8 juillet 2012, 10:25

Steve Vai

 
 
Photo © Larry Dimarzio

En 2005, Steve Vai sort l'album "Real Illusions : Reflections" qui, en plus d'être d'une qualité irréprochable, fait aussi figure de première pierre pour un projet inédit dans la carrière de l'artiste.

Vai voit les choses en grand, ce disque sera le premier d'une trilogie tournant autour d'un seul et même concept, ce dernier demeurant pour l'instant, à la volonté de son créateur, bien difficile à cerner. Sept années plus tard, le 27 août prochain, paraîtra "The Story Of Light", le deuxième volet de cette épopée nous guidant pas à pas vers une destination toujours énigmatique, choisie par Vai.

Un grand nombre de questions nous brûlent les lèvres à l'écoute de ce disque, nourries par des sentiments aussi divers que le nombre de facettes qu'il comporte.

Le mystère, la surprise, la mélancolie... On parlerait bien pendant deux heures avec Steve Vai, mais HARD FORCE a sauté sur l'occasion pour relever le défi, en 20 minutes...


Ton nouvel album intitulé "The Story Of Light", est doté d'un concept très élaboré, tu peux nous l'expliquer avec tes mots ? 

D'une manière très simple, à chaque fois que je veux enregistrer un album, je considère cet instant comme une opportunité d'être aussi créatif que possible. L'élément le plus important avant d'aller plus loin, est de s'assurer que la musique est bien présente, c'est ce que la plupart des gens recherchent. Mais c'est aussi toujours amusant d'y ajouter une "dimension supplémentaire". Parfois, en greffant plusieurs facettes à une chanson, ça t'aide à étendre la place que le concept du morceau va occuper. Si j'écris une histoire, et que je compose de la musique qui se base dessus, cette dernière obtient un aspect très différent. Quand j'ai décidé de faire l'album "Real Illusions : Reflections", j'ai voulu créer un concept, mais je ne voulais pas qu'il soit conventionnel. C'est pourquoi je me suis dit qu'il fallait que je découpe l'histoire en plusieurs morceaux, tous étant chacun représentés par une chanson différente. La trame devait être présentée dans un ordre chamboulé. C'est assez compliqué à suivre pour l'instant, l'histoire n'est composée que d'indices dispersés un peu partout. Pour terminer, quand le prochain album de type "Real Illusions" sera sorti, j'ai pour projet de les reprendre tous les trois pour créer un concept qui contiendra toute la musique de ces disques, des morceaux additionnels, avec peut-être l'ajout de lignes de chant sur certains titres instrumentaux, et là ça sera plus facile à suivre, un réel concept. Pour l'instant, c'est vraiment de la musique qui apporte des petits indices... En gros, l'histoire en elle même raconte l'aventure d'un homme, qui fait quelque chose qui lui apporte une grande souffrance, de la culpabilité... Ça le rend fou, et nous, nous vivons l'histoire au travers de ses yeux. Puis une autre personne arrive dans la ville et construit une espèce d'église, mais pas comme une église conventionnelle comme on peut en trouver dans la religion chrétienne, catholique... Il s'agit en réalité d'un endroit où les habitants de la ville se rendent pour y trouver à l'intérieur un bassin qui reflète la lumière, et en se contemplant dans son eau ils arrivent à apercevoir différents aspects de leur personnalité, ils voient leur "vrai" reflet. Tu vois, nous nous créons tous notre propre identité, nous nous définissons par rapport aux évènements qui viennent entraver notre vie : Notre nom, nos réussites, nos erreurs, les personnes que nous fréquentons, la taille de notre compte en banque... Et tout cela nous forge des personnalités très "factices", mais nous en sommes dépendants. Quand les gens se regardent dans ce point d'eau cela génère un espace entre leur vraie personnalité et toutes ces illusions. Ils parviennent à plonger en profondeur dans leur propre identité. Il y a beaucoup, beaucoup plus d'éléments que ça, mais en bref, voilà l'histoire.


J'ai trouvé que ton concept s'étendait même au delà de la musique à proprement parler... Par exemple les artworks de ces deux albums "Real Illusions : Reflections" et "The Story Of Light" qui présentent tous deux un visage dans un style graphique très similaire. Sur le premier on y trouve une femme, sur le second on y trouve ton visage, cela nous entraîne déjà sur quelques suppositions pour la pochette du troisième... Un enfant ? Ou peut-être les deux personnages en couple ? 
C'est une bonne idée ! (Rires) Je n'ai encore rien planifié mais, quand on se lance dans un projet, beaucoup de choses peuvent venir se compléter de manière inattendue, et ça c'est ce que j'aime ! L'élément de surprise, la découverte... En effet tu peux totalement trouver un lien entre les deux pochettes, elles ont été réalisées par le même artiste...

