17 juin 2021, 18:17

Billy F Gibbons

"Hardware"

Album : Hardware

Billy Gibbons se paye-t-il ses propres Desert Sessions ? Nul doute sur le besoin naturel du septuagénaire de se retrouver dans un environnement familier pour y élaborer instinctivement son heavy blues rock faussement sophistiqué : les premiers STOOGES auraient-ils pu sonner de la même manière si le Pop et les frères Asheton étaient originaires de Louisiane ? BLACK SABBATH serait-il aussi poisseux et misérable s’il était né sur le Sunset Strip ? La question ne se pose même pas, l’environnement direct étant si fondamentalement déterminant pour le son, la vibe et l’essence même d’un groupe – et de ses albums, véritables reflets d’un vécu, d’une attitude, d’un mojo et même de son ADN. Comme tous ces artistes si influents, Billy Gibbons en solo ne sonnerait certainement pas ainsi s’il s’était enfermé dans un immense complexe à Montreux ou entre les murs de Abbey Road. 

Sans véritablement se mettre en danger, le légendaire hombre qui publie déjà son troisième album solo en six ans (le premier répondait au nom de Billy Gibbons & The BFG’s en 2015) alors que son groupe de référence n’a RIEN sorti depuis 2012 et le pourtant très bon « La Futura » (et ne se contente que de jouer du best-of en tête d’affiche de festivals), éprouve donc ce besoin vital de s’immerger dans de minuscules studios artisanaux au beau milieu du désert. Certainement le plaisir éprouvé à avoir déjà foulé le plancher du bordélique Rancho de la Luna en 2019 à quelques encablures du parc de Joshua Tree, auprès de son nouveau pote Josh Homme (à qui il avait déjà offert un featuring sur le « Lullabies To Paralyze » des QUEENS OF THE STONE AGE en 2005). Et de toutes manières, in extenso, son célèbre trio sudiste ZZ TOP avait toujours exploité l’imagerie et l’aridité du désert de son Texas natal, et ce dès le début, en particulier avec « Rio Grande Mud » en 1972… Originaire de Houston, le groupe était déjà allé chercher un peu plus au sud l’inspiration dans l’âpreté du désert, le Rio Grande souvent asséché séparant ainsi tout la frontière du Lone Star Estate avec le Mexique – les jeunes gens à peine barbus y puisant leur inspiration musicale, outre le blues, en écoutant les radios pirates frontalières (des souvenirs qui forgèrent en leur temps tout le concept de « Antenna » en 1994), une habitude fantasmée également partagée par Homme, qui en a fait à son tour le décor intégral de son chef d’oeuvre « Songs For The Deaf ».

Mais cette fois le Révérend William Frederick Gibbons n’est pas retourné enregistrer auprès du géant roux imberbe dans son Rancho de prédilection, mais bien dans un autre endroit, similaire, isolé de tout, poussiéreux, fait de bric et de broc, aussi authentique et pittoresque, en ne s’entourant que de deux autres camarades, le bassiste Mike Fiorentino et surtout, à nouveau, du batteur Matt Sorum, ex-mercenaire bien connu des GUNS N’ ROSES et VELVET REVOLVER – et que l’on retrouve fréquemment, ces derniers temps, derrière les futs sur des enregistrements davantage home-made, à l’instar de l’album du retour de CHERIE CURRIE. 

Bien sûr les amateurs et fans inconditionnels de ZZ TOP auront de quoi trouver ici un remède à leur impatience, tant l’inspiration ici déployée ne diffère guère drastiquement du groupe principal de son protagoniste : le blues rock est évidemment à l’honneur, tant dans sa forme la plus pure, qu’à travers un filtre plus sophistiqué cher au trio depuis le début des années 80 pour ses succès les plus pop – et surtout à travers les années 90 pour cet équilibre constant entre l’héritage du Delta et la recherche de sons électroniques saturés hybrides, tant piochés chez DEPECHE MODE que du côté de son copain Al Jourgensen de MINISTRY.

Ainsi « Hardware », hommage à Joe Hardy, ingénieur du son historique du groupe depuis le milieu des années 80 (aux côtés du regretté producteur Bill Ham), suit directement la trame musicale "initiée" par le précédent « The Big Bad Blues » en 2018. On y retrouve des compositions typiquement ZZ TOP ("Stackin’ Bones", avec le renfort de LARKIN POE, madame Tyler Bryant à la ville, aux choeurs un poil trop lisses ; mais aussi le typique "I Was A Highway", et plus encore le boogie rock de "Shuffle, Step & Slide"), le son s’inscrivant d’emblée dans la vigueur des derniers albums en date, avec cependant une batterie d’ampleur quasi bonhamienne dès l’introductif "My Lucky Card". Instantanément, le jeu de Billy Gibbons fait mouche : les fans vont fondre comme une frozen Margarita dans son pot de confiture maison à l’écoute de ses licks arides, rouillés et si précis. Quelle classe ! Quelle simplicité ! Quel son ! Si Dusty Hill et Frank Beard ne suivent pas l’affaire en studio, notre héros à la fine silhouette enveloppée d’effluves de cigarillo brille non pas par son inventivité, mais par la dextérité de son jeu, et des solos purement jubilatoires ("She’s On Fire", morceau enlevé qui hélas s’achève bien brutalement malgré une trajectoire que rien ne semblait pouvoir arrêter. Coït Inerruptus).

Impensable de croire que l’inimitable légende est dans sa 72e année tant il parait et sonne fringant, malicieux et si habile. Ici au plus proche de son élément (le blues, maaan, le blues !!!), il tutoie éternellement la modernité avec sa fascination pour ces sonorités plus emphatiques : avec "More-More-More" il flirterait presque avec le metal discoïde d’un Rob Zombie moins offensif – entrain dansant et choeurs féminins obsédants, douce saturation. Ailleurs il s’offre autant une incartade romantique sur la ballade "Vagabond Man", nappée d’orgue Hammond, de blues sudiste, et à nouveau d’un solo à pleurer de feeling – mais également un "West Coast Junkie", shuffle façon psychobilly obscur et canaille. 

Toujours à cheval entre le raffinement technique du studio et la rudesse de son jeu instinctif, "Spanish Fly" est un nouveau blues langoureux aux relents à l’évidence hispaniques, qui mute en restes d’une jam session que l’on imagine totalement improvisée entre les quatre murs boisés sous des loupiotes de fortune, Matt Sorum s’autorisant de prendre le lead avec une démonstration de jeu qui vient galvaniser la troupe : l’instant magique semble bien partagé et capté à chaud. Enfin, hispanique, "Hey Baby, Que Paso" l’est indiscutablement : on imaginerait même le morceau interprété par des instruments plus traditionnels, trompettes et accordéon, et joué au milieu de la petite plaza d’un pueblo anonyme, éclairée par des lampions de couleur, accrochés aux poutres apparentes des habitations en adobe autour, un soir de fiesta du Cinco de Mayo, avec des filles belles comme Salma Hayek qui dansent dans des farandoles de tissus andalous. Le truc magique pour se croire au fin fond du Mexique, un verre de Mezcal à la main, dodelinant gaiment de la tête au son de l’orchestre – une certaine définition du fun, sans fioriture. 

Enfin, plus sombre, "Desert High" se pose comme la dernière étape de son road trip d’initiés, soit un spoken word velouté et ténébreux à la façon d’un Iggy Pop ou d’un Tom Waits, qui vient peindre le dernier tableau de ce désert – le High Desert étant la partie haute du désert Mojave naissant au-dessus de la vallée de Coachella, exactement là où se trouvent les premiers Joshua Trees endémiques – ici mis en musique avec tous ses mystères à peine esquissés.

« Mi corazon is real » chante-t-il comme un jeune homme... indiscutablement Billy Gibbons a-t-il trouvé dans le Rio Grande sa fontaine de Jouvence.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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