26 août 2021, 13:26

DANKO JONES

Interview Danko Jones

Parfois la vie est injuste. Oh, vous l’avez probablement déjà expérimenté à vos dépens, mais d’autres ruminent amèrement une certain sentiment d’amertume, d’incompréhension, de fatalité scélérate.
D’abord, 2021, comme pour beaucoup d’autres groupes, aurait dû être une année de célébration, de fête : celle des 25 années d’existence de DANKO JONES – le groupe. Un groupe qui porte le nom de son frontman habituellement aussi déchainé sur scène qu’il peut étonnamment se montrer calme et réservé à l’abri des foules.
Mais DANKO JONES, le groupe toujours, on insiste, à l’instar d’un MOTÖRHEAD ou des RAMONES, est aux yeux et aux oreilles d’une majorité d’observateurs aguerris aux quatre coins du monde ce qui se rapproche le plus de la définition la plus parfaite de ce que DOIT être un groupe de rock'n'roll. Soit l’incarnation et la personnification absolue de cette recette, équation d’énergie, de fureur, de détermination, d’attitude, de morgue, d’irrévérence, de décibels, de sexe, d’insoumission, d’absence totale de compromis – et surtout de chansons de moins de trois minutes.

Danko Jones : l’injustice, donc. Si Danko Jones, l’homme, est très généreux avec ses fans – et surtout avec lui-même – en tournant inlassablement tout autour du monde depuis un quart de siècle, comme une mission, comme un sacerdoce, alors le public éphémère et profane qui le découvre, lui, est souvent pétri d’ingratitude. Allons : Danko Jones, vous l’avez vu au moins une fois quelque part. Sinon vous ne fréquentez pas les concerts. Entre 14h15 et 15 heures à l’affiche de n’importe quel festival européen, en première partie d’une star dans un Zénith ou même à Bercy – et seuls les initiés l’auront vu strictement partout, dans un Nouveau Casino, des Trabendo, une Maroquinerie, et j’en passe. Ne détournez pas le regard, les novices : à chaque fois vous vous êtes pris une claque. Méchante même. Une monumentale gifle comme celles qu’il s’administrait jadis sur les planches au pinacle de ses prestations si intenses, le personnage vivant le lâcher prise à son summum, entre gouaille, arrogance, blagues potaches, bries de spoken words, roublardise faussement machiste, second degré et grande gueule assumée. Une gifle qui vous a fait interroger sur la rareté d’un tel divertissement. Rare, unique, intègre, impétueux, robuste, habité, vrai – et que ouais, vous aviez trouvé la perle rare, le lien improbable entre Bon Scott, Henry Rollins, Gene Simmons, Glenn Danzig, Phil Lynott et Lemmy. Rien que ça, à peine troublé par un fin voile métisse vaguement asiatique. Un condensé d’énergie brute dans un uniforme jean-chemise noir trempé par la sueur, boule à Z, bracelets de force, jugulaire saillante, regard malin et prédateur, langue rose pendante et turgescente.

« La vache ! ». « Le choc ! ». « Quelle bête de scène !!! ». Des punch-lines et des expressions abasourdies on pourrait en noter des dizaines à chaque sortie de scène, les kids fraichement dépucelés par le Danko ayant tout juste découvert un nouveau héros / hérault du rock'n'roll. Seulement voilà, LA grande question qui blesse : pourquoi ses singles ne squattent-ils pas le Top 30 ? Pourquoi revient-il jouer dans des salles toujours trop petites ? Pourquoi ne retient-on du Canada que NICKELBACK, tabernacle, et que Danko Jones reste un inconnu dans son pays et ailleurs ? Pourquoi la médiocrité triomphe-t-elle toujours aussi crânement et que les vrais artisans appliqués se contentent de l’ombre ?
Cette interview fleuve ne répondra hélas pas à ces interrogations et ne résoudra pas notre problème. Reste que le personnage, si généreux sur ces planches dont tout le monde a donc été le témoin au moins une fois, nous a à nouveau gâtés. On se connait bien avec le DK, cet entretien était loin d’être la première, mais n’empêche : en une demi-heure d’interview calée par la maison de disques, sur Zoom forcément, je n’avais pas pu poser la moitié de mes questions, tant il m’en restait encore à découvrir sur notre noble artisan stakhanoviste. Gentleman, Danko me rappellera quelques jours plus tard pour honorer sa promesse et donc une deuxième partie d’entretien qui, au total se sera déroulé sur un peu plus d’une heure.
Et il fallait bien ça, à notre tour, pour célébrer non seulement ce fameux 25e anniversaire, mais aussi et surtout la sortie de son 10e album au titre définitif : « Power Trio ».

 

« Ne pas se reposer sur nos lauriers : voilà comment on célèbre notre 25e anniversaire ! »

 