J'ai aussi trouvé, un aspect très oriental à cet album. Ne serait-ce qu'avec le style graphique de tes pochettes, mais aussi cette voix sur "The Story Of Light", la chanson qui ouvre l'album... C'est du Japonais ? Du Chinois
C'est du Russe !

Photo © Larry Dimarzio

(Rires) Bon, on oublie pour la voix. Mais en quoi est ce que cette empreinte orientale est-elle liée à tout cet univers, paradigme de la lumière ? Chose que l'on retrouve dans beaucoup de titres avec des mots comme "Light", "Sunset", "Sunshine", "Electric", "Reflection"... ?  
Je suis un ferme défenseur de l'idée que, quoique l'on crée, notre propre réalité s'y perpétue. Si une personne est extrêmement passionnée par certaines choses, c'est un état d'esprit dans lequel elle va se retrouver quand elle va se mettre à créer quelque chose. Certaines personnes peuvent être passionnées par la politique, le sexe, les grosses voitures, l'environnement... A chaque fois que je me rends dans cet endroit créatif, dans un coin de ma tête, j'ai toujours l'impression de me diriger vers quelque chose de très spirituel, c'est une idée que je trouve extrêmement intéressante. Et c'est comme ça que j'ai découvert que nous devenons vraiment, ce vers quoi nous décidons de focaliser notre esprit. Si tu es de nature à créer ce qui s'apparente à de l'art violent, agressif, c'est ce que tu deviens, parce que c'est ici que ta pensée se trouve. Les gens disent souvent : "J'ai besoin d'extérioriser...", c'est simplement rajouter de l'huile sur le feu. En le faisant ressortir tu l'exprimes, tu le perpétues. Nous détenons tous une propension à devenir extrêmement sombres, négatifs... Et je sais que je suis passé par cette phase quand j'étais plus jeune, et ça m'a presque tué... Je me suis alors dit : "Je ne veux plus de ça ! Je veux me sentir bien, être heureux, me sentir positif", et c'est ce que je suis maintenant ! Je suis un mec très heureux tu sais ? (Rires) C'est pourquoi j'ai essayé de rendre la plupart de la musique de cet album "réjouissante", pas forcément dans la définition commune de "musique joyeuse", mais plutôt de manière mélancolique, avec des mélodies touchantes... C'est vers là que j'ai essayé d'aller. Après, il arrive que quand tu ajoutes des éléments différents, cela en accentue d'autres, si j'ajoute de la négativité comme sur la chanson "Weeping China Doll", qui a une mélodie emplie de tristesse, très intense, il s'en dégage surtout une qualité rédemptrice, avec une certaine beauté. En ce qui concerne les influences japonaises, orientales... Ce n'est pas tellement quelque chose qui me frappe. C'est peut être visible sur la pochette de "Real Illusions", en grande partie à cause de la femme qui a un physique oriental...

Oui elle a les yeux bridés il me semble... 
Peut-être aussi parce que j'ai un violoniste asiatique dans mon groupe... (Rires) J'ai également une chanson qui s'appelle "Weeping China Doll" (Poupée Chinoise en pleurs), mais c'est en réalité le nom d'une fleur, c'est une espèce de rose ! J'ai une barrière dans mon jardin au pied de laquelle ma femme a planté ces "Weeping China Dolls" qui sont en train de grandir, grimper dessus. Et pour composer cette musique, je les ai regardé et j'ai trouvé que leur disposition ressemblait à une partition. Je les ai photographiées et j'ai ainsi pu les transcrire en musique. La grande partie des mélodies de "Weeping China Doll" viennent en réalité des roses qui poussent sur cette barrière. (Rires)  

Wahoo, c'est incroyable...  
Oh tu sais, tous les moyens sont bons ! (Rires)



Tu me parlais plus tôt de ce concept d'une église renfermant un bassin dans lequel les gens voient leur reflet, pouvons-nous dire que cet album, c'est ta propre église ? 
Je pense que tout ce que nous faisons quand nous créons quelque chose est un reflet de qui nous sommes. Donc oui, absolument. Toutes les chansons de cet album sont des reflets de mes intérêts, mes désirs profonds, ce que je trouve amusant, drôle... Je pense que c'est également valable pour tous les autres artistes.

Je suis tombé profondément amoureux des chansons "John The Revelator" et "Book Of The Seven Seals"...
(Touché) Oh, merci beaucoup !

Seulement, pourquoi les avoir séparé ? On ne peut pas les écouter l'une sans l'autre, elles se suivent, se complètent réellement... 
En effet ça a été une décision extrêmement difficile, sur laquelle j'ai longtemps buté... Il y a beaucoup de raisons à prendre en compte, l'une d'entre elles étant... Je n'ai pas écrit les paroles de "Book Of The Seven Seals", ce sont les deux personnes qui ont également travaillé sur les arrangements vocaux qui s'en sont occupés. J'ai écