4 juin 2021, 20:05

MEAN MAN

The Story Of Chris Holmes

Qu’ont donc en commun Loana du Loft et Chris Holmes ? Outre leur blondeur et leurs généreuses proportions, disons l’image cristallisée à jamais de leur acmé médiatique,  instantanément doublée du basculement vers la chute aux enfers avec pour décor une petite piscine de nuit. 

Une "simple" scène de piscine captée par des caméras et qui précipitera tant leur réputation que leur légende. Si pour l’égérie de la télé-réalité tout son mythe de bimbo over-médiatisée s’est emballé grâce à un simple quickie mal filmé de nuit dans une minable piscine hors-sol des studios de la Plaine Saint-Denis, pour le guitar-hero des eighties, c’est à cause d’une interview culte over-alcoolisée à la vodka où toute la débilité, la vanité, la superficialité et les excès de la décennie en cours sont symbolisés en une séquence de n’importe-nawak, campée par une grosse bestiole de près de deux mètres, lardée de cuir et flottant dans un gros siège-bouée en pleine soirée de murge. Et 35 ans après, "on" ne retient de Chris Holmes que cet autre quart d’heure de gloire warholienne – hélas bien plus que ses contributions explosives aux quatre premiers albums de W.A.S.P. au cours de sa première partie de carrière. 

Tout comme le grand public ne retiendra que les scènes les plus invraisemblables – et d’une rare stupidité collective – de la série The Osbournes : la production de MTV, coordonnée par sa si bienveillante Sharon, n’y montre que les plans les plus dégradants au possible de la rock-star, déambulant très difficilement dans son immense hacienda de Beverly Hills dans un cocktail constant de booze et d’anti-dépresseurs (on parle alors de 50 cachetons par jour prescrits par un médecin complaisant). Ozzy Osbourne n’est désormais plus la légende du heavy-metal des quelques trente dernières années et encore moins l’ennemi public numéro un jadis mètre-étalon des plus grand scandales du rock'n'roll : il n’est plus que le Prince of Fuckin’ Darkness en carton pâte d’une génération Disney-Coca-MTV qui s’apprête à glorifier des stars, des gens, de nouvelles stars encore, ou des anonymes, quasiment 24 heures sur 24 sur le petit écran. Désormais Ozzy Osbourne ne se décline plus en t-shirts outranciers, en shows imprévisibles ou en vidéo-clips shock-rock : son avatar et ceux de sa petite famille se décalquent sur mille produits dérivés, de la lunch-box à la trousse d’écolier en passant par de grossières figurines made in China. 

Dans la foulée, tout le monde s’engouffre dans le créneau de la riche famille de rockers soi-disant déjantés : Gene Simmons et le pourtant réputé intègre Dee Snider dans des exercices de style similaires, tandis que Tommy Lee part une saison à l’université (!!!) pour une immersion totale dans un campus, Vince Neil est filmé en pleine chirurgie plastique (à quand le Liposuccion Special ?), Bret Michaels campe les bachelors briseurs de coeurs, etc etc. Et on ne parle même pas des héritières milliardaires inconnues, des Paris Hilton aux Kardashian, qui surfent sur cette nouvelle TV-réalité et qui annonce des vocations chez des ploucs inconnus, de Saint Denis (encore) à Marseille, via Phuket ou Fort Lauderdale. 