« Born A Lion » : né tel un lion, c’était le titre de ton premier album. Pour la majeure partie de 2020 et de 2021, le lion a été enfermé dans une cage. Comment as-tu ressenti ce quotidien morose ? J’imagine entre espoir, frustration et certainement désespoir ?
Danko Jones : Oui je n’étais pas dans un mood vraiment très positif... Je n’ai pas fait grand chose ; j’étais paralysé par la peur et par l’anxiété pendant une bonne partie de la pandémie et il aura fallu que JC (John Calabrese, bassiste et co-fondateur historique, pas moi – NDJ) insiste pour que nous fassions un nouvel album pour que je me bouge enfin le cul afin de faire quelque chose. En fait, en réalité, j’enregistrais déjà mon podcast hebdomadaire qui me permettait quelque part de m’occuper un peu l’esprit alors que j’étais obsédé à regarder les news sur les avancées du vaccin, et globalement sur toute la pandémie. Ce n’est donc qu’à l’été 2020 que j’ai commencé à travailler sur l’album, après que JC m’ait suggéré de louer des heures de studio pour l’automne – et donc il fallait l’écrire au cours de l’été ! Alors autant je ne voulais pas vraiment le faire en premier lieu, ça m’a quand même libéré l’esprit de cette pandémie pendant un moment et par conséquent de nous concentrer sur des chansons. Et parce qu’il n’y avait strictement rien d’autre à faire. Nous n’avions rien d’autre à faire à part bouffer et regarder la TV. Je ne foutais vraiment pas grand chose d’autre. Et donc d’une certaine manière tout ce moment isolé nous a permis de vivre plus longtemps avec ces chansons et de prendre davantage de temps à les travailler. On a écrit ces chansons en plein confinement, éloignés les uns des autres – ce que nous n’avions jamais fait, puisque nous écrivons toujours tous ensemble enfermés dans une pièce ! Et ça peut parfois être un processus ennuyant puisque souvent on jamme pendant des heures sans rien trouver. Je ne pensais pas que ça pourrait marcher ainsi, jusqu’à ce que la première idée ne survienne alors que l'on était en isolement, et qu'elle aboutisse sur le morceau ''Blue Jean Denim Jumpsuit'' : j’avais trouvé le riff de guitare et JC l’a par la suite arrangé, avant de trouver le bon beat sur un métronome afin que Rich puisse caler sa batterie dessus. Jusqu’alors, je n’étais pas plus impressionné que ça par le morceau, mais une fois la batterie enregistrée pour la démo, elle sonnait quasiment telle que sur l’album. Et j’ai été soufflé. C’est là qu'on a tous réalisé qu’on pourrait vraiment enregistrer cet album en étant isolés, alors que nous en étions très sceptiques. Avant même que le confinement ne survienne, avant même que tout ce merdier n’arrive, nous étions déjà dans un mode d’écriture : nous avions cinq-six idées qui ont fini par aboutir. Mais le confinement est arrivé et ça nous a sacrément refroidis. On était dans une dynamique et tout à coup, plus rien. Mais on a donc pu utiliser ces idées pour des chansons qui sont devenues ''Ship Of Lies'', ''Good Lookin’ Woman'', ''Let’s Rock Together'', originellement nées de jams d’avant la pandémie. Alors que ''Blue Jean Denim Jumpsuit'', ''I Want Out'', ''Start The Show'' ont été écrites pendant le confinement. Mais tout a été assemblé, arrangé et enregistré sous formes de démos pendant la pandémie.

D’un côté tu as donc JC qui a agi comme un détonateur pour vous remettre au travail, et de l’autre vous avez dû vous faire à une nouvelle manière de travailler : quelque part ça a dû représenter un sacré challenge que de sortir de votre ''routine'' habituelle non ?
Oui ça a été un challenge mais sans qu’on le ressente comme tel : c’est juste que l’on n’avait rien d’autre à faire, et pas comme si j’avais le couteau sous la gorge, comme d’habitude puisque tout doit être normalement écrit avant que la tournée ne démarre ! Là rien ne se passait !!! Alors même si j’ai utilisé du vieil équipement – JC m’a filé des trucs complètement démodés parce que je n’avais RIEN : je n’avais aucune machine pour pouvoir enregistrer mes guitares sur mon ordinateur. Il m’a donc donné tous ces trucs obsolètes qui plantaient régulièrement : et pour des trucs qui normalement ne me prenaient que dix minutes à faire, là ça me prenait des heures et des heures et des heures. Et ça ne nous a en rien arrêtés – même si ça aurait pu, si j’avais insisté que je ne voulais rien faire du tout... mais JC m’a bien botté le cul.
 


On parle assez peu de l’alchimie spéciale que tu partages avec ton éternel partenaire JC : la lumière repose toujours sur le frontman, mais ces 25 années d’histoire résultent indiscutablement de votre relation. Sur quels aspects particuliers contribue-t-il à l’essence même de DANKO JONES ?
Oui... les gens qui ne connaissent pas le groupe pensent que c’est un truc en solo... et que j’agis seul ; (rires !) rien ne peut être plus éloigné de la vérité ! On provient de la scène punk garage des années 90 – et l’une des façons de se démarquer à l’époque était de ne PAS nommer son groupe avec un ''The'' devant. Il y avait THE MAKERS, THE BLEJEANS, THE DIRT BOMBS, THE NEW BOMB TURKS, THE HIVES, THE WHITE STRIPES, THE GORIES, THE BLUES EXPLOSION : tous ces groupes étaient précédés d’un ''The'' ! C’était sans fin, vraiment ! Alors même si l’accent est souvent porté sur le chanteur ou sur le tandem chanteur/guitariste, on s’est dit qu’on allait complètement faire différemment de cette mode de groupes ''en The''. C’est donc bien un groupe parce que JC et moi avons formé ce truc ensemble depuis le début. En fait c’est vraiment lui qui tient la barre : comme on l’a dit, c’est lui qui a été à l’initiative de notre nouvel album, il a été le manager du groupe pendant des années, jusqu’en 2009-2010, et il continue encore à gérer nos affaires sur certains aspects. On connaît aussi très bien nos limites, nos espaces de juridiction : moi je me charge de répondre aux interviews parce que je suis le frontman – et tout le monde croit donc que je suis en solo... En réalité je suis le visage de ce projet, et j’en parle, et j’ai une grande gueule, et j’aime en parler, et j’aime parler de rock, alors ça a du sens ; alors que lui, autant il adore jouer sur scène et aime tant la musique, et qu’il participe à l’écriture et aux arrangements, il aime gérer le côté administratif du truc ainsi que tout ce qui se passe en coulisse alors que moi je trouve ça extraordinairement ennuyeux. Alors c’est cool qu’on puisse fonctionner de cette manière depuis toutes ces années : tu apprends à connaître tes limites lorsque tu travailles avec une autre personne ; il y a un tel respect mutuel... Des erreurs ont été commises de chacun de nos côtés mais aucun de nous deux n’a blasé l’autre : on continue à avancer, c’est comme ça que l’on travaille en équipe, entre partenaires. Je vois aussi toute la cupidité qui survient dans un groupe qui se sépare et il n’y a rien de tel entre nous : on a toujours adopté une éthique punk-rock ainsi qu’une manière de fonctionner propre, tout est équitablement partagé, peu importe ce qu’untel a apporté dans une composition – tout ce qui compte c’est que l’on écrive la meilleure chanson et le meilleur album possibles.

