lors d’un période sans radio (l'arrêt de "Electric Circus" sur Electric FM) : nous lui ouvrons nos pages pour qu’il interviewe Gary Moore, PRETTY MAIDS et j’en passe… Il aime les soirées, sans être un fêtard excessif : on s’entend bien sur ce point, ce qui nous permet de passer des moments toujours mémorables, souvent à jouer à des blind-tests improvisés dans un resto, ou en compagnie de musiciens, sans pour autant dire qu’on fait les quatre-cents coups. Une interview ensemble de Phil Collen et Steve Clark de DEF LEPPARD, un voyage à Londres qui nous fait sympathiser en même temps avec le jeune et prometteur Olivier Garnier, une soirée avec BON JOVI, une rencontre avec la journaliste Christine Chapel, fan de hard rock chez TF1 !, qui, en juillet 1987, nous présente quelqu’un qui comptera beaucoup pour nous deux, Etienne Lançon, futur monteur de ses émissions. Une amitié indéfectible jusqu’à ce jour.

  


​L’année suivante, après avoir brièvement repris la radio sur Aventure FM, c’est surtout la télévision qui va bouleverser sa vie. Et pour huit ans.
Je me rappelle la genèse de l’émission Perfecto, imaginée sur un coin de nappe dans une pizzeria du 5e arrondissement. Il est à l’origine de ce programme sur la 5 de Berlusconi, puis ce sera Giga sur la 2 et enfin la reconnaissance grand public.
Un programme éclectique, toujours en compagnie de ses fidèles partenaires Patrick Marsault et Olivier Wallerand.




Même si l’émission maintes fois primée s’adresse beaucoup aux ados, la musique et le rock ne sont jamais loin. L’occasion pour lui de rencontrer Paul McCartney, Keith Richards ou Sting, entre autres.

C’est l’époque où, débordés par nos activités respectives et nos vies familiales, nous ne faisons que nous croiser sporadiquement.
Après cette période d’or, sans oublier un doc fait sur Elton John pour Canal+ avec Michel Denisot et d’autres programmes jeunesse, les années 2000 sont synonymes de projets ambitieux qui ne verront pas le jour et de fausses promesses comme le métier en brasse perpétuellement. 

Je le revois plus régulièrement, car je travaille désormais dans la réalisation et la production audiovisuelle.
HARD FORCE n’est plus dans les kiosques depuis plusieurs années, mais est relancé en digital. On projette d’y travailler ensemble, mais son infarctus vient assombrir le tableau.
Hasard ou destin, c’est au moment de sa convalescence que mon projet d’émission METALXS se concrétise.
Il nous faut une voix et je pense instantanément à la sienne pour la version française.
Je suis retombé sur une interview de lui faite par le site Rock ’n’ Reviews.
Plutôt que de le paraphraser, voici ce qu'il disait : “Christian Lamet rêvait d'avoir une émission de télé sur le metal. Cela va faire 30 ans qu'on est potes. Quand il a réussi, après des mois d'efforts à imposer MetalXS, il m'a dit qu'il avait envie que je la présente. J'ai tout de suite dit oui, car le produit est beau et que bosser entre potes, c'est tout de même le pied. On en est à plus de 70 numéros et on s'éclate. On a eu et continuons à avoir tous les groupes qu'on désire et nous sommes relayés sur plein de pages Facebook de ceux que nous rencontrons. C'est sympa. Les artistes apprécient l'émission et ce n'est que du bonheur, même si parfois c'est beaucoup de boulot pour l’équipe.




Toutes les aventures ont une fin et ce sont 111 émissions que nous ferons ensemble jusqu’à ce que la chaîne se défausse, puis s’arrête.
111 émissions où nous avions notre rituel du vendredi matin en studio, avec Lydia Ait Hamouda, puis Hugo Tessier et Anna Brooke, son alter-ego anglaise, Juliette Lamet, Christophe Droit, Philippe Montiel ou encore Mathieu Genet, Julien Campuzano et tous les mixeurs qui ont travaillé sur METALXS pendant trois saisons.

  
A gauche : Mathieu Genet, Hugo Tessier, Christian Lamet et Carole Mornat - A droite : Jeff et Anna, les voix française et anglaise de MetalXS


J’ai mis quelques heures à cogiter comment j’allais conclure ce témoignage personnel…
Parce que j’ai repensé à ces cinq dernières années.
Il y a eu quelque chose de cassé en 2015 avec la fin de METALXS.
Evidemment, les événements du 13 novembre se sont rajoutés par dessus. Nous nous sommes revus dans une ambiance pesante aux obsèques de Guillaume Decherf.
Les choses se sont étiolées par lassitude aussi des dissenssions entre lui et un autre membre de l'équipe (que l'ego a fini par mener, pour le bien de tous, vers la porte de sortie).
Sans émission, Jeff vivant sa retraite en Normandie, nous avons fini par ne plus nous voir et même, aléas de la vie, à nous fâcher : les réseaux sociaux ont cette perverse tendance à amplifier les malentendus, même si les raisons ne regardent désormais que nous.

