4 juin 2021, 19:00

Paul Gilbert

Interview

Le guitariste virtuose Paul Gilbert a sorti son tout nouvel album « Werewolves Of Portland », ce 4 juin 2021, le seizième de sa carrière solo. Véritable artiste accompli connu pour avoir fait partie de MR. BIG et RACER X, Gilbert, guitariste au talent technique indiscutable aime surtout jouer avec son sens de la mélodie, préférant la note juste que le déballage sonique. Avec un album totalement instrumental, Paul Gilbert nous livre un nouveau disque dans la lignée de son précédesseur « Behold Electric Guitar » et nous accorde une interview par écrans inrerposés aux allures de masterclass, guitare à la main, toujours prèt à illustrer ses réponses avec une démonstration concrète. Que demander de plus ?​


Bonjour Paul ! Comment vas-tu ? Tout se passe bien de ton côté ?
Fantastique, je me sens super bien. J’ai une bonne guitare dans les mains que je peux faire sonner (Paul lance un petit solo), si je peux faire ça, alors tout le reste va bien !

Tu es de retour avec « Werewolves Of Portland », ton 16e album solo, après « Behold Electric Guitar » sorti en 2019. Tu es un véritable créateur compulsif, tu ne t’arrêtes jamais de composer ! Tu fourmilles d’idées : elles te viennent de nombreuses sources différentes ?
Oui, c’est vrai ! Mon but principal est de faire de la bonne musique, mais je peux utiliser beaucoup de choses pour construire cette musique. Donc, lorsque j’ai une idée comme avec le premier single "Argument About Pie", c’était au départ qu’une phrase : « Tu ne peux jamais avoir de dispute à propos d’une tarte ». Et je me suis demandé : comment pourrais-je en faire une mélodie ? J’ai donc commencé à jouer n’importe quoi sur ma guitare (Paul joue la mélodie et chante les paroles par dessus), et je trouve que c’est bien plus facile de créer une mélodie avec des paroles. Avant, je composais plus comme un guitariste, je créais un riff et j’essayais de mettre des paroles dessus. Parfois, ça marchait bien, mais c’est assez dur comme procédé. Donc, j’ai trouvé que c’était plus facile de commencer avec des paroles et une petite mélodie.

Ici, c’est un album entièrement instrumental, pas une ligne de chant. Mais même s’il n’y a pas de chant, des paroles sont disponibles dans le livret pour chaque piste. N’as-tu pas, à un moment, essayé de les chanter ?
En fait, les paroles m’ont donné la structure pour les chansons, comme pour "(You Would Not Be Able To Handle) What I Handle Everyday" et je me suis demandé comment je pourrais rendre cette phrase mélodique. Alors, j’ai joué ça (Paul joue la mélodie et chante les paroles par dessus). Donc la conception de l’album s’est faite en deux parties, la première étant l’écriture des paroles et développer les chansons à partir de ça, et l’autre s’est faite à travers mes cours de guitare en ligne que je propose. J’ai fait au moins dix mille vidéos pour ces cours et pour chacun d'eux je crée à chaque fois un nouveau riff de guitare que j’utilise pour enseigner à mes élèves. Et certains de ces riffs sonnent vraiment bien, comme celui-là (il joue la rythmique de "You Would Not Be Able To Handle..."), il vient directement d’un des cours que j’ai donnés, tout comme pour le riff de "Hello North Dakota!" (Paul joue la rythmique du morceau) et ça, ça provient d’un cours sur la technique du placement du poignet quand tu joues les cordes du haut du manche ; tu dois casser ton poignet, mais quand tu joues les notes aigues tu dois redresser le poignet et c’est un mouvement très important. J’expliquais donc cette technique et à la fin du cours, j’ai réalisé que j’aimais beaucoup ce riff (rires). Donc une première moitié du disque est basée sur des mélodies et l’autre moitié sur des techniques utilisées pour mes cours. Mais concernant le fait de chanter, je ne trouve pas que ma voix soit vraiment très bonne : c’est un peu comme si ma tessiture se situait entre la première corde à vide de la guitare, un mi, et la dernière, un mi une octave au-dessus, ce qui n’est pas très vaste au final. Et quand j’arrive à la note haute, ça devient vraiment limite pour moi. Mais quand tu écoutes un bon chanteur de rock comme Steven Tyler ou Paul McCartney, ils peuvent aller bien plus haut et moi, je n’arrive pas à faire ça. En revanche, avec ma guitare, je peux monter où je veux (Il joue les notes les plus hautes de sa guitare) et ça sonne bien, donc ça m’enlève toute limite. Je n’ai jamais entrainé ma voix au chant : plus j’essaie de la travailler, pire est le résultat (rires) car les muscles et mes cordes vocales fatiguent à force, alors que lorsque je joue de la guitare, plus je pratique mieux je joue et c’est bien plus inspirant. Quand je m’entraine à la guitare, je copie les lignes de chant, comme avec "To Be With You" de MR. BIG (Il joue la mélodie du chant) et j’ai appris tellement en faisant comme ça. J’utilise aussi les gammes et c’est toujours excitant d’utiliser ces techniques, mais pour les mélodies, que ce soit joué avec un bottleneck ou normalement avec les doigts de la main gauche, c’est une autre façon de jouer et d’exécuter des mélodies. La guitare prend la place du chanteur au niveau de la mélodie, car quand tu n’as pas de chanteur, il manque quelque chose et j’essaie de combler ce manque. Après, il y a aussi des passages vraiment typés jeu de guitare comme sur "Hello North Dakota!" où tu retrouves la mélodie principale, mais entre deux mélodies, je joue des passages plus techniques, le tout pour remplacer l’absence de chanteur. Ce qui donne du contraste entre mélodie et technique.