« Power Trio » est dans aucun doute une affirmation de ce que vous êtes intrinsèquement. Il n’y a rien d’autre au monde que ce rock'n'roll frontal que vous voulez jouer, et la pochette de l’album le souligne d’autant plus, comme un symbole scientifique : l’électricité est au centre même d’une molécule, comme l’ADN même du rock'n'roll !
Je pense que tu aimes la pochette davantage que moi ! (rires), même si elle est cool... Ce qu’on a voulu faire pour se démarquer de l’album précédent, « A Rock Supreme », où la pochette était vraiment très travaillée – et je l’adorais vraiment, probablement la plus belle pochette de tous nos disques – c’était donc de revenir à quelque chose de très simple, de très sobre, et ça souligne par conséquent le titre et son concept – et espérons-le sa musique. Parfois en-dehors de certaines esthétiques, la façon de faire la plus simple reste la meilleure : et un ensemble de trois, un power-trio, c’est direct, sans fioritures.

Alors que « Power Trio » s’inscrit comme le 10e album du groupe et coïncide avec ses 25 ans de carrière, aviez-vous en tête de surpasser tous vos précédents albums, comme un postulat symbolique ? Je ne sais pas si c’est la frustration, la rage, le talent, l’expérience, mais je le trouve encore meilleur, plus affûté, plus tendu, plus concentré et intense que jamais...
Eh bien je suis tout à fait d’accord. Autant j’ai pu me montrer très sceptique en premier lieu, au tout début du processus d’écriture, autant le résultat final est bluffant : je n’arrive pas à croire qu’on ait pu réaliser ça. Il tient parfaitement la comparaison avec d’autres albums qui ont pu être conçus pendant la pandémie... et c’est même peut-être le meilleur ! Alors oui je suis d’accord avec toi ! Mais en même temps on essaie de faire aussi bien avec chacun de nos albums, comme chaque groupe d’ailleurs ! Leur nouvel album est toujours leur meilleur effort ! En même temps ça reste toujours la meilleure manière d’avancer : tu ne veux pas vraiment que ton nouvel album soit deux crans en-dessous que le précédent ! On essaie toujours de se surpasser ; mais il reste que tout ce temps libre, ou plus exactement tout ce temps libre forcé à rester à la maison, m’a permis de davantage me concentrer sur des solos : j’avais des jours entiers devant moi pour en venir à bout, sans avoir rien d’autre à faire ! Ou bien les paroles : je pouvais réfléchir pendant des jours à tel ou tel couplet avant de tenir le bon ! Alors qu’avant il fallait que je termine mes paroles tout en pensant à préparer mes affaires avant de partir en tournée – il pouvait se passer des millions de choses en même temps ! Alors avec rien d’autre à se mettre sous la dent en-dehors de la peur, eh bien tu te hisses dans une nouvelle direction. Alors ouais, maintenant j’écoute l’album sur une base quotidienne depuis qu’il a été masterisé en octobre dernier – donc je vis avec ce truc depuis des mois ! Et je pense que oui, c’est bien l’album le plus solide que nous ayons jamais sorti, ou tout du moins le plus consistant sur toute sa durée : il peut y avoir de meilleures chansons sur d’autres albums, mais les autres chansons qui pouvaient les entourer n’étaient pas du même calibre – ici c’est le cas.

Encore une fois l’album repose sur une formule efficace d’un KISS infusé de la sexualité de Gene Simmons, de THIN LIZZY et d’AC/DC, le tout accéléré par une bonne attitude punk-rock et gorgé de l’intégrité de MOTÖRHEAD. Un jour, vous aviez néanmoins tenté d’élargir votre recette : l’album « Never Too Loud » était assez unique au sein de votre discographie. Regrettes-tu encore certains de ces choix – ou aimerais-tu à nouveau expérimenter de nouvelles choses dans cette voie ? Ou peut-être avec un autre groupe ? Un side-project ?
Tu sais juste avant que « Never Too Loud » ne sorte j’étais soucieux. Soucieux de savoir comment les gens allaient l’appréhender. Et ça c’était déjà un indicateur comme quoi je n’étais pas totalement satisfait de l’album. Je n’y croyais pas complètement. Depuis que Rich Knox a intégré le groupe, depuis « Fire Music », « Wild Cat », « A Rock Supreme » et maintenant celui-ci, je n’ai jamais ressenti de telles choses. Mais avec du recul, je suis heureux que l’on ait fait « Never Too Loud » – bien sûr ça fait déjà un peu plus de douze ans qu’il est sorti et c’est plus facile pour moi de dire ça – pourtant à l’époque j’étais vraiment déçu. Après dans toute discographie il y a des moments forts et d’autres plus faibles : les groupes que j’admire ne sont pas à l’épreuve des balles, ils ont des albums merdiques à leur actif. Et c’est bien une confirmation qu’ils ont tout de même une certaine valeur et qu’ils démontrent que les groupes sont bien humains ! Après, ça craint à mort s’il s’agit de leur dernier album ! Mais bon, pour nous ça fait déjà six albums depuis « Never Too Loud » et ça laisse suffisamment d’espace avec lui pour que je puisse dire « voilà, on l’a fait, et c’est comme ça ».
En terme de side-projects, JC et moi avons réalisé un truc avec des gars du groupe CIRCLE il y a quatre ans, un groupe qui s’est appelé IRON MAGAZINE et avec lequel on a sorti un EP quatre titres ; depuis, on a échangé des idées avec eux et on est en train de réfléchir à sa suite. On a déjà quelques chansons en cours. Et en septembre dernier, j’avais aussi sorti mon propre projet THROAT FUNERAL qui n’est rien d’autre que du noise : je l’ai diffusé sur Bandcamp pendant deux mois et ensuite je l’ai retiré. Ceux qui l’on acheté l’ont, et pour les autres il n’y a aucun autre moyen de se le procurer. Je le ressortirai probablement lorsque je sortirai le deuxième album de THROAT FUNERAL qui est déjà à moitié terminé : c’est une collaboration avec un de mes amis et ça reste du pur noise. Sur le premier tu avais Jørgen Munkeby de SHINING qui jouait du saxophone, mais aussi Tanya Tagaq et Tad Doyle, du groupe TAD, et donc moi-même, où tu peux nous entendre hurler les uns sur les autres par dessus du saxo. Et tout ça c’est sur un album qui s’appelle « OU812112 ». Aujourd’hui, sur la page Bandcamp de THROAT FUNERAL tu peux trouver un nouveau single qui est téléchargeable gratuitement : il s’agit de deux reprises : le ''Cherish'' de KOOL & THE GANG et une chanson de la comédie musicale Annie.

