21 juin 2021, 18:44

MÖTLEY CRÜE

"Theatre Of Pain" (1985 - Rétro-Chronique)

Album : Theatre Of Pain

Nous sommes en 2021 et cet album fête ses... 36 ans !

21 juin 1985. MÖTLEY CRÜE sort son troisième album, « Theatre Of Pain ». En apparence, tout a changé : la soie et les pois remplacent le cuir et les clous. Le noir mat s’est travesti en rose clinquant… Méconnaissable ! Pourtant, "l’équipe des chiffonniers" reste la même : Vince, Mick, Nikki et Tommy. D’ailleurs, quelques éléments graphiques assurent la transition entre cet album et son apocalyptique prédécesseur, « Shout At The Devil ». Il y a bien sûr le pentagramme, au recto, qui orne le masque qui pleure ; il y a aussi les peintures de guerre, au verso de la pochette : deux traits noirs sous les yeux de Nikki Sixx, deux sur la joue droite de Tommy Lee. Car malgré les apparences festives et le brillant du fuchsia, oui : c’est bien la guerre ! Et le chaos qui va avec. En pire.

21 juin 1985, c’est aussi le premier jour de l’été… et le solstice qui va de pair. Un des jours les plus longs de l'année ; une des nuits les plus courtes, aussi, pour ceux qui festoient jusqu'à l'aube. Le quatuor ne le mesure pas encore, mais le "Théâtre de la douleur" les a fait basculer dans la seconde période de leur existence : l’été, précisément. Il sera caniculaire… et moite. La totale. Exit la fraîcheur printanière de « Too Fast For Love » et "l’innocence" de « Shout At The Devil ». Car impossible de dissocier ce qu’il s’est passé le 8 décembre 1984 de la genèse de « Theatre Of Pain ». Peut-être même de ce qu’il adviendra, plus tard, entre les quatre membres du groupe.
Ce 8 décembre, Vince Neil, ivre, plante sa De Tomaso Pantera ’72 avec toutes les conséquences que l’on sait : la mort de Nicholas "Razzle" Dingley, batteur de HANOI ROCKS, et de sérieuses blessures pour les deux malheureux occupants du véhicule percuté. Les millions ont beau remplir les tiroirs caisses depuis le succès de « Shout » et de la tournée mondiale qui s'ensuivit, c’est un tournant dans l’existence de MÖTLEY CRÜE. Un virage à 180°. L’éclat du groupe, son intégrité, sa jeunesse, sa naïveté et même sa candeur (ne riez pas !) : tout vient de s’évaporer sous les coups de boutoir du soleil. Bien que copieusement imbibés, les quatre membres se trouvent asséchés. Les conneries du gang ont désormais des répercussions dramatiques dans le réel… ce qui ne les empêchera pas de continuer. Mais désormais, ils savent. Ils feront donc tout pour oublier. Ou faire semblant de ne pas se rappeler.

Le bien nommé "Danger" concluait l’opus précédent, en 1983. C’est par "City Boy Blues" qu’ils décident de repartir au combat, deux ans plus tard, armés de porte-jarretelles et de mascara. Les notes syncopées de l’intro mettent graduellement le morceau en pression. Le son est lourd et la voix cristalline. Fragile mais hargneuse, pleine de morgue. La batterie pétille, le refrain est accrocheur, le solo turbulent… L’ambiance est festive, mais on sent bien qu’il y a autre chose, derrière les paillettes, qui gratte à la porte. Quelque chose d’insalubre, de malsain. De fétide même. Ҫa transpire, ça sue, ça pue… et ça met du déodorant par-dessus !
"Smokin’ In The Boys Room", leur célèbre reprise des BROWNSVILLE STATION, confirmera cette volonté de camoufler quelque chose. Le manque d’inspiration, en l’occurrence. Quelques semaines après le drame, de janvier à mai 1985, dans les studios d’enregistrement d’Hollywood, l’ambiance est sinistre : c’est tous contre un et un contre tous ! Vince devient la victime expiatoire de ses meilleurs amis qui, défoncés à longueur de journée, lui reprochent ses addictions ; elles mettraient l’avenir du groupe en péril. Au point qu’ils n’auront même pas pensé à le contacter lors de son incarcération. Encore moins à le soutenir. Le blond devient l’exutoire des trois bruns : c’est lui qui trinque pour toute la bande, alors qu’il sera condamné à entamer une cure de désintoxication. On nage en plein surréalisme… mais pas celui d’Antonin Artaud, dont Nikki Sixx découvrira le concept de "théâtre de la cruauté" à l’occasion de ses fumeuses lectures. Rien ne se perd, tout se transforme : c’est bien l’idée du poète français qui sera à l’origine du titre de l’album de MÖTLEY. Vince en aura une autre ! Du recyclage, là aussi, mais la récupération a du bon (...déjà dans les Eighties) et elle contribuera grandement à sauver l’album. Peut-être même la carrière du groupe.
 