En revanche pour cet album, le COVID t’a forcé à revoir ton organisation et après plusieurs mois de réflexion, tu as pris la décision de jouer tous les instruments pour l’enregistrement. C’est un sacré challenge. Est-ce que ça s’est avéré plus dur que tu ne l’avais pensé au départ ?
Disons que ça a été différent. J’étais surtout préoccupé par la batterie, car en jouer est quelque chose de très physique et je ne fais pas souvent de batterie, même si j’adore en jouer. Alors, je me suis lancé et ça s’est très bien passé. En revanche, la partie la plus difficile a sûrement été de jouer la basse. Pas à cause de la technique, mais plutôt en terme de composition et d’improvisation. Beaucoup des mes chansons sont typées THE BEATLES ou QUEEN, comme avec "Argument About Pie". Si je joue les notes graves qui suivent les accords de la guitare, c’est très simple à faire, mais ce n’est pas ce que la basse doit faire (Il joue un enchainement de notes plus élaborées et mélodiques), tu dois faire plus de changements, de mouvements, de variations et j’ai dû improviser, je n’avais pas écrit ces parties à l’avance. Ça demande beaucoup de concentration (rires), ce n’est pas quelque chose que je ressens naturellement. Il a fallu que je me focalise et que je pense à l’accord qui allait arriver, quelle serait la bonne note... c’est presque du jazz pour moi.

Tu as une collection assez impressionnante de guitares, comme nous pouvons le voir à l’écran. En as-tu utilisée une différente par chanson ? Car chaque guitare a son style bien à elle, comme chacune des chansons sont elles aussi différentes les unes des autres. On retrouve des ambiances rock, metal, blues, jazz et funk, bref un véritable mélange détonant...
Oui, j’ai inclus beaucoup de guitares et puis je trouve ça marrant (rires). Celle dont je me rappelle le plus, c’est celle-là (Il change de guitare) une Ibanez Roadstar II Cherry avec accastillage doré. J’achète pas mal de guitares d’occasion sur le net. Je l’ai faite modifier, car elle n’avait qu’un seul micro chevalet. J’ai fait ajouter un micro manche et un aimant sur la plaque pour coller mon bottleneck en acier, comme ça il tient tout seul (Il joue un riff avec un bottleneck qu’il fait glisser sur les cordes). Le vibrato sur cette guitare est vraiment cool, ça me rappelle les premiers disques de VAN HALEN (Il joue le riff d’intro de "Little Dreamer") elle a ce feeling très VAN HALEN. Je l’utilise sur le titre "A Thunderous Ovation Shook The Columns". Je n’utilise pas souvent de vibrato mais j’adore celui-là.