Ah ah ah ! On va aller écouter tout ça alors !
Ouais c’est du noise vocal. Faites attention ! Faites attention.

A l’exception de quelques morceaux qui traduisent ta frustration vis-à-vis de la situation globale, tes paroles expriment toujours une certaine fascination envers les femmes et leur pouvoir attractif ! Entre autres ''Good Lookin’'' et la très visuelle ''Blue Jean Denim Jumpsuit'' : dans ton monde, où se situe la vérité entre ta propre expérience et de purs fantasmes, comme issus d’un éternel adolescent qui ne grandit jamais ? Il y a un côté ZZ TOP qui rencontre le VAN HALEN de ''Hot For Teacher'' dans tes paroles, non ?
Oui et non ! Je ne peux pas écrire de paroles à mes chansons de choses que je n’ai pas vécues. Donnes moi une chanson et je t’en raconterai la vérité – et ça vaut pour toutes ! ''Good Lookin’'' parle d’une certaine personne, ce n’est pas de la fiction ; ''Blue Jean Denim Jumpsuit'' est inspirée d’une photo que j’ai vu d’une personne qui portait une combinaison en jean et moi ça m’a « Waow ! ». Et c’est ainsi décrit dans la chanson ! J’ai donc utilisé ma description de cette photo pour le texte de la chanson. Je peux te raconter la vérité sur n’importe laquelle de nos chansons qui parle de femmes. Je ne les construis pas dans ma tête comme une espèce de fantasme ; ainsi je n’écrirai jamais de chanson sur une orgie, parce que je n’y ai jamais participé ! (rires !). Je ne peux pas chanter sur des paroles ou sur des sentiments construits de toute pièce.
 


A ce propos, est-ce que le personnage et le potentiel concept de DANKO JONES était une sorte de fantasme lorsque tu étais plus jeune ? On te connaît en-dehors de la scène comme quelqu’un d’assez doux, de discret et de calme, mais lorsque tu montes sur les planches tu te transformes en une espèce d’animal. Il y a 25 ans, comment ce fantasme s’est-il concrétisé ?
Aaaaah, ça remonte à l’époque de mes tous premiers groupes, notamment un qui s’appelait THE VIOLENT BROTHERS, un simple groupe de punk-rock garage à deux, et lors d’une soirée, notre tout premier concert en fait, et un pote à nous qui était complètement bourré dans le public s’est juste mis à nous apostropher sur scène : j’étais tellement furieux contre lui que j’ai commencé à lui répondre en gueulant – et c’est ce qui a révélé cet aspect de ma personnalité, qui a toujours été là en fait mais que je ne savais pas faire ressortir. Et depuis cet instant je me suis toujours senti très à l’aise à jouer comme ça sur scène. Après je n’agis pas comme ça dans ma vie privée, je ne te parle pas comme ça non plus, je ne parle pas comme ça aux gens que je croise dans la rue parce que si c’était le cas je ne pense pas que j’aurais beaucoup d’amis ! Mais cette partie de moi existe et est bien réelle, sinon elle ne resurgirait pas de la sorte. C’est une des caractéristiques de ma personnalité que j’ai apprivoisé depuis que je suis gamin, en ayant réalisé que ça pouvait être odieux : on ne peut pas se montrer comme ça aux gens ! Mais être sur scène m’a permis de pouvoir être comme ça : c’est réel. Ça sort quand je suis furax – mais je ne suis pas aussi énervé lorsque l’on joue mais c’est juste un rush d’adrénaline qui est similaire à l’état dans lequel on est quand on est aussi furieux. Après les gens croient que c’est du jeu, de la comédie : non ça ne l’est pas ! Des gens proches de moi m’ont déjà vu dans un tel état et donc pas forcément d’une bonne manière ! Quand je suis aussi vénère je deviens donc très grande gueule, et je débite des phrases et des phrases à la minute ! Mais je reconnais que ça peut paraître très abject – mais le fait d’être sur scène me permet de laisser sortir tout ça plutôt facilement : je pars de 0 à 100 en un clin d’œil. Et tout cela a à voir avec mon éducation et avec les gens qu’il y avait autour de moi... Et en fait je croyais que j’étais normal ! (rires !). Je voyais plein de gens agir de la sorte et ça me semblait normal ! Mais en fait non ! Je comprends les réactions que je provoque une fois que je redescends de scène... Ce n’est qu’aujourd’hui que je réalise qu’en fait ce n’est PAS normal – fort heureusement j’ai réussi à canaliser tout ça d’une manière bien plus positive que négative, et j’en suis heureux.

Oui et au-delà de la musique, ta façon d’être peut aussi être une forme de catharsis pour ton public, qui voit en toi une voix à leurs frustrations, à leur énergie, à leurs fantasmes...
Oui. Je crois vraiment que les gens qui sont à fond dans le hard rock ou dans le heavy metal – pas forcément tous, il y a toujours des exceptions – mais beaucoup de gens qui aiment ce genre de musique et la colère qui y est rattachée, y trouvent un confort et une manière d’égaler la colère qu’ils ressentent eux-même, ce qui génère aussi une forme de camaraderie. Et c’est ce que je ressens aussi : lorsque j’écoutais du thrash, tout gamin, je me disais « tiens voilà un mec qui est autant en colère que moi ! ». Et ça m’était très réconfortant. Ce son de guitare, ces rythmes de batterie, tellement agressifs : oui je connais ça ! Et je ne pense pas être le seul !

