25 juin 2021, 17:45

THY CATAFALQUE

"Vadak"

Album : Vadak

Vous n'avez peut-être jamais entendu parlé de THY CATAFALQUE et pourtant ce groupe tout droit venu de Hongrie n'en est pas à son premier méfait. En effet, « Vadak », l'album dont il est question ici est le dixième du groupe. Ou plutôt le projet du chanteur et claviériste Tamás Kátai qui depuis le cinquième album « Rengeteg » en 2011, a décidé de se lancer dans une carrière solo en s'entourant de musiciens invités. Avant cela, il avait fondé THY CATAFALQUE en 1998 avec le guitariste et bassiste János Juhász. Si initialement, le groupe officiait dans le black metal, il a, au fil des albums évolué dans des directions très différentes afin d'explorer le champ des possibles. Il en résulte aujourd'hui un album qui entremêle des éléments issus d'un vaste éventail de genres musicaux sans rapport à première vue les uns avec les autres qui vont du jazz à la pop, en passant par le folk, et tout ce qui s'y trouve entre les deux. Avec « Navak », THY CATAFALQUE crée une nouvelle œuvre ésotérique dont l'éclectisme brises les codes et dépasse les frontières d'un style prédéfini. En hongrois, « Vadak » signifie "sauvageons". Ce titre donne ainsi délibérément un indice sur l'essence exotique et sauvage de l'album. L'immensité de cet espace sauvage qu'explore THY CATAFALQUE se ressent dès la photo de la pochette qui représente au premier plan une jeune femme en habit traditionnel. Assise au bord d'une falaise, elle regarde par dessus son épaule l'objectif qui la photographie sur fond de montagnes en arrière plan, sur lesquelles s’étend une forêt qui semble infinie. De cette pochette semble se dégager une forme de pureté sauvage. C'est peut-être aussi ce que l'auteur a recherché à transparaître au travers des compositions de cet album. Sur le plan thématique, « Vadak » est une leçon inquiétante sur la mortalité. Soulignant la fragilité partagée par l'homme et l'animal, le disque explore nos instincts de vie freudiens, dans lesquels la peur nous fait intrinsèquement fuir la finalité ultime de notre existence, à savoir la mort.

Cette œuvre que l'on peut qualifier d'avant-garde metal commence par "Szarvas" (Cerf). Introduit par un son electro lointain qui s’amplifie crescendo pour déboucher sur un riff de guitare. Le titre se développe sur un rythme soutenu tout en proposant une musicalité épique. Le chant assuré par Gábor Dudás alterne entre saturé et clair mais martial, qui n'est pas sans rappeler RAMMSTEIN. Le titre  propose aussi une superbe vidéo qui filme l'immensité de la forêt dans laquelle une énigmatique fumée noire apparaît par intermittence tout comme cette silhouette humaine que l'on finit par identifier comme celle d'une femme. Derrière ce titre, cette fumée noire peut être interprétée comme la disparition de nos forêts mises à mal par le réchauffement climatique. Forêts, dont la majesté du grand cerf d'Europe en est le symbole et qui pourrait expliquer le titre de ce morceau. Toutefois, une lueur d'espoir semble possible avec le plan final qui montre la silhouette de cette femme face à l'océan, regardant vers le large. 

Avec "Köszöntsd a Hajnalt" (Saluer l'aube), on change de registre. Le morceau commence avec la voix de Martina Veronika Horváth en forme de chant traditionnel slave qui est rapidement rejointe par une mélodie jouée à la cornemuse interprétée par Andrei Oltean "Solomonar". Si l'utilisation de cet instrument rappelle NIGHTWISH, le solo de guitare de Breno Machado sur fond d'ambiance jouée au clavier rappelle fortement THE GATHERING. "Gömböc" est un instrumental puissant et rhytmé avec des accents indus et tribal. Si l'intro de "Az energiamegmaradás Törvénye" (loi de conservation de l'énergie) laisse penser à une voix elfique qui vise à nous emmener dans un univers envoûtant, il n'en est rien. Si la superbe musicalité du morceau ne fait aucun doute, c'est l'esprit de DESTRUCTION époque « Infernal Overkill » et « Eternal Devastation » qui transparaît pour se terminer tout en contraste sur une note apaisante portée par la voix du début. "Móló" (quai) est basé sur une mélodie au clavier qui alterne avec des passages plus heavy et un chant black assuré par Gábor Veres. "A kupolaváros Titka" (le secret de la ville Dôme) est un morceau jazz dans lequel on peut entendre un superbe solo de saxophone exécuté par Patricio Böttcher. "Kiscsikó (Irénke dala)" (Petite Mésange (chanson d'Irénke)) est le second instrumental de l'album qui commence de manière rythmée et soutenue avant un passage plus calme joué à la guitare acoustique par Carolina Díez au milieu du morceau. Les parties de saxophone, trompette et trombone sont l’œuvre d'Artem Koryapin. "Piros-sárga" (rouge et jaune) est un titre dont le chant d'András Vörös fait écho à KORPIKLAANI. On y retrouve des cors joués par Dadan Bogdanovi, mais aussi plusieurs instruments traditionnels tel que le duduk, sorte de hautbois devenu symbole de la musique arménienne, joué par Sean Pádraig. Mais aussi, un ensemble de percussions formé par la tabla, un petit tambour issu du nord de l'Inde ; le dumbek, un genre de djembé venu d'Egypte et le riq, un tambourin du Moyen-Orient qui est joué par Loay Makhoul. "Vadak (Az átváltozás rítusai)" (Sauvage (rites de transformation)) qui donne son nom à l'album, est aussi la piste la plus longue. Le chant de Breno Machado sur le premier plan du morceau qui se développe sur un rythme black metal semble invoquer Quorton, tandis que le violon de Chris Lyons associé à la voix claire de Martina Veronika Horváth contraste sur un second plan plus jazzy qui rappelle la musique traditionnelle slave. "Zúzmara" (givre) termine cet album sur une note mélancolique basée sur le violoncelle de Artem Litovchenko et la voix aérienne de Martina Veronika Horváth.

Pour son dixième album, THY CATAFALQUE délivre une œuvre collective d'une grande richesse. Ce melting-pot musical propose dix titres d'une grande diversité et démontre que black metal, musique traditionnel et jazz peuvent cohabiter de manière parfaitement cohérente au sein d'un même morceau. Entouré par pas moins de 16 musiciens, Tamás Kátai se révèle bien plus qu'un compositeur visionnaire. Il s'est chargé lui-même de mixer cet album enregistré en Hongrie (Budapest), en Ecosse (Edimbourg), en Serbie (Novi Sad), en Roumanie (Cluj-Napoca), en Ukraine (Kharkov), en Russie (Touapsé), en Espagne (Alicante), en Suisse (Quarten), en Israël (Haïfa), aux Etats-Unis (Austin), au Brésil (São Paulo) et en Argentine (Buenos Aires), tandis que Colin Davis s'est chargé du mastering. « Vadak » est au final une œuvre internationale d'une grande cohérence que l'on vous invite vivement à découvrir. 

L'ampleur de ce travail est un bel exemple du message de Marike Jager, auteure compositrice néerlandaise dans son dernier single intitulé "Useless" (Inutile). Réduit au rang d'activité non-essentielle, la musique n'en demeure pas moins merveilleuse. Merveilleux aussi ces moments de partage que font vivre les musiciens en faisant vibrer l'auditeur et qui donne tout son sens à quelque chose d’intrinsèquement ESSENTIEL : la musique.

Blogger : Bruno Cuvelier
Au sujet de l'auteur
Bruno Cuvelier
Son intérêt pour le hard rock est né en 1980 avec "Back In Black". Rapidement, il explore le heavy metal et ses ramifications qui l’amèneront à devenir fan de METALLICA jusqu'au "Black Album". Anti-conformiste et novateur, le groupe représente à ses yeux une excellente synthèse de tous les styles de metal qui foisonnent à cette époque. En parallèle, c'est aussi la découverte des salles de concert et des festivals qui le passionnent. L'arrivée d'Anneke van Giersbergen au sein de THE GATHERING en 1995 marquera une étape importante dans son parcours, puisqu'il suit leurs carrières respectives depuis lors. En 2014, il crée une communauté internationale de fans avant que leur retour sur scène en juin 2018 ne l'amène à rejoindre HARD FORCE. Occasionnellement animateur radio, il aime voyager et faire partager sa passion pour la musique.
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