Tes compositions comportent très souvent un élément marrant, un petit riff léger qui montre que ton approche de la guitare et de tes chansons n’est jamais complètement sérieuse.
En fait, j’aime bien le style d’écriture qu’avaient les BEATLES et les groupes des années 70 comme QUEEN et les accords qu’ils utilisaient ne sont pas aussi sombres que ce que le metal a apporté plus tard. Je ne compose pas de riffs sombres et inquiétants (Il joue un riff typé metal, lourd et sombre) ça ne me parle pas ce genre de suite d’accords. Mais si tu prends "We Are The Champions" de QUEEN avec à un moment un accord de ré septième qui est très intéressant, et bien je l’utilise dans "Argument About Pie". D’ailleurs, au final, je me rends compte que j’utilise beaucoup d’accords que l’on trouve dans le titre de QUEEN, même si on ne peut pas vraiment dire que ce soit une chanson joyeuse. Mais ça n’a rien à voir avec des accords de metal agressif et sombres qui, au final, et tout dépend de ton sens de l’humour, je trouve drôle ces groupes qui veulent sonner inquiétants, super virils et méchants (rires). Moi, je suis plus un musicien typé accords à la BEATLES.

Les albums de guitaristes sont toujours un moyen pour eux de montrer leur talent mélodique et technique. Te fixes-tu des limites ? Ne pas trop en faire, que ce soit trop mélodique ou trop technique ? Difficile de ne pas se laisser griser et de passer en mode virtuose ?
C’est marrant, car quand "Argument About Pie" est sorti en single, j’ai vu sur YouTube un guitariste qui l’a reprise et il se débrouillait très bien, même les parties techniques... (il la joue) je ne me rappelle même plus comment elle finit (rires), bref il jouait tout bien, mais quand il est arrivé à la partie mélodique, les parties plus calmes, les parties avec les glissés, le vibrato, elles étaient correctes, mais elles sonnaient différemment de ma manière de jouer. Et c’est dans ces détails-là que je me rends compte que ces chansons m’appartiennent toujours. Personne ne peut me copier sur ce terrain, c’est comme vouloir copier des passages vocaux doux et lents d’un chanteur. La parties rapides, il les avait, il les exécutait comme un robot, c’était parfait, mais pour la partie des mélodies, c’était beaucoup plus difficile de me copier et j’en suis fier en quelque sorte. Il y a une zone où personne ne peut me suivre, tu peux me suivre dans la technique mais pas dans la mélodie.

Durant ta carrière avec MR. BIG et RACER X, ressentais-tu la même liberté de création que depuis que tu réalises des albums solo ?
C’est différent avec les deux groupes. Premièrement, tu joues avec d’autres personnes et je ne suis plus le leader à ce moment-là et donc ce n’est pas la même liberté de création. Avec MR. BIG, je pense que c’est là où j’avais le moins de liberté. Même si nous fonctionnions de manière égalitaire, j’ai toujours pensé que c’était le groupe de Billy Sheehan, le bassiste. Pour moi c’est Billy qui rassemblait tout le monde et autour de qui le groupe s’articulait. Billy était super, c’était le premier à s’impliquer, mais en même temps, il avait sa vision du groupe, ce qui est très bien car je pense que les groupes doivent avoir un leader, c’est beaucoup plus simple comme ça. Un groupe qui veut avoir chacun de ses membres au même niveau, c’est beaucoup plus compliqué à faire fonctionner, car chaque décision doit être prise par quatre personnes à chaque fois (rires). Un gars aux commandes, c’est bien mieux. Avec RACER X, c’était un peu plus mon groupe, c’est moi qui l’ai formé mais là, le leader n’était pas vraiment une personne mais plutôt le style du groupe, ça devait sonner metal. J’adore le heavy metal et souvent pour composer je me demandais : « comment ferait JUDAS PRIEST ? ». Je suivais tout ce que JUDAS PRIEST pouvait faire. C’était forcément pour moi la méthode à suivre. Si la chanson qu’on jouait pouvait s’incorporer à l’album « British Steel », alors c’est que c’était bon.