Je disais plus tôt que DANKO JONES possédait une intégrité rare, à la manière de MOTÖRHEAD : l’intégrité, c’est ce mot-clé qui peut décrire ta musique et ta personnalité. J’imagine que tu dois te sentir bien seul au sein de cette industrie alors que tant de groupes ont succombé à tant de tentations commerciales et ont déraillé de leur voie au fil des ans...
Oui, mais si les groupes ont envie de faire ce qu’ils ont envie de faire, je ne suis plus aussi critique que par le passé... parce qu’en étant de l’autre côté je réalise à quel point tout cela est tellement dur. A quel point les gens sont intransigeants avec un groupe lorsqu’un concert est annulé ou qu’il ne se déplace pas dans la ville où ils habitent... les groupes en prennent toujours pour leur grade. Ils se font baiser par leur label, par leur management, ceci, cela, ils se font voler leur matériel, etc... avec les années j’ai vraiment réalisé à quel point c’était dur d’être dans un groupe... Si un groupe peut gagner un peu plus d’argent en faisant tel ou tel truc... hey ; si ça peut vous maintenir à flot, bravo à vous. Ouais... On a décliné des trucs dont personne n’est au courant et on garde ça pour nous : on ne va pas venir se faire de la pub en clamant « hey tout le monde ! On est les rois de l’intégrité !!! » (rires). Si tu peux te regarder dans un miroir, et si tu ne peux pas, quoi que tu fasses, même si des gens te traitent de vendu et qu’ils trouvent ça trop commercial, c’est à toi de vivre par toi-même...

Et il y a donc un prix à payer pour tout cela : avec votre sagesse et votre expérience, vous savez que vous n’irez probablement jamais plus loin que votre niveau de popularité actuel – qui reste des plus honorable après toutes ces années. Mais à quel point as-tu accepté que DANKO JONES n’ira pas jouer en tête d’affiche dans les mêmes endroits que d’autres NICKELBACK ou GREEN DAY ?
On n’y est toujours pas arrivés mais on est encore dans la course : on vient d’avoir un single numéro 1 en Allemagne avec ''I Want Out'' : ça ne nous était jamais arrivé auparavant d’avoir un ''Numéro 1'', où que ce soit. On a donc été numéro un sur une radio commerciale en Allemagne, et ça a donc été une première pour nous ! Les portes ne se sont donc pas refermées sur cette option. Bien sûr, je suis d’accord avec toi, je ne pense pas que cela arrivera, mais qui sait ? C’est l’un des trucs les plus incroyables de cette industrie, aussi dingue et dégueulasse qu’elle puisse être : il existe toujours cette petite fenêtre d’espoir sur laquelle gravite les artistes...

Tu es devenu ami avec bon nombre de tes pairs et d’autres héros du rock'n'roll, et tu n’as jamais caché ton attitude de fan à leur égard : quelles ont été les rencontres les plus poignantes de ta carrière et qu’en as-tu particulièrement retiré ?
Je dirai d’évidence que tourner avec MOTÖRHEAD, rencontre et tourner avec Lemmy s’impose comme une évidence... mais il y en a tellement d’autres...

J’étais sûr de ta première réponse : mais justement qu’as-tu le plus appris auprès de lui, en tant qu’artiste, et en tant qu’homme ?
De MOTÖRHEAD j’ai vu comment ils traitaient leur crew et ils ont même écrit une chanson à leur sujet ! En-dehors de scène tu pouvais percevoir cette camaraderie : voyons, c’est ton business, tu dois faire ton boulot, tu peux faire la fête et de foutre en l’air, mais la manière dont tu traites ton équipe c’est quelque chose que nous avons de suite remarqué dès le début de la tournée et qui nous a marqué. Il y a eu une connexion toute personnelle entre beaucoup de personnes de leur équipe et nous – et parmi eux il y avait des gens qui étaient là depuis tellement d’années ! Quant à Lemmy... je suis plutôt sûr que Lemmy savait qu’il était Lemmy. Il savait qui il était et où il se tenait – sa stature, ça j’en suis persuadé. Mais ça ne l’empêchait pas d’être abordable et d’avoir les pieds sur terre, dans la mesure de ce qu’il était et comment il avait été élevé à son rang. Il n’a pas fallu attendre qu’il soit décédé pour que son statut iconique lui soit révélé – contrairement à qelqu’un comme Nick Drake qui n’a jamais été reconnu de son vivant, ça a été posthume. Quand Lemmy était vivant, tout le monde le vénérait. Et pour lui c’était très satisfaisant. Mais malgré cela il était vraiment très terre-à-terre – et j’ai vraiment appris de ça lorsque j’étais auprès de lui. Qu’est-ce que j’ai bien pu apprendre d’autre ? La vache, c’est une question qui demande tellement de longues réponses ! Oh, les NEW BOMB TURKS avec qui nous avons tourné aux tous débuts du groupe : ces mecs sont vraiment devenus des grands frères, et j’ai toujours dit ça depuis le début. Matt Reber et moi sommes restés en contact durant la pandémie, à discuter de tout et de rien, et à propos de tout ce qui était en train de se passer, qu’il s’agisse des manifestations Black Lives Matter ou des anti-vaccins, eh bien on se soutenait l’un l’autre ! Et ça c’est une amitié que nous entretenons depuis 25 ans, depuis l’année zéro du groupe ! Je suis en contact avec Matt alors que je ne le suis plus avec des gens qui ont été dans mon groupe !