Et chez les rockers de troisième catégorie, de drôles d’idées de documentaires fleurissent : filmer ces anti-héros de la galère dans leur zone d’inconfort. Les premiers, oubliés depuis vingt-cinq ans la faute à un heavy-metal aussi lourdaud que peu inspiré, connaitront un semblant de gloire éphémère grâce à un film qui irradiera la communauté metal et même au-delà : ANVIL. ANVIL qui génère la sympathie avec un long-métrage aussi hilarant que souvent touchant, même si un infime degré de moquerie vienne s’immiscer en filigrane. Derrière, plus tragique et indiscret encore : le « Last Days Here » qui peint le portrait du chanteur culte de PENTAGRAM, Bobby Liebling, somme de désespoir, de folie mentale, de snuff movie junkie, de désillusions, et de, enfin, possible rédemption sous forme de happy-end. Et « Last Days Here » n’est pas un rockumentaire sur cette fameuse chute aux enfers : c’est l’immersion même dans le propre enfer d’un chanteur maudit depuis cinquante ans. Si ces portraits sont aussi justes que terriblement réalistes, montés selon une narration forcément dramatique pour tenir le spectateur en haleine, ils sont néanmoins animés par une vraie tendresse et une authentique passion, leurs réalisateurs étant des fans absolus, acharnés et presque masochistes d’avoir misé sur de telles entreprises do it yourself autour de sujets aussi casse-gueule. Mais autant sur « The Story Of Anvil » que sur « Last Days Here », l’amour est là.  

Et tout cela nous amène donc à « Mean Man » : tout cet historique du docu-vérité parfois putassier, trash et sans fard, plus ou moins honnête, et exploité dans toutes les divisions possibles de nos artistes préférés (du groupe de stade aux galériens usagers des TER roumains) était donc nécessaire pour comprendre ce qui a porté la production d’un tel film. 

D’un tel film made in France d’ailleurs : le fan producteur réalisateur du jour est français, et est déjà bien réputé dans le petit monde audiovisuel du reportage metal. Antoine de Montremy ? Fan. Fan de W.A.S.P., le doute n’est même pas permis : nous avions même passé une soirée entière à en parler ensemble lors d’un dîner au Rainbow Bar & Grill de West Hollywood, l’une des incontournables étapes de son road-trip nord-américain pour venir amasser les témoignages des proches de Chris Holmes dans la ville qui l’a vu s’élever parmi les meilleurs guitaristes de la nouvelle génération de musiciens hard-rock de L.A., tout comme ceux de sa famille et de ses potes musiciens, à la seule exception de celle de son ex-patron et ex-partenaire : Blackie Lawless.

Car outre une fâcheuse tendance à l’auto-destruction, à une attitude souvent trop irréfléchie, dangereusement spontanée et candidement terre-à-terre, Holmes qui est certes son propre ennemi, s’est bien fait entuber par le music-business – cette fois non campé par des avocats ou des comptables en costards, mais par un leader autocratique et mégalo qui ne répond en vérité qu’à son véritable nom : Steven Duren. 

Duren / Lawless qui a tout fait pour éclipser de l’attention du public son guitariste à la stature similaire et qui personnifiait totalement le concept de rock'n'roll, entre sexe, danger et excès – là où Blackie Lawless n’est qu’un personnage de scène aux desseins bien plus calculateurs, mais qui avait tout de même écrit un hommage des plus imagé à son camarade Holmes : la chanson "Mean Man", single du chef d’oeuvre « The Headless Children » en 1989, et portrait haut en couleurs de ce "motherfuckin’ man", de ce "kamakazi man", de ce "blond bomber" et de ce "tattooed madman". "Mean Man" qui donne donc son titre à ce nouveau portrait, long-métrage complet et ultra-pro qui raconte à la fois toute l’histoire du guitariste tout en dépeignant son quotidien de musicien repartant de zéro – et d’homme simple expatrié, a long way from home... mais "Forever Free". 

Car Chris Holmes vit depuis quelques années à Cannes : il est marié à Catherine-Sarah, une fan française qui l’a tant aidé à se relever depuis ses abimes personnelles. En se reconstruisant depuis le Sud de la France, le guitariste géant sexagénaire aux faux airs de Charles Manson (dont le faciès trône sur l’une de ses guitares écaillées) est donc suivi "au quotidien" par les caméras d’Antoine : c’est là ce qui se rapproche de toutes les références pré-citées, le contraste de sa vie actuelle étant si saisissant avec ses souvenirs du fastes des années 80 qu’il livre lors d’innombrables séquences interviews. Chris et son épouse avec leur yorkshire Ug (pour "ugly" !), Chris en électron libre au volant, Chris en promenade le long du littoral si loin de Sunset Boulevard, Chris en home-studio en train d’enregistrer de nouveaux morceaux, Chris en tournée à bord d’une Clio attelée à une minuscule remorque de bricolage en guise de tour-bus, aux stricts antipodes de l’Electric Circus de 1986. Entre la déchéance d’une ex-star façon Mickey Rourke dans « The Wrestler » et la pugnacité naïve de Lips dans « The Story Of The Anvil », difficile d’imaginer qu’il s’agit du même homme, au parcours aujourd’hui bien modeste et dépourvu de ses droits d’auteur. 