Quel est ton plus beau souvenir sur scène avec un autre guitariste ?
Il y a deux ans, j’ai fait une tournée et un jour, Andy Timmons est monté sur scène avec moi. On était au Texas, dans la ville où il vit, et je suis allé le voir chez lui avant de faire ma vidéo de cours et on a joué une chanson des BEATLES, "We Can Work It Out". On transposait les mélodies de chant à la guitare (Il joue la ligne de chant sur sa guitare) et on jouait nos parties de guitare comme John Lennon et McCartney harmonisaient leurs voix. Je jouais les notes hautes de McCartney et Andy jouait les notes de Lennon. Et cette façon de jouer était vraiment sympa. Habituellement, quand deux guitaristes jouent ensemble, chacun y va de sa technique, plein de notes, tu te lâches, alors que là, on était tous les deux focalisés sur la suite de notes, tranquillement, en marquant bien le temps, avec une approche très rythmique sur les harmonies. Ça sonnait tellement bien, ça me plaisait tellement ! C’est comme quand tu arrives à viser le centre d’une cible au tir à l’arc. Tu n’as besoin que d’une flèche pour atteindre le centre, alors qu’avec les techniques de shredders, c’est comme si tu avais des flèches de partout, comme mille flèches qui tombent du ciel. La mélodie, elle, c’est une unique flèche qui va au centre. C’est toujours un super sentiment que de viser et d’atteindre le centre en un coup. Même si avoir un millier de flèches qui tombent du ciel est aussi excitant, mais c’est différent comme sensation. Au final j’aime bien avoir les deux sensations, car jouer une seul flèche pourrait me frustrer aussi et je me dirais : « c’était cool mais il n’y a pas d’autre flèches dans le ciel en plus ? » (rires), donc c’est bien d’avoir les deux ensemble.
 


Quel est ton équipement de prédilection en ce moment, celui sans lequel tu ne partirais jamais sur la route ou en studio ? Je pense à tes guitares signature Ibanez Fireman...
Le manche de ces guitares est bien épais, ils donnent un bon sustain (Il joue une note qui dure longtemps) la tonalité est juste extra, facile pour faire des bends. J’ai fait monter un aimant sur les plaques pour coller mon bottleneck qui est très important pour moi car je l’utilise souvent pour mes mélodies, (Il montre comment il utilise le bottleneck). C’est cool d’avoir ce son. Je peux le remettre en place facilement et continuer normalement avec les doigts de la main gauche. J’adore la Fireman. Pour information, j’ai utilisé de petits amplis, car je voulais enregistrer avec l’ampli juste à côté de moi, dans la même pièce de manière à sentir l’air vibrer, mais je n’avais pas besoin que ça sonne fort. Alors, j’ai utilisé un petit ampli Marshall d’1 watt de puissance (rires) et les gens me demandaient « comment tu peux jouer sur un ampli de 1 watt ? » mais je faisais des réglages en son clair auquel j’ajoutais des pédales : mon overdrive signature JHS PG-14, une TC Electronic MojoMojo, une pédale Wah-Wah Crybaby, une Vent qui simule une cabine Leslie qui sonne très bien, une MXR Stereo Chorus et des médiators 0.50mm Tortex très bons pour les pick scratches (frottement de la tranche du médiator le long des cordes - NDLR) et ils sont très bons pour les  grosses rythmiques un peu funky comme sur "A Thunderous Ovation Shook The  Columns", et enfin pour les solos où j’ai une très bonne attaque.

Le mois dernier, nous avons interviewé Richie Kotzen que tu connais très bien, pour sa collaboration avec Adrian Smith. Y-a-il un guitariste avec qui tu serais-prêt à faire une collaboration aujourd’hui ? Andy Timmons dont nous parlions tout à l’heure peut-être ?
La plupart des guitaristes que j’apprécie, j’aime surtout les écouter (rires). Mais sinon, Andy Timmons oui, j’ai toujours pris plaisir à jouer avec lui. J’aime aussi beaucoup Brian May. Il y a tous les grands guitaristes de blues aussi. Le blues est une musique tellement fun pour improviser. J’aime beaucoup Johnny Winter, mais il nous a quittés il y a quelques années maintenant...

Quel est l’élément le plus important que tu enseignes à tes élèves : jouer avec ses émotions, travailler sa technique, apprendre à s’écouter ?
La plupart des choses que je leur apprends, c’est surtout ce qu’ils estiment avoir besoin, ce qui leur manque. La majorité du temps c’est surtout de savoir jouer dans les temps. Savoir compter avant de lancer un morceau, car un nombre important de personnes ne savent pas compter correctement. Donc je leur apprends à avoir le sens du rythme, jouer dans les temps, avoir une certaine dynamique. Je les fais beaucoup travailler là-dessus et leur demande de taper du pied pour s’accompagner.


Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
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