8 mai 2021, 18:15

L7

"Wargasm - The Slash Years 1992-1997"

Album : Wargasm - The Slash Years 1992-1997

Bizarrement, je me rappelle avec une étonnante précision du moment où j’ai acheté mon premier album de L7. C’était le 1er août 1992, chez moi, à Biarritz. Quelques jours après avoir vu le clip du tube "Pretend We’re Dead", et une fois mes cent balles d’argent de poche justement "en poche", je me suis rué aux Nouvelles Galeries (ah c’est bien provincial ça !), rayon disques, entre les rayons maillots de bain et les parasols. Et c’est davantage la dichotomie de la situation qui, avec le recul, me saisit le plus : parce que ce jour là, j’ai acheté deux disques – le « Bricks Are Heavy » de L7 donc, et le « Mane Attraction » de WHITE LION. Pouvait-on faire plus schizophrénique ? Pouvait-on faire plus contradictoire et invraisemblable ? Déjà depuis quatre ans que j’écoutais du hard rock et du metal, je ne me retrouvai pas dans le courrier des lecteurs de mes magazines qui faisaient tout pour entretenir la guerre, tenace, vorace, entre fans de glam et fans de thrash. Une boucherie par lettres interposées qui voyait se confronter deux clans, à une époque, oui, où l’on se mettait déjà ouvertement sur la gueule, sans filtre, l’heure étant aux débats rageurs à la télévision et ailleurs – et ce bien avant les réseaux sociaux et leur lâcheté caractéristique.

Depuis toujours allergique au politiquement correct et à l’immobilisme du centrisme, je me retrouvai pourtant le cul entre deux chaises : j’aimai autant MÖTLEY CRÜE que SLAYER. Autant M.O.D. que RATT. 

Et en 1992, ère des grands bouleversements, je continuai à alimenter ma passion pour les tendances opposées, tout en commençant à renifler ce qu’il se passait ailleurs. En 1992, NIRVANA est littéralement partout, et le spectre du grunge grouille alors des radios françaises généralistes jusque dans les noeuds capillaires des ceux et celles qui s’en accaparaient les codes, sans forcément comprendre. NIRVANA, ce n’est pas encore ma tasse de thé – j’apprendrai à vraiment aimer Kurt Cobain et adorer son groupe au moins dix ans après sa mort, une fois que la mode, dans ce qu’elle a de pire, de nauséabond et de superficiel, soit enfin loin derrière nous. Par contre, ce qui est alors maladroitement vendu comme la version féminine de NIRVANA, j’en tombe raide dingue. Moi qui aime pourtant les filles propres, et les aisselles rasées. Et qui ne jettent pas leur Tampax dans le public.

L7.
Déjà, L7, ce n’est pas Seattle. Du tout.
L7, ça existe depuis 1985, sept ans plus tôt, et leur deuxième album, « Smell The Magic », celui de la révélation, sort en septembre 1990, un an avant tout le bazar. 

Mais évidemment, en 1992, lorsque la tornade grunge est littéralement en train de dévaster le monde occidental en en transformant son paysage culturel, musical, vestimentaire, comportemental, social et idéologique, découvrir un groupe de quatre nanas déjantées, sales, négligées, irrévérencieuses et braillardes, hissées sous les spotlights avec un album produit par Butch Vig, évidemment, ça interpelle. Et sans surprise, elles sont fissa récupérées à temps par tout le Barnum médiatico-industriel qui vient opportunément sortir du placard tout ce qui fait du gros noise en portant des vestes à carreaux, des treillis déchirés et des Doc Martens. 

Originaires de la scène punk-rock radicale, ultra underground, toute aussi sale et déjantée, de Los Angeles, les quatre nanas odorantes et grandes gueules de L7 pratiquent alors un heavy punk-rock boursoufflé de fuzz et de refrains quasi-pop tant ils accrochent et griffent l’oreille, non sans one léchante dose de provoc – et surtout d’humour. Jusqu’à recueillir une reconnaissance globale grâce à la présence du morceau "Shitlist" dans la B.O. du Natural Born Killers d’Oliver Stone, lors d’une scène de folie furieuse avec la délicieuse Juliette Lewis qui, pour le coup, ne pouvait pas camper une meilleure ambassadrice pour le rock estampillé Riot Grrrls des punkettes – les toutes aussi explosives Donita Sparks, Jennifer Finch, Suzi Gardner, et Dee Plakas.

Les années 90, décennie de l’alternatif ironiquement devenue mainstream, L7 "profite" de l’engouement général et tourne sans arrêt, autant à l’affiche de tous les festivals à la Lollapalooza de la planète qu’en club dans toutes les capitales d’Europe – et à de maintes reprises, d’ailleurs, chez nous, entre autres sur le plateau de Nulle Part Ailleurs. Et ce pour promouvoir trois albums clé qui viennent renforcer le postulat « Smell The Magic », et qui se posent comme trois disques incontournables des nineties : « Bricks Are Heavy » donc, suivi en 1994 du monument « Hungry For Stink », et de « The Beauty Process: Triple Platinum » en 1997, qui viendra hélas sceller le début d’une certaine débandade.

Sous la houlette de l’excellent label anglais Cherry Red Records, HNE Recordings propose une excitante anthologie du groupe au cours de ses années de gloire. Si « Smell The Magic » a déjà été revu et corrigé sous une réédition 30e anniversaire l’an passé par son premier label historique Sub Pop, il était donc plus que temps de réhabiliter ces trois albums aussi énergiques que ravageurs – et surtout indispensables, autant de doigts d’honneurs brandis à la face du machisme, du sexisme, du racisme, et globalement de tous les -ismes que viennent dénoncer les activistes contestataires de cette génération ardemment désireuse, enfin, de briser les codes, les tabous, et pisser à flot sur la connerie humaine. 

C’est donc dans un petit coffret cartonné, un digipak qui fait honneur aux pochettes des trois albums et de leurs singles que vient donc d’être publié ce « Wargasm - The Slash Years 1992-1997 ». The Slash Years non pas en hommage au Slash de GUNS N' ROSES (groupe qu’elles méprisent au plus haut point, quasiment autant que leur pote Kurt), mais bien Slash Records, récupéré par Warner Bros., un label né du fanzine punk underground local, qui fut un temps le berceau d’une certaine offensive alternative au courant des années 80 (notamment avec FAITH NO MORE). Quant à "Wargasm", c’est bien le morceau qui ouvre « Bricks Are Heavy », soit une déflagration féministe dont le jeu de mot impose autant leur croisade guerrière que leur droit à la jouissance. 

Si la pochette, coquine pour certains, rappelle celle du « Let Them Eat Pussy » des NASHVILLE PUSSY, dans ce subtil renversement de domination sexuelle, le double intérêt de ce triple-CD est bien de servir de rattrapage à tous ceux qui auraient loupé le groupe à son époque – et pour les complétistes, de récupérer certaines faces B manquantes de leurs singles. En effet, chaque disque est pourvue de trois-quatre morceaux bonus, soit des versions edit, soit de véritables raretés jusqu’alors disponibles au dos des 45-tours ou maxi-singles correspondants. Ainsi retrouvait-on, entre autres, derrière "Monster" une reprise de GUNS N’ ROSES justement, hautement ironique et surtout très sensiblement remaniée : un "I Used To Love Him" de rigueur, les filles de L7 venant renverser la vapeur dans leur combat contre le machisme tout en se payant donc la gueule d’Axl Rose, dont elles n’hésitent pas à ridiculiser le chant dans ses inflexions les plus caractéristiques. 

Bien sûr les connaisseurs possédaient déjà le double album « Fast And Frightening », double compilation assez complète de bon nombre d’inédits, curiosités, lives rares et reprises farfelues, parue en 2016 chez Easy Action. Le tout est donc désormais complet avec la (re)découverte ici de ces "Lopsided Head", "Freak Magnet", "Punk Broke (My Heart)", "Guera" et autres "Worn Out" plus obscurs, sans parler d’une version live de "Baggage" et d’une interview d’époque pour une radio US où les filles sont à l’écoute de questions de leurs auditrices par téléphone.  

Alors une dernière fois, L7 ce n’est assurément pas la version féminine de NIRVANA, et encore moins une alternative maquillée à PEARL JAM – par pitié. L7 descend davantage de SONIC YOUTH, de BLACK FLAG, des MELVINS, des DEAD KENNEDYS, des RAMONES et surtout de Joan Jett. Parce que question refrain, elles doivent tout à l’immédiateté et à l’excitation spontanée des tubes radiophoniques de la Queen Of Noise ultime. Pour preuve une armada de chansons mémorables toutes présentes sur ces trois volets indispensables, entre punk frontal, heavy-rock protubérant et garage-rock, du séminal "Pretend We’re Dead", forcément, à "Off The Wagon", en passant par "Scrap", "Andres", "Stuck Here Again", "Drama" ou le fabuleux "Questioning My Sanity".  

Dois-je encore insister ? Je rêverai d’avoir dix-sept ans à nouveau et de redécouvrir ces quatre nanas incontrôlables qui ont davantage oeuvré pour le rock'n'roll et pour l’intégrité de leurs consoeurs un univers impitoyable trop souvent encombré de clichés et surtout de poseurs ridicules.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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