Pour ne pas avoir ce sentiment d’amertume aujourd’hui que la fin soit moins belle que le début de l'histoire - mais comment aurais-je pu imaginer qu’il parte aussi tôt, aussi vite ? - je préfère refaire défiler dans ma tête ces bons moments que même les divergences ne sauront effacer.
Avec, surtout, une pensée toute particulière pour sa fille Melody qui, au détour de chaque conversation que nous avons pu avoir sur la famille, était sa plus grande fierté.

Blogger : Christian Lamet
Au sujet de l'auteur
Christian Lamet
Christian Lamet est réalisateur, journaliste et producteur pour la télévision et le multimédia...entre autre. Fondateur en 1985 du magazine HARD FORCE, il en a été le rédacteur en chef durant ses quinze années de parution en kiosques. Depuis, l'aventure HARD FORCE a repris en 2008 sur le web, devenant ainsi le plus ancien média metal en France toujours en activité encore mené par son fondateur. Christian est également producteur et réalisateur de l'émission METALXS et créateur du media digital HEAVY1 en partenariat avec LIVE NATION FRANCE.
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4 commentaires

User
Karl Libus
le 07 janv. 2021 à 14:10
Trés beau texte Christian, un bel hommage. Un récit avec des hauts et des bas, car parfois la fin n’est pas toujours celle que l’on souhaite. Mais une belle histoire de copain. Grosse pensée pour ton ami, sa famille, et pour vous tous qui l’avez cotoyé.
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photolive69
le 08 janv. 2021 à 11:39
Jamais rencontré Christian, toujours entendu aux fils des années, un de plus qui part, un des "anciens" de plus qui part, ça pique, mais il ne faut surtout pas se morfondre et allez de l'avant pour vivre encore des émotions métalliques ;)
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BRUNO LOMPECH
le 08 janv. 2021 à 14:24
Pour ma part j'ai travaillé avec Jeff comme technicien sur Radio7. J'étais débutant en 1982 et je lui ai fait une promo pour une émission avec le son de voix le plus caverneux qui soit... sans vraiment le vouloir ... mais il était content. J'avais juste mis le U87 Neuman à l'envers... Il en a bien rigolé sans m'en vouloir et j'ai le souvenir d'un type très sympa. RIP Jeff
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Xavier Gerard
le 10 mai 2021 à 06:40
C'est avec quelques mois de retard que j'apprends cette nouvelle de mon Canada d'adoption. Beaucoup d'émotions. Jeff fait partie de mon enfance. J'enregistrai ses émissions Radio . C'est un peu mon père spirituel musical. Quand on est jeune, c'est bête mais avec Jeff , on avait l'impression d'avoir un adulte qui écoutait la même musique que nous et qui nous faisais écouter plein de groupes. C'est comme si c'était normal d'écouter Highway to Hell à fond. "On" connaissait quelqu'un qui connaissait les gars d'AC/DC !!!! Avec Jeff, j' ai connu Led Zep (Babe i'm gonna leave you). Mais aussi Marillion (Three boats down from the candy au festival de Reading). Et le live de back sabbath avec Dio. hey Jeff, tu passes jamais Styx, tu passes jamais Kansas !!! (Allez Go à la mediatheque de Colombes , C'est quoi ces groupes). Je ne suis pas sur, Jeff , est-ce que c'était aussi Radio7 , Salut Smith, Salut Weston, salut les 7 là c'était Rainbow (i surrender) les Who (you better you bet) . J'allais quelques fois le voir au poste parisien sur les champs. Je "maudis" mon père de m'avoir empêcher d'aller avec Jeff voir les scorpions en Allemagne (Concours poste parisien). Les groupes Français venaient le voir à la radio. C'est la que j'ai vu les gars de Warning, Vulcain.... J 'étais aussi aux 2 jours du France Festival à Choisy le Roy.. Un grand week-end Vive le Rock Francais .. puis le lendemain on remet ça : c'était Deep Purple au POBP .. C'est aussi Hard Rock Magazine (Photo de Def Leppard et pyromania au N.1) et Jeff est apparu sur Metal attack. Un Grand Merci Jeff. Tu restes dans mes pensées et ta voix est toujours là. Xa From Canada
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