On parlait justement de l’intégrité : voilà quelque chose que tu peux définitivement partager avec ces personnages-là je pense...
Oh tu sais de son vivant il est devenu une sorte d’idéal. Une représentation de l’idéal du rock'n'roll. Il était tout : le solitaire, le rebelle, le marginal, le héros... juste son image : nombre de personnes sont iconiques, qu’il s’agisse de Paul Stanley ou Slash, mais oui en ce qui le concerne, cet idéal et cette intégrité, oui c’est le mot à associer avec Lemmy. Ouais, je pense que tout groupe qui joie du rock'n'roll rêve de cet idéal-là. Je ne sais pas ce que j’ai appris de tous ces gens que j’ai pu rencontrer : est-ce que j’ai vraiment appris quelque chose, ou bien est-ce que ce sont ces idéaux que j’ai moi-même porté sur eux, qu’ils l’aient voulu ou non... Est-ce qu’ils ont été à la hauteur de ce que je m’imaginais d’eux lorsque je les ai rencontré ? Pas tous mais la plupart d’entre eux oui. Par exemple Ian McKaye : c’était l’un de mes héros lorsque j’ai grandi, de MINOR THREAT à FUGAZI... J’ai pu passer une bonne heure en sa compagnie, un jour... et ouais, il ne m’a pas déçu ! Il était Ian McKaye, il était le mec à qui je m’attendais. Et c’était bon. Alors qu’est-ce que j’ai appris ? J’ai appris que toutes ces personnes que j’idolâtrais ou que j’idéalisais, ne m’ont pas déçu. Ian était exactement ce à quoi je m’attendais. Lemmy était exactement ce à quoi je m’attendais. Et c’est une des raisons qui m’ont attiré vers eux en premier lieu. Tu vois, il y a beaucoup de gens qui se font des idées sur moi : ils ont leurs propres attentes et leurs propres idées sur moi – et je vois très bien sur leurs visages qu’ils sont déçus. Peut-être parce que je ne suis pas le gros fêtard au milieu de la pièce et parce que je ne hurle pas de toutes mes forces – et c’est ça qu’ils auraient aimé. C’est pour ça que je suis capable de me regarder en face et de me dire : « pour moi, les gens que j’ai tant pu idolâtrer ne m’ont pas déçu ».
 


Et donc nous avons Phil Campbell de MOTÖRHEAD, qui vient jouer un solo très reconnaissable à la wah-wah sur ''Start The Show'' : en voilà un véritable cadeau et une récompense pour toute cette passion et cette amitié... et aussi une manière pour toi de lui rendre l’honneur de t’avoir invité à chanter sur son album solo, à savoir sur la chanson ''Walk The Talk'', n’est-ce pas ?
Oui ; nous avions déjà le titre de l’album au moment où nous sommes rentrés en studio ; alors que la dernière fois pour « A Rock Supreme », nous avions convenu de son titre qu’à la toute dernière minute – à l’origine ça devait être « I Love Love » qui est le deuxième titre sur l’album, et personne ne l’aimait, ni le label ni qui que ce soit ; alors si personne ne l’aime, c’était quand même significatif, et donc on a pu le changer qu’à la toute dernière minute parce qu’on en avait tous marre de chercher un nom, et Rich, notre batteur, s’est exclamé « et pourquoi pas « A Rock Supreme » ? » A l’inverse de John Coltrane, « Love Supreme », pourquoi pas « A Rock Supreme » ? Comme une blague mais on a tous vu ça comme un super titre parce que ça allait agacer les puristes du jazz – ce qui est toujours très drôle à faire pour ennuyer les gens du jazz. Et donc on adorait tous « A Rock Supreme » : ça avait du sens et on en restait pas sur quelque chose de bancal. On savait à quoi on faisait référence et c’était drôle.
Mais, puisque c’était si pénible de ne pas pouvoir trouver le bon titre, cette fois on l’a défini avant même de rentrer en studio, sous l’impulsion de JC qui ne voulait pas réitérer la même galère. « Power Trio » : je ne me rappelle plus bien mais c’est probablement Rich qui l’a suggéré, à nouveau – bref, on a tous acquiescé et ''Start The Show'' était la seule chanson dont nous n’avions pas encore trouvé de solo avant de rentrer en studio ; je les avais tous, excepté pour celle-ci. Je l’avais quand même écrit, et je l’aimais bien, mais on s’est dit que ça serait pas mal qu’on ait un guest pour celui-ci. Ça serait sympa ; alors on a balancé quelques noms, et c’est JC qui a suggéré Phil Campbell, tout simplement en disant « et pourquoi on ne demanderait pas au guitariste du meilleur power-trio qui ait jamais existé ? ». Et ça avait du sens : parce que la présence de Phil Campbell est en totale connexion avec le titre de l’album. Et c’est donc une des raisons.


​Nous connaissons également toute l'amitié qui te lie aux gars de VOLBEAT, de DEATH ANGEL et aussi de SEPULTURA : au cours du confinement tu as justement collaboré avec eux sur leurs livestreams : est-ce que tu peux m’en raconter davantage ?
Oui je suis tellement fier d’apparaître sur le nouvel album de SEPULTURA : ça a été l’une des toutes petites bonnes choses qui me soient arrivées l’année dernière. Et bien peu de choses m’ont rendu heureux. J’ai vu Scott Ian jammer sur ''Cut-Throat'' en ligne et lorsque tu cliquais sur le lien, tu pouvais en voir d’autres déjà faites. Et au fond de moi je me disais « oh mec, j’aimerais tellement qu’ils me proposent une telle chose !!! ». Et finalement, bien deux semaines plus tard, Andreas m’a envoyé un message en me demandant si j’accepterais de participer à ce « Sepulquarta » et j’ai répondu « yeah !!! J’adorerais !!! ». Et le message suivant fut : « eh bien choisis une chanson ! ». Et ça, ça a été le meilleur message que j’ai reçu de toute l’année : Andreas Kisser qui me demande de choisir une chanson de SEPULTURA ! Je suis devenu fou pendant quelques heures : je ne savais pas quoi faire ! Mon idée initiale c’était ''Stronger Than Hate'' sur l’album « Beneath The Remains » parce que c’est le disque avec lequel je suis devenu un fan et c’est l’une de mes chansons préférées ; et plus j’y pensais plus je me disais que puisque j’allais chanter avec Derrick, autant chanter l’une de ses chansons à lui : ''Sepulnation'' a toujours été une chanson que j’adorais et voilà : Andreas était ravi, en me félicitant pour mon choix. Et je pense que oui en effet : être en duo avec Derrick Green a été un tel trip, un tel honneur de pouvoir réaliser ça ; c’est un mec tellement super et tous les albums du groupe avec lui sont tellement consistants – « Dante XXI », le dernier « Quadra »... et le précédent « Machine Messiah » : quel album splendide ! Je voulais aussi faire ''Against'', mais elle ne fait que une minute et demie alors j’avais envie d’avoir plus de temps ! Mais ''Sepulnation'', j’ai toujours adoré cette chanson, et ça a du sens parce que j’ai toujours été un gros fan de SEPULTURA, je fais partie de cette Sepulnation...