Et pourtant : le film se construit sur une alternance narrative entre la réalité de cette vie actuelle et de très nombreux chapitres biographiques, pas forcément chronologiques, qui reviennent sur les glorieuses années 80, illustrés par de subtils montages de nombreuses photos, de memorabilia et surtout d’extraits de clips, de lives rares, ou d’interviews d’époque sur MTV. Et rien n’est éludé : de son adolescence à son aventure dans le Los Angeles de la fin des années 70 dans l’ombre de l’explosion de son copain Eddie Van Halen au moment où il rencontre Blackie Lawless, à son retour amer auprès de lui au beau milieu des années 90 pour la tempête shock de « Kill Fuck Die », en passant par son retour sur l’interview piscine de « Metal Years » et mille autres aventures incroyables (généreux, les bonus du Blu-Ray viennent documenter bien d’autres histoires riches en anecdotes : ainsi ignorions-nous qu’il avait passé une audition en 1979 pour devenir le guitariste d’Ozzy par l’entremise de Dana Strum... à la faveur de Randy Rhoads). 

Si le "beautiful loser" brille de sincérité à l’écran et capte forcément toute l’attention, Antoine De Montremy a donc bien pris soin de recueillir d’autres sons de cloche : témoignent ainsi son compère Johnny Rod (bassiste fantasque et peroxydé, dans W.A.S.P. entre 1986 et 92), le batteur Stet Howland (également dans le groupe de 92 à 2006), Scott Ian, Dani Filth, son pote roadie, des copains d’enfance, sa soeur rencontrée dans son ranch du Wyoming, et même sa mère Sandy (déjà auprès de lui au bord de la fameuse piscine en ’87). 

Oscillant entre une certaine tendresse et la spontanéité brute et instinctive de l’homme inapprivoisable, « Mean Man » parvient à capter toute la sagesse d’un colosse abimé et recouvert de tatouages guerriers, autant de blessures infligées par le temps, les désillusions et les excès – mais également toute sa simplicité et sa résilience, l’homme vivant son rock'n'roll au jour le jour, pour le simple plaisir de faire rugir ses Jackson sur de minuscules scènes, de Nantes à la banlieue de Prague, la force tranquille se retransformant instantanément en "wicked child" au gré de quelques modestes concerts, sa silhouette de vieux vétéran reprenant exactement les mêmes poses et dynamiques que celles du monstre blond des années 83-89. Ballotant constamment entre le présent et les souvenirs du passé très copieux en archives, « Mean Man » est aussi le meilleur documentaire jamais initié autour de W.A.S.P. en quarante ans de carrière : certes le projet de Lawless n’a jamais bénéficié d’un véritable analyse historique, mais gageons que ce vrai rockumentaire pensé, produit et réalisé par un immense et humble admirateur du groupe, puisse remplir les espoirs de milliers d’autres fans, même si de manière unanime (compte tenu des différents témoignages) reste complètement à charge contre son tyran – au profit de son si sympathique lieutenant. 

Enfin, même si « Mean Man » est un film 100% français dans sa conceptualisation et sa réalisation, il n’est pour l’heure disponible qu’aux US par la structure Cleopatra : nul doute que les vrais fans iront se précipiter sur internet pour en acquérir sa version Blu-ray et ainsi braver les affres et limites de la distribution internationale.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK