16 avril 2021, 10:00

GRETA VAN FLEET

Interview Jake Kiszka


GRETA VAN FLEET sort « The Battle At Garden’s Gate », son deuxième album studio après le très remarqué et prometteur « Anthem Of The Peaceful Army » et un Grammy award remporté pour l’EP « From The Fires ». Les quatre jeunes musiciens surdoués du rock vintage reviennent avec douze titres plus puissants et contrastés, traduisant une maturité acquise durant leurs nombreuses tournées. Un album qui marquera à coup sûr leur consécration et dissipera aussi les doutes de certains sur la longévité de la "formule". Interview avec son guitariste Jake Kiszka qui nous raconte la conception de l’album, l’évolution du groupe, sa Gibson Les Paul 61 fétiche et l’importance de réaliser un album studio qui sonne... "live".
 

Quatre ans se sont écoulés depuis votre tout premier single, "Highway Tune". Après des centaines de concerts, de festivals, de stades et des tournées mondiales, ce retour forcé à la maison suite à la pandémie du COVID a-t-il été comme un soulagement et finalement une bonne excuse pour arrêter un moment ce rythme effréné et se recentrer simplement sur la composition, juste vous quatre ?
Oui, cette période a été plutôt intéressante, une situation à deux facettes, car d’un côté on est un groupe très axé sur les concerts, on aime se produire sur scène, faire des tournées et jouer devant le public. Tout ça, c’est l’essence-même de ce que nous sommes. C’est notre âme et la raison d'être du groupe. Mais d’un autre côté, comme tu l’as dit, cette période nous a accordé énormément de temps pour puiser dans notre créativité et nous recentrer ici, chez nous. En cela, ça a vraiment été génial. On a pris le temps de composer et répéter ce qui allait devenir « The Battle At Garden’s Gate », de jouer tous les quatre ensemble dans la même pièce de nombreuses fois. Nous avons commencé à composer pour l’album et avec ce temps supplémentaire, nous avons pu ajouter deux chansons en plus. Au départ, nous n'avions prévu que dix chansons et au final, nous avons ajouté "Caravel" et "The Barbarians". Ces deux chansons ont été composées durant la pandémie et une fois terminées, nous sommes retournés en Californie pour les enregistrer et les ajouter au disque. Finalement, ça a été bénéfique sur plusieurs plans. Nous avons également pu réaliser des visuels pour accompagner les titres et ajouter cette dimension à l’expérience sonore de l’album. Sans ce bonus de temps, nous n'aurions jamais pu concrétiser toutes ces vidéos qui sont, au final, de vrais courts-métrages. C’est vraiment sympa.

Votre deuxième album « The Battle At Garden’s Gate » sort le 16 avril. C’est une déclaration de ce que la musique devrait être de nos jours. Les chansons durent aussi longtemps qu'il le faut, elles sont plus progressives, non formatées pour correspondre à cette période de consommation instantanée. GRETA VAN FLEET mène une bataille ? La "peaceful army" est prête à ébranler les esprits pour ramener la jeune génération à l'essentiel, mélangé à une touche de modernité ?
Oui ! Oui, et même depuis le début. Avec « Anthem Of The Peaceful Army », ce nouvel album est lui aussi un retour aux fondamentaux et à l'essentiel, notre façon de jouer vient de là. Lorsqu’on est entré en studio, notre but était de jouer comme en concert. Les chansons ont toutes été enregistrées de cette manière : nous quatre, ensemble, en même temps. Et cela montre ce que nous pouvions faire musicalement en allant au plus simple, la magie et la puissance de la simplicité. Aller droit à l’essentiel : notre façon de composer cet album s’est faite dans cet esprit. D’ailleurs, on a plus de facilités à composer des morceaux de dix minutes comparé à des titre de quatre ou cinq minutes. Même "Age of Machine" qui dure quasiment sept minutes devait au départ durer dix ou onze minutes. On a dû couper tout ce qui était en trop pour ne garder que l’essentiel. Et là, même avec une durée de sept minutes, c’est un titre très dense. Donc en terme de composition, chaque partie que tu entends a été murement réfléchie et décidée pour une raison bien précise.
 

"Lorsqu’on est entré en studio, notre but était de jouer comme en concert. Les chansons ont toutes été enregistrées de cette manière : nous quatre, ensemble, en même temps. La magie et la puissance de la simplicité."


Josh montre sa capacité à repousser les limites de sa voix. Ce nouvel album est comme un témoignage de sa portée vocale de plus en plus puissante et polyvalente. S'est-il spécialement préparé ou a-t-il simplement laissé sa voix évoluer de cette manière ? Je pense à "My Way, Soon", "Built By Nations" ou à la dernière partie de "Tears Of Rain" où il est remarquable de puissance.
Il contrôle vraiment bien sa voix maintenant. Les quatre années qui ont passé lui ont apporté beaucoup ; sa voix a gagné en force durant toutes ces tournées. Il est capable d’aller où il veut avec sa voix, il n’est plus limité. S’il veut atteindre une note ou un effet, une mélodie qu’il a en tête, il y parvient. Il maîtrise tout ce qu’il veut. Il voulait atteindre cette liberté de chanter comme il le souhaitait, sans contrainte, sans limites. Il voulait étendre ses capacités vocales et sa tessiture. Cet album en est clairement un témoignage direct.

Les claviers et le piano sont extrêmement présents. Sam, ton frère bassiste, en joue sur toutes les chansons. Était-il évident dès le départ que les chansons allaient davantage intégrer de claviers, par rapport à vos compositions passées ? Cela confère un aspect dramatique aux chansons et le résultat est puissant, profond et massif.
Je suis d’accord. Je pense que l’adjectif qui correspond le mieux à cet album, c’est "intense". C’est un album très dynamique. On a voulu composer un album très "cinématographique" dans un sens. Le fait d’y ajouter des claviers a apporté de la profondeur aux chansons, un côté dramatique comme tu le disais. Donc, oui, ajouter des claviers était mûrement réfléchi dès le départ. C’est comme si les chansons ne demandaient que ça, qu'elles appellaient naturellement les claviers.

En revanche, ce ne sera pas problématique quand la question de les jouer en live se posera ?
Effectivement, mais pas tant que ça : Sam jouera des deux. Il jonglera entre la basse et les claviers. En gros, ce sera la moitié du temps à la basse et l’autre moitié aux claviers. On a répété durant un an : ça a vraiment été intéressant de travailler sur cette organisation. Les chansons sont juste incroyables quand on les interprète en live et même - et je dirais que c’est le plus important pour nous - on s’éclate à les jouer.

En parlant de cet aspect intense, parle-nous de "Broken Bells". Elle commence doucement, avec une guitare acoustique, puis une guitare électrique rageuse, des violons, un refrain dramatique qui me rappelle quelques airs d'Adele, presque comme une bande originale de James Bond, et enfin un solo épique pour clore. Peut-on dire que c'est un bon résumé de ce qu'est GRETA VAN FLEET aujourd'hui ?
Oui, je pense, en effet. Ce qui est intéressant et c’est cool que tu en parles, c’est que l’album nous représente très bien tout comme cette chanson. Elle incorpore une multitude d’éléments. Elle va même un peu dans tous les sens en quelque sorte. Elle commence avec une guitare acoustique qui elle seule sonne déjà dramatique. Le fait de cette simplicité, comme on disait tout à l’heure. De la simplicité et juste des émotions, une guitare acoustique et une voix, puis c’est tout un déroulé crescendo jusqu’au solo, une sorte de composition en trois dimensions. C’est juste génial et là, ce n’est qu’un exemple, mais comme tu le disais, elle nous représente bien. Cette dimension entre beauté et sauvagerie, le yin et le yang, la paix et la guerre, la lumière et l’obscurité, il y a toujours un lien entre ces deux opposés. Ce sont les éléments avec lesquels nous aimons jouer. 

C'est terrible d'être obligé de le dire aujourd'hui, mais vous êtes un groupe avec de vrais instruments, de vraies guitares, basse et batterie. il en est de même pour les instruments à cordes, vous avez travaillé avec de vrais musiciens. Il était essentiel pour vous d'avoir un son aussi réaliste et naturel que possible.
Oui, c’est absolument déterminant pour nous, mais il y a un autre point tout aussi important, c’est l’honnêteté. Jouer vraiment avec son âme. Quand on enregistre un album, on le fait comme en représentation. On se donne à fond. C’est notre manière d’être honnêtes et vrais. Et s’il y a des erreurs et qu’elles sonnent bien quand même, on les laisse. S’il y a des silences, c'est qu'il y a de l’humanité là-dedans. Keith Richards des ROLLING STONES disait « faut que ça saigne » et on applique vraiment ce paramètre, notre approche est dirigé dans ce sens, notre façon de faire est très naturelle, vraie, avec de vrais musiciens, de vrais instruments et c’est ce qu’il y a de plus honnête, ça engendre un mouvement une énergie de jouer tous ensemble, on veut le capturer et que ça transparaisse sur l’album et je pense que c’est le cas.
 

"Jouer vraiment avec son âme. Quand on enregistre un album, on se donne à fond. C’est notre manière d’être honnêtes et vrais. Et s’il y a des erreurs et qu’elles sonnent bien quand même, on les laisse. S’il y a des silences, c'est qu'il y a de l’humanité là-dedans."



Il n’y a pas plus honnête que de laisser quelques imprécisions sur un enregistrement final.
Ouais, et je suis toujours curieux de savoir si les gens les découvrent. Je suis très content qu’on les ait gardées, ce sont des moments magiques et ça fait partie des raisons pour lesquelles on aime enregistrer. Parfois, ton erreur sonne bien mieux que ce que tu avais initialement prévu de jouer.

Tu es un excellent guitariste, tant rythmique que soliste. Concernant les solos, comment les composes-tu ?
On rappelle qu'il existe principalement deux écoles de composition de solo de guitare : 

Avant d'enregistrer, travailler encore et encore sur des mélodies, réfléchir à la meilleure façon de créer la structure avec une puissance croissante au fur et à mesure que le solo avance. Une façon de travailler très méthodique et scolaire.
Ou 
laisser le groupe jouer et essayer d'improviser le meilleur solo dès la première prise. Parce qu'on dit souvent que la première est toujours la meilleure.
Je pense que je fais partie des deux écoles, d’une certaine manière. En fait, ce qui est intéressant, c'est que ça dépend de la chanson. Par exemple, pour "The Weight Of Dreams", on a beaucoup travaillé le solo en amont de l'enregistrement. C’est un truc qu’on avait également fait sur "The Black Flag Exposition". Pour le solo de "The Weight Of Dreams", il s’est construit en concert, au fur et à mesure de nos dates en Amérique du sud et en Europe, soit pendant un an à peu près. Donc sa structure, ses phases, ses motifs ont été créés, pensés et peaufinés avec l'épreuve du live. Mais pour le titre "Broken Bells", le solo n’était pas du tout réfléchi. Il n’a fallu que trois prises pour l’enregistrer et c’était en boîte. Parfois, ça coule tout seul et tu as de la chance ; d’autres fois, tu dois bosser comme un dingue pour le sortir. On va dire que j’ai été chanceux pour celui-là. Pour "Age of Machine", c’est un solo où j’ai pris mon temps pour le développer alors que pour "Built by Nations", il s’est décidé au dernier moment.

Tu joues principalement sur une Gibson Les Paul de 1961 (juste avant que la marque l'appelle SG). Cette guitare est ce que nous appelons une relique : les fissures sont maintenues par du ruban adhésif, le vernis est usé de partout, les micros sont d'origine tout comme l'électronique qui grésille de temps en temps, mais elle sonne tellement bien.
Tu as enregistré la majorité de l'album avec. Pour toi, il n'es pas question de jouer sur une autre guitare, à part la Reissue de 1962 qui est plus récente ?

(rires) Ouais ! J’ai fait le tour du monde avec cette guitare. J’ai une relation très spéciale avec elle. J’ai principalement utilisé celle-là pour l’enregistrement de l’album. J'ai joué sur quelques autres, mais c’est surtout avec celle-là que je joue : elle a un son bien à elle et c’est encore plus vrai quand tu joues depuis beaucoup de temps dessus. J’ai tellement joué avec elle en live qu’elle a fini par modéliser mon son. Elle fait partie de moi et ma façon de jouer est directement liée à elle. C’est grâce à elle que je joue comme ça aujourd’hui. Mais en ce qui concerne le ruban adhésif, je l’ai faite réparer depuis (rires).
 


Dès le départ, GRETA VAN FLEET a été comparé à LED ZEPPELIN. Avec « The Battle At Garden’s Gate », vous avez essayé de vous éloigner de cette référence ? Avez-vous travaillé spécifiquement sur cet aspect ou vous êtes-vous juste laissé jouer comme vous le sentiez... et tant pis si on vous collait encore la référence dessus ?
Oui, c’est plutôt ça. Tu sais, tout ce qu’on a composé, on l’a fait sans tenir compte des commentaires ni des critiques qui ont pu paraître auparavant. Tout ce qu’on a composé, on l’a fait parce qu’on le voulait. Donc pour « The Battle At Garden’s Gate », la seule chose sur laquelle nous avons particulièrement réfléchi, c’est que ce disque sonne très "cinématographique". Et qu’il représente ce que nous sommes. Et nous nous sommes tenus à ça.

En parlant de cinéma, vous aimeriez composer pour un film ? Vous a-ton approché à ce sujet ?
Oui, des personnes nous ont demandé de faire des musiques ou des chansons pour des films. On adorerait le faire, ce serait marrant. Il nous est arrivé d'avoir des discussions à ce sujet avant, pour des films indépendants qui ne sont pas encore sortis. Mais à ce jour, la raison pour laquelle nous ne l'avons pas encore fait, c’est le manque de temps, car on était sans cesse en tournée. Quatre ans que nous avons passés sur les routes. Là, en revanche, on a tout le temps pour le faire... alors, qui sait ?
 

"Tout ce qu’on a composé, on l’a fait sans tenir compte des commentaires ni des critiques qui ont pu paraître auparavant."



Lorsque tu joues en live, tu aimes t'exprimer à travers tes solos. Vous rallongez les chansons pour profiter de ce moment de paroxysme.
Sur la dernière chanson, "The Weight Of Dreams", tu libères la bête et laisses tourner le solo pendant presque quatre minutes. C'est le fruit de ton expérience live que tu souhaitais apporter au travail en studio  ?

Oui, absolument. C'est exactement dans cet esprit-là. En plus, c’est la dernière chanson de l’album et comme je te le disais, il devait restituer l’expérience live, donc on a justement voulu insuffler cette puissance que le live procure. On a grandi en faisant de la musique en studio, mais on voulait vraiment incorporer l’énergie de la scène, nos acquis sur la route dans nos albums. C’était un but qu’on voulait atteindre.

Avec quel artiste un peu original rêverais-tu de jouer pour un duo ?
Oh ! Laisse-moi réfléchir… Je dirais Adele ou IMAGINE DRAGONS, je pense que ce serait intéressant de voir ce que ça donne.

Quel est LE solo de guitare d'un artiste qui te fait vibrer à chaque fois que tu l'écoutes ?
Hum… c’est une bonne question… Je dirais, celui de "Voodoo Child" ou celui de " All Along The Watchtower" de Jimi Hendrix. Ces deux-là sont vraiment spectaculaires. Je pourrais les écouter encore et encore, toute la journée.

Quelle est la chanson ou le riff qui te vient systématiquement à l'esprit quand tu prends ta guitare ?
En fait, ça dépend vraiment du type de guitare sur laquelle je joue. Si c’est sur la Les Paul et que je me pose tranquille avec, je jouerai un riff des EAGLES ou de Gary Clark Jr., mais ça dépend de mon humeur, ça change un peu tout le temps. J’ai aussi des périodes où mon égo prend le dessus, surtout quand je viens d’apprendre un riff, un morceau que je voulais vraiment savoir jouer et généralement pendant les deux semaines qui suivent, dès que je prends ma guitare, je ne vais jouer que celui-là (rires).

Et pour finir, quelle est la chanson que tu aurais rêvé composer mais, dommage, c’est un autre groupe qui l’a faite avant toi.
(rires) Ce sont de très bonnes questions... Il y en a tellement… peut-être… Je dirais "Seven Nation Army" de THE WHITE STRIPES. Elle est fantastique cette chanson. Simple et dramatique à la fois. •
 

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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