Tu n’as jamais vraiment enregistré de reprises pour rendre hommage à tous tes héros : énormément de musiciens viennent expérimenter ce genre d’exercice récréatif ; est-ce que c’est quelque chose que tu aimerais faire, genre offrir tes propres versions de morceaux de KISS, de MOTÖRHEAD justement, de THIN LIZZY ou de groupes de punk-hardcore ?
On a déjà réalisé des reprises des MISFITS en concert... une fois une des CLASH... mais on a vraiment toujours du mal à se décider. On a tous des goûts différents, et les autres n’aiment pas les choix des autres ! Pour les MISFITS ça avait été assez facile parce qu’on est tous des fans, alors que pour THE CLASH on l’a fait parce que JC le voulait vraiment – mais moi je ne suis pas trop fan ; lui oui. Il avait toujours eu envie de reprendre cette chanson... quel est son titre déjà ? Je ne me souviens plus, c’est dire à quel point je suis fan ! Ah : ''I’m So Bored With The USA'' : on l’a fit, ok je l’aime bien, mais c’était son idée... arriver avec des reprises c’est vraiment dur pour nous. Quelqu’un en suggère une et les autres répondent « ah oui cool ; et pourquoi pas celle-là ? ». Et là l’autre : « ouais cool ; et pourquoi pas celle-là ? » !!! Personne n’est jamais super enthousiaste ! Alors il vaut mieux éviter !

''Let’s Start The Show'' alors : 2021 aurait dû être une célébration, une fête ultime pour accompagner votre 25e anniversaire – qui a dramatiquement viré à l’amertume. Vous avez choisi de jouer quelques concerts en livestreams : était-ce vraiment confortable pour vous, alors que DANKO JONES incarne une telle expérience intense du point de vue de la fosse, avec laquelle s’échange une redoutable énergie ?
Eh bien c’était bizarre une fois qu’une chanson démarrait et que tu es plutôt habitué à une réponse, qu’il s’agisse d’applaudissements ou de mécontentement ou de hurlements – mais tu entends toujours quelque chose en retour. Mais là c’était juste le silence, avec en face quelques cadreurs et l’ingé-son et puis c’est tout. Deux-trois personnes du label au fond de la pièce... mais bon j’ai bien aimé cette gène, cette difficulté ; j’ai appris à apprécier ça. Je suis sur scène tel que je suis, à gueuler fort – parce que je veux être entendu ! Alors quand tu n’as personne pour te répondre en gueulant ou en te coupant, j’ai appris à aimer ça parce que maintenant personne ne peut m’interrompre et je peux dire absolument tout ce que je veux ! Et je m’y suis bien habitué.

Tu n’as jamais été déçu sur scène, j’imagine que tout est axé sur une telle discipline et sur l’absence de compromis avec toi-même... Vous allez remonter sur scène dans quelques jours pour la première fois : j’imagine aussi que le degré d’excitation est cette fois particulièrement élevé, non ?
Je ne sais vraiment pas. Quand on a fait ce livestream, je pensais la même chose mais plus on avançait vers le show... en fait je ne me prépare vraiment qu’une heure avant un concert. Dès qu’il est pile une heure avant la montée sur scène, c’est là que je me transforme en show-man. Avant cela je peux faire n’importe quoi. Mais passée une heure avant, c’est là que je me prépare. Et pour cette fois-là, c’était la même chose que d’habitude. La seule chose qui pouvait me rendre nerveux c’était le risque qu’il y ait des problèmes techniques, au niveau des ordinateurs, d’internet ou du signal – rien concernant le show à proprement parler, mais donc avec la technique. Après, je me suis juste rendu compte à quel point c’était facile de rentrer dans le show, comme d’habitude en réalité. C’est ce que je fais depuis 25 ans et une année sans n’avait pas drastiquement changer ma manière de faire. Donc pour le tout premier vrai live que l'on va jouer dans quelques jours à Calgary, tout va se passer aussi aisément que de coutume.

​Je ne sais même pas combien de fois j’ai pu te voir sur scène, mais la première fois c’était au Nouveau Casino en 2004. Et la dernière, c’était encore à Paris pour un concert bien trop court alors que vous ouvriez pour VOLBEAT à l’Olympia...
Oh c’est quand je me suis cassé la figure !!!!

Oui c’est vrai tu es tombé !!! Bref, et nous étions heureux de te voir revenir sur scène pour votre duo avec VOLBEAT sur ''Black Rose'' : c’était en octobre 2019, comme une éternité depuis... Tu as toujours été respecté et apprécié par les rockers français : est-ce que c’est quelque chose que tu as ressenti depuis le début ?
Non. La toute première fois où nous avons joué en France... La France est un pays très intéressant pour nous. En terme de musique, pour nous, la France exporte de la dance-music. C’est un pays très côté pour la dance : pas pour le rock, pas pour les guitares, non, mais c’est réputé pour tout ce qui est EBM. Et donc les premières fois où nous venions jouer chez vous – je dirais les 3-4 premières années – ça a été dur. Mais on a persévéré et on est revenus. On entendait des histoires comme quoi MOTÖRHEAD y jouait des concerts sold-out, alors on savait qu’il y avait des fans de rock ici. Ils fallait juste qu’on les trouve et que eux nous trouvent aussi. Et la seule façon de provoquer cela c’est de continuer à frapper aux portes, et il a fallu d’une fois, c’était... oh mon Dieu, toutes ces années qui s’évaporent... où JC et moi avons donné des interviews du matin au soir, séparément. Et notre équipe de promo chez vous n’a pas arrêté de nous amener des gens qui voulaient nous interviewer. Et c’est là que les choses ont commencé à bouger de plus en plus vite. Et on savait aussi que NASHVILLE PUSSY marchait plutôt bien ici aussi : on savait qu’il y avait un public rock – il fallait juste qu’on se trouve mutuellement. Et depuis j’adore venir jouer en France. Le public des clubs est toujours à fond dedans, il n’y a personne pour regarder sur son portable ou quoi que ce soit.