​Alors, tandis que Nikki se vautre dans la dope et se découvre une nouvelle héroïne, tandis que Mick et Tommy comptent paradoxalement et en pleine (in)conscience sur le principal compositeur du CRÜE pour faire perdurer cette orgie de succès, de fric, de sexe et de drogues, tandis que le puissant label Elektra presse ses poulains à bout de souffle pour alimenter sa grosse machine, bref, tandis que l’absurde confine à l’immobilisme, Vince Neil propose une "idée de génie" : reprendre le "Smokin’ In The Boys Room"... qu’il reprenait déjà avec son groupe précédent, ROCK CANDY. Ҫa fera toujours un morceau de moins à composer et, accessoirement, un véritable carton. Sorti en single, l’ode boogie rock à la rébellion adolescente atteindra la 16e place du Billboard Hot 100 américain et deviendra le premier hit du groupe à se classer dans le Top 40. Pas mal.

Porté par un clip résolument fun (VAN HALEN, RATT, TWISTED SISTER & Co s’en donneront également à cœur joie dans les 80’s), les quatre chiffonniers tentent encore de nous convaincre qu’il existe deux mondes bien distincts… et que la réalité ne peut les atteindre, puisqu’ils se trouvent de l’autre côté du miroir. On "the other side". Comme de bien entendu, la lucidité et la clairvoyance de la bande à Nikki permettront au jeune lycéen, héros du clip, d’échapper au conditionnement du système. Et à sa folie. L’aliénation, pour faire court et résumer tout le tralala. La réalité est un peu différente : MÖTLEY CRÜE usera et abusera du système jusqu’à la corde pour promouvoir ce clip ; plus encore celui de "Home Sweet Home". MTV est alors toute puissante et, contrairement à METALLICA, qui refusera très longtemps de se "compromettre" par l’image – tout du moins de la faire passer avant la musique – les Californiens en deviendront dépendants. Une addiction de plus. On n’est pas sorti de l’auberge…

Que dire sur "Home Sweet Home" qui n’ait pas encore été dit ? MÖTLEY CRÜE va accoucher de SA power ballad. Non ! De LA power ballad que tous les groupes de sa génération (Swine ?) vont s’efforcer de reproduire. MÖTLEY y compris, puisque le groupe connaît tous les ingrédients de sa recette ; il va malheureusement oublier la durée de cuisson. Cela nous vaudra deux ou trois mièvreries malheureuses… Quelques notes de piano égrenées par Tommy, une charge émotionnelle progressive, la belle envolée de Mick, des tenues de scène sexy en diable (Shout ?), un bout de sein raboté dans le clip pour contenter MTV : le deuxième single extrait de « Theatre Of Pain » fait un malheur, pour le plus grand bonheur d’Elektra. L’album atteint la 6e place des charts américains ; la 36e au Royaume-Uni. Il s’en écoulera deux millions dans la foulée… deux de plus dans la décennie qui suivra.
MÖTLEY CRÜE devient énorme et ne tourne plus qu’en tête d’affiche. La pyrotechnie est omniprésente (Vince, Mick et Nikki y laisseront quelques plumes… en satin !), tandis que la batterie de Tommy commence doucement à échapper à la gravité… même si elle n’est pas encore équipée de fusées. Cela viendra. Pourtant, ils sont déjà tout proches du sommet, et ce sont désormais leurs anciennes idoles de CHEAP TRICK qui ouvrent pour eux. Alors, c’est peut-être que l’album n’est pas aussi mauvais que certains ont bien voulu le dire, au moment de sa sortie ?

C’est vrai : la production de Tom Werman est un peu faiblarde. Fade, même. Oui, l’harmonica et les maracas se sont invités sur cet album, là où les seules tronçonneuses avaient droit de cité du temps de « Too Fast » ou de « Shout ». Pourtant, si le look "Mad Max" a bel et bien fini au placard, le glam metal du « Theatre » reste puissant. Pour ceux qui ont découvert le titre sur vinyle, "Tonight" attaquait la face B et prenait place juste après "Home Sweet Home", histoire de nous remettre dans le droit chemin rapidos. Gros son pour la guitare de Mick. Derrière, la batterie et la basse dépotent. Vince, entêtant, martèle à qui veut l’entendre qu’il ne veut – surtout – pas passer sa nuit tout seul, ce soir. Des claviers soutiennent les puissants riffs venus de Mars et l’emmènent graduellement jusqu’à l’explosion finale : un court solo, viril et planant. Un condensé d’émotions en quelques secondes. Suivent des chœurs bien sucrés, presque féminins, qui nous permettent de sortir tout doucement de la ouate (watt ?) avant que Vince, insatiable, ne reprenne ses invectives. La batterie fait alors mine de calmer le jeu, puis repositionne le morceau, accélère progressivement et ça pilonne sévère jusqu’au bout, de plus en plus vite, comme un marteau-piqueur, la basse caracole... C’est clair : "we need a lover" ! L’un des meilleurs titres du CRÜE ! Toutes périodes confondues.

Ce ne sera pas le seul. Avec ses power chords qui claquent, ses cloches qui tintent et ses maracas qui frétillent, l’imparable "Keep Your Eye On The Money" nous rappelle que la voie de MÖTLEY est alors toute tracée : "black jack, roulette", on joue sa vie à pile ou face ! Ce sera "entertainment or death", le titre originel de « Theatre Of Pain »… au grand dam de Doug Thaler, le manager, qui avait eu la bonne idée de se le faire tatouer avant que Nikki Sixx ne fasse connaissance avec Antonin Artaud.
"Louder Than Hell" est une autre perle de l’album. Sa démo date de l’époque « Shout At The Devil » (… toujours le manque d’inspiration). Le titre était alors plus lourd, le tempo moins rapide. Et s’il était déjà question d’enfer, la maquette de travail reprenait le titre du deuxième album de KISS (« Hotter Than Hell »), tandis que le morceau définitif évoluera en "Louder Than Hell". S’il a été passé à la "moulinette glam" (plus nuancé, plus coloré, plus pétillant), le titre reste malgré tout puissant. La voix de Vince est hargneuse, la guitare rythmique tranchante, les pistes de batterie variées… dommage, toutefois, que l’on n’entende pas autant la basse que sur la démo. Et puis, il y a aussi ce moment où Vince mêle sa voix à la guitare pour l’envolée solo de Mick : TOP... comme Theatre Of Pain ! Excellent morceau. Complètement sous-estimé, lui aussi. Comme l’album, en réalité.

Pas étonnant, au final, que les déjantés Jackass soient des fans de MÖTLEY CRÜE, ni que Jeff Tremaine, fondateur de l’équipe en 1999, ne devienne le réalisateur de « The Dirt », la bio des Chiffonniers, vingt ans plus tard. L’univers masochiste de Jackass entremêle intimement le plaisir et la douleur, les rendant indissociables. Une véritable fusion, l’un ne pouvant exister sans l’autre… ça n’aurait plus de sens !
Un masque qui rit, un masque qui pleure : la "fête" est tellement extrême que la mort rôde constamment, dans l’univers du CRÜE. Au point de ne plus étonner personne. Mais comment ne pas se saborder en permanence, lorsque la colonne vertébrale fait défaut ? Que les failles psychiques sont béantes ? Il faut combler le trou coûte que coûte. Quitte à y laisser sa peau. Tout sauf le vide : "entertainment or death" ! C’est cela, la véritable histoire de « Theatre Of Pain ».

Alors, au-delà des qualités musicales intrinsèques à ce troisième album, le grand mérite et la plus grande réussite de Vince, Mick, Nikki et Tommy aura été de ne pas sombrer, dans cette période ô combien instable. D’avoir marché sur le fil des années durant… sans avoir la moindre notion d’équilibre. D’avoir enregistré un album deux ans après « Shout », deux ans avant « Girls ». C’est là qu’ils toucheront le fond, lorsque le cœur de Nikki cessera de battre. Une miraculeuse injection d’adrénaline leur permettra de réaliser que c’était l’ultime avertissement. Ce sera le masque qui rit OU le masque qui pleure. Pas les deux en même temps : c’est intenable. Il sera alors grand temps de faire des choix et de "couper"...

Pour aller plus loin :
« Too Fast For Love » (1981)
« Shout At The Devil » (1983)
« Theatre Of Pain » (1985)
« Girls, Girls, Girls » (1987)
« Dr. Feelgood » (1989)
« Mötley Crüe » (1994)
« Generation Swine » (1997)
« New Tattoo » (2000)
« Saints Of Los Angeles » (2008)

• « Uncensored », VHS et Laser Disc... pour ceux qui possèdent encore les appareils permettant de les lire ! (1986)
• « Theatre Of Pain » / réédition "Crücial Crüe" (1999) : peu d’inédits… heu… aucun, en fait, le groupe étant à sec côté inspiration. Pas de rab’, donc : toutes les compos figureront sur l’album. Quelques démos et versions alternatives, cependant.

• The Dirt, le livre, avec Neil Strauss (2001)
• The Dirt, le film, par Jeff Tremaine (2019)
• « The Dirt », l’album (2019)

Et pour faire râler tous ceux qui auraient aimé voir MÖTLEY CRÜE à cette époque, petit rappel des dates françaises du "Theatre Of Pain Tour" 1986 (dingue !) :
02/02 : Strasbourg (Hall Rhenus)
03/02 : Lanne (Hall 18)
28/02 : Lyon (Bourse du Travail)
01/03 : Clermont-Ferrand (Maison des Sports)
02/03 : Nantes (Palais de la Beaujoire)
03/03 : Paris (Le Zénith... avec Phil Collen (DEF LEPPARD) et Warren de Martini (RATT) en rappel, pour une reprise du "Jailhouse Rock" d’Elvis Presley)
 



Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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