25 février 2021, 17:10

MOONSPELL

Interview Fernando Ribeiro

MOONSPELL revient avec un superbe album intitulé « Hermitage ». Plus que jamais, les Portugais ont voulu partager une musique profonde et fouillée en faisant la part belle à un son authentique et des mélodies épurées de toute superficialité. Résultat de 30 ans d'une carrière bien remplie, d'une maturité assumée et d'une envie de prendre du recul sur le monde chaotique dans lequel nous vivons, cette treizième production possède tous les atouts pour le succès. Fernando Ribeiro, chanteur et tête pensante volubile de MOONSPELL, nous parle de cet « Hermitage » avec lucidité et philosophie.


Voici donc votre 13e album, « Hermitage », qui sort et célèbre 30 ans de carrière de MOONSPELL. Tu dois être très fier d'en être arrivé là, non ?
Je ne sais pas si je ressens de la fierté. Je suis content, c'est sûr, mais je ne considère jamais rien comme acquis. Je sais que le nouvel album de MOONSPELL est en fait un nouveau départ, comme à chaque fois. Car nous n'avons pas de formule magique pour la composition de l'album. On n'est jamais sûrs d'apporter ce que les gens attendent. Je suis donc plutôt surpris d'être arrivé si loin. Des fois, je m'en sens fatigué et cynique, mais en même temps, je me sens privilégié. Je suis bien sûr très reconnaissant envers tous ceux qui ont rendu l'aventure possible, ce qui représente des milliers de gens partout dans le monde, mais je suis aussi réaliste car on ne sait pas si ça va durer encore longtemps. Nous avons commencé à la meilleure période, les années 90. Les gens étaient des fans et non des consommateurs. Maintenant, on doit apporter des réponses à la situation. « Hermitage » est une démonstration de notre liberté. On y a produit la musique dont on avait envie, sans se soucier du succès qu'il pourrait avoir. Nous verrons bien.

Pourtant, il va bien falloir prévoir encore les 30 ans de succès à venir !
Oh non, pas question ! Je pense que je resterai connecté à quelque chose qui demande de la créativité, mais probablement pas en tant que chanteur sur scène. J'aimerais travailler avec d'autres groupes, donc pourquoi pas avoir mon propre label ? J'écris aussi et d'ailleurs mon premier livre sortira en mai. Je ne mets pas tous mes œufs dans le même panier. MOONSPELL est génial, cela me définit très bien, mais ce n'est pas tout ce que je suis. Je n'en fais pas une obsession. J'ai un enfant, une superbe femme, une vie cool. Ce n'est plus comme dans le passé où je me levais et me couchais en pensant à MOONSPELL. Je ne vois pas MOONSPELL continuer encore de nombreuses années. Peut-être 10 ans, peut-être moins. Nous ne sommes pas METALLICA ou BLACK SABBATH. Je n'ai pas besoin d'être essentiel pour toujours. J'aimerais juste vivre à la campagne avec mes livres et faire pousser des légumes. Je suis quelqu'un de sociable, mais je peux très bien vivre loin du tumulte de la société. C'est ce à quoi j'aspire. Je n'aime d'ailleurs pas trop passer du temps sur les réseaux sociaux où les gens passent leur temps à t'acclamer ou te critiquer. Si j'étais aussi riche que METALLICA, je crois que je prendrais ma retraite ! En tous cas, je n'imagine pas encore faire MOONSPELL pendant 30 ans. Remarque, je ne pensais pas faire MOONSPELL pendant 30 ans déjà...

Pourquoi pas avec DAEMONARCH alors ?
Oh ben non ! Encore moins ! DAEMONARCH est pour moi une grosse surprise. Des années après, les gens s'en souviennent, mais c'est aussi parce que c'était un album unique et je veux qu'il reste ainsi. Si je fais un second album, alors toute la machine va se remettre en marche alors que ce n'est pas un projet créatif. C'est plus un album rentre-dedans, un exutoire pour les membres de MOONSPELL, moi en particulier. Nous n'en avons plus le besoin aujourd'hui.
 

"Si j'étais aussi riche que METALLICA, je crois que je prendrais ma retraite !"



 

Alors parlons un peu de ce « Hermitage ». Que représente pour toi cette personnalité de l'ermite ?
Eh bien en fait, c'est un peu l'état d'esprit dans lequel je me trouve : je me sens comme un ermite frustré. J'aime les gens mais parfois je les déteste aussi. Parfois je les trouve drôles, parfois je les trouve pathétiques à mettre des photos d'eux buvant un café sur instagram. Au contraire de pas mal de musiciens, je ne suis sûr de rien. Je ne suis pas sûr de vouloir passer ma vie à parler de pirates ou de vikings, de vampires ou de loups-garous. Je ne suis pas sûr de faire une musique qui plait aux gens, je l'espère juste. Parfois, je manque de confiance mais quand je vois les autres musiciens parfois, je constate qu'eux non plus ne sont pas si confiants. Par contre, je n'ai aucun besoin d'être célèbre. J'aimerais être anonyme mais en même temps j'aime bien le contact avec le public et les autres musiciens. Bref, c'est très ambigu ! Je suis juste un être humain, et un portugais en plus, donc je ne suis jamais content ! 

Tu es un ermite sociable finalement !
Oui, c'est ça ! Un de mes philosophes préférés est Kant qui disait que nous sommes sociables et asociaux en même temps. Nous ne travaillons pas à moins d'être dans un groupe, et c'est mon cas avec MOONSPELL, mais en même temps nous avons ce principe de compétition primitif qui nous anime. Etre humain, c'est vraiment être un ermite sociable comme tu le dis. Quand j'ai écrit « Hermitage », j'ai lu beaucoup à propos de ce thème et je me suis rendu compte qu'on avait une vision faussée de l'ermite. Il y en a eu partout dans le monde mais dans de nombreux cas, ils ne se sont pas coupés totalement de la société et sont même revenus au milieu de leurs congénères pour leur apporter leur lumière, leur religion, leur savoir, la paix... Je pense qu'on pourrait prendre exemple et faire une pause dans notre vie. Pas en allant au bord de plages bondées mais en faisant une véritable retraite qui serait salvatrice. Ce n'est pas une fuite mais une progression. 

Cette image de la société qui n'est jamais très loin est très bien mise en scène sur la pochette de l'album...
Oui, cette pochette est superbe, très symbolique. Au départ, je voulais du contraste, avec une nonne enceinte. Mais au final, Arthur Berzinsh, qui est un artiste talentueux qui travaille aussi avec CRADLE OF FILTH, nous a fait trois propositions. La nonne en effet, qu'il a appelé "Attente", la pochette actuelle qu'il a appelé "Marchant sur l'eau" et la "tentation de Saint Antoine" qui est à l'arrière de la pochette. C'est une représentation qui a été déjà peinte par de nombreux artistes, de Bosch à Cézanne. Quand j'ai découvert la peinture de l'ermite, j'en ai eu la chair de poule. C'était exactement ce que je voulais en fait ! Elle est complètement intemporelle, à la fois moderne et authentique, incroyable ! C'est vraiment un concentré de toutes les paroles de l'album ! J'en suis ravi !

D'ailleurs, la musique elle-même est un concentré de tout ce que sait faire MOONSPELL. Il y a plein d'aspects différents, d'atmosphères différentes. Par exemple "All Or Nothing" est très mélodique et atmosphérique alors que d'autres titres sont bien plus sombres...
Oui, avec MOONSPELL, on essaye vraiment d'avoir toujours notre son distinctif. On a besoin de cet aspect dark, gothique qui nous caractérise mais aussi du metal et de la mélodie. Nous avons fait plein d'albums mais ces caractéristiques sont toujours présentes même sur des albums très différents comme « 1755 », très théâtral et « Extinct », très dark-wave et oriental. Avec « Hermitage », on ne voulait pas d'un album aussi brutal que « 1755 » mais on ne voulait pas non plus d'un album à plusieurs lectures. On a recommencé de zéro et essayé de se baser sur une mélodie qui apporte de l'émotion, sans effets, sans superficialité, juste quelque chose de basique mais authentique. Il me semble que cela permet à l'auditeur de voyager dans différents ermitages. On a vraiment passé du bon temps à écrire cet album. J'espère que les gens l'aimeront car à nouveau, nous n'avons pas réalisé un nouveau « Wolfheart » !

C'est ce que les fans attendent ?
Oui et non. Les fans sont parfois surprenants. Ils n'aiment pas un album qui du coup ne récolte aucun succès mais quelques années après, le même album qu'ils critiquaient sur les réseaux sociaux est sold-out ! Pour moi, cela n'a pas d'importance, j'ai appris à relativiser. Bien sûr, je serai très content que les fans aiment « Hermitage » mais ce que je veux, c'est plaire aux bonnes personnes pas forcément à une masse de fans. Ils vont, ils viennent. Certains sont là depuis le début, d'autres partis mais d'autres aussi ont pris notre carrière en cours de route. L'important est que chacun trouve son compte dans un ou plusieurs albums, une ou plusieurs chansons. On a des fans qui se comportent comme des consommateurs mais d'autres sont plus respectueux. C'est vers eux que nous nous tournons. Certains veulent nous soutenir, d'autres non. C'est leur choix et nous le respectons. Ce que nous ne voulons pas ce sont des critiques qui empiètent sur notre vie personnelle. Je trouve cela déplorable.

Est-ce que la présence physique des fans te manquent avec toutes ces tournées qui ne peuvent pas se faire ?
Oui, vraiment. C'est très différent d'avoir les réactions des fans sur les réseaux sociaux et en live dans les concerts. D'autant plus que je n'aime pas lire les commentaires sur facebook ou instagram. Sortir un album sans pouvoir le confronter à l'énergie du public est très difficile mais je prends cela comme un challenge. En espérant pouvoir bientôt revenir vous voir bien sûr !

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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