Même si le public français ne maîtrise pas toujours très bien l’anglais, il capte l’humour que tu délivres entre les chansons et il réagit plutôt bien à tout ce que tu racontes – et franchement je les vois souvent se marrer au cours de tes improvisations ; ça a toujours bien marché...
A vrai dire je m’en suis toujours un peu fiché des barrières de la langue. Les publics sont souvent assez intelligents et assez sophistiqués pour comprendre l’idée générale ou la punchline qui va bien et que tu essaies de faire passer. Je sais aussi quand un groupe agit comme si le public était stupide parce qu’il ne te comprend pas TOI. Et TOI tu ne le comprends probablement pas non plus. Et donc le public peut ressentir si le mec sur scène se montre méprisant ou pas. Et je n’ai jamais fait ça. Tout d’abord, je pense que l’on comprend tous la chanson ; on peut comprendre si on l’aime ou pas ; et après ça, si je dois dire quelque chose, c’est fait de telle manière à ce que tout le monde peut comprendre même si les détails sont plus ou moins déchiffrés. Aaargh, et ça me dégoûte quand je vois des mecs sur scène être condescendants avec leur public – et même dans leur propre ville !!! Ah ça ça me fout en l’air ! J’ai toujours été conscient de tout cela : c’est toi l’idiot – c’est toi qui ne comprends pas leur langue et leur ville.

A l’exception de ce dixième album si bien nommé, est-ce que vous prévoyez donc d’autres événements ponctuels pour rattraper la désillusion de cet anniversaire avorté ?
Ouais... quelqu’un m’a posé la même question l’autre jour et ça m’a travaillé au moment où j’ai commencé à répondre : en fait cet album est une célébration. Non pas avec une box-set commémorative : parce que ça ça signifie que tout est derrière toi. C’est donc ce disque qui compte : non seulement pour commémorer ces 25 années et le fait que l’on sorte toujours de la musique fraîche et aussi pour prouver que l’on est assez résilients pour pouvoir sortir un disque l’année de nos 25 ans en plein milieu de cette pandémie. On est assez bons pour sortir du rock même à n’importe quelle situation ! Ne pas se reposer sur nos lauriers : voilà comment on célèbre notre 25e anniversaire !

Alors si l'on possède « Garage Rock: Collection Of Lost Songs », l’autre collection de raretés « I’m Alive and On Fire » et la compilation « B-sides », est-ce que l’on est assuré de posséder absolument TOUT ce que tu as enregistré dans ta carrière, ou bien reste-t-il encore quelques pépites dans ton coffre fort ?
Alors voilà : il y a encore assez de chansons de côté pour sortir un autre compilation « Garage Rock ». on avait essayé d’y mettre les meilleures en premier lieu, mais il en reste d’autres... que j’aurais aimé avoir parce qu’elles sont aussi bonnes ! Je pensais avoir perdu toutes ces bandes et je viens tout juste de les retrouver il y a à peine un mois ! Dieu merci ! Et ça pourrait constituer un « Garage Rock 2 » : pas des chansons moins bonnes, mais juste un complément ! Pour la première, on aurait pu en mettre davantage mais lors du mastering, si l’on en avait mis plus ça aurait écrasé la qualité du son si ça devait être pressé sur vinyle. C’est pourquoi on a dû faire un choix – et donc il reste quelques trucs de côté.

Et est-ce que tu prévois de sortir un nouvelle collection d’articles, de réflexions, d’histoires et d’anecdotes dans la veine de « I’ve Got Something To Say » ?
Oui, carrément ! Et justement, il y a un an et demi je m’étais remis à écrire à la maison mais lorsque la pandémie est arrivée ça m’a tellement paralysé, que je préfère pouvoir attendre d’être sorti de tout ça et de pouvoir tourner à nouveau : et cela a tué toute l’ambition que j’avais d’écrire un nouveau livre. Mais j’adorerais : si quelqu’un était venu me dire « oh ne t’inquiètes pas, tout ça ne va durer que 18 mois et ensuite tout reviendra à la normale », alors je ne me serai pas inquiété !!! J’aurais juste écrit pendant un an et demi. Et lu. Et regardé des films. Et fait plein de trucs en rapport avec la musique. Mais je n’ai rien fait. Rien. Réaliser ce disque m’a été forcé par JC qui m’a foutu la pression pour le faire. Et je suis bien heureux qu’il l’ait fait. Parce que ça m’a sorti de toute cette torpeur dans laquelle je sombrais, à ne regarder que des reportages sur les vaccins. Au tout début du bazar je pensais qu’un simple traitement suffirait. OK, tu l’as, tu prends cette pilule, et tu en es débarrassé. Mais j’ai réalisé : pour s’en sortir vraiment ? Eh bien il faut un vaccin. Maintenant avec ces différents vaccins existant, c’est certes un monde nouveau, et j’espère qu’on est vraiment proches de la ligne d’arrivée – mais c’est vraiment ce qui m’a paralysé de pouvoir entamer toute sorte de projets.

On sait que tu es un avide collectionneur de vinyles : personnellement je n’ai jamais autant acheté de disques que depuis le début de ce bordel – peut-être une manière de combler des manques et de chasser l’ennui, même si mes revenus ont été revus à la baisse. Et toi ?
Eh bien c’est tout l’inverse. Autant la pandémie m’a vraiment paralysé créativement parlant, autant elle m’a aussi bloqué pour écouter de la musique pendant toute l’année et j’ai même revendu plus de 200 vinyles. Et je n’ai même pas acheté de disques. Si... j’ai acheté... deux albums. Et ça a même été de l’échange : j’ai revendu mes 200 disques à un pote à moi qui est un vendeur à Toronto et il en a diffusé sur un show destiné aux collectionneurs environ deux fois par an et qui est un gros événement pour les fondus ; après il sait que j’aime les disques bizarres et en échange il m’a donc déniché ces deux trucs qui ont fait partie d’une sorte de deal. Voilà, 200 ou 210 albums en moins, et deux nouveaux : c’est tout !
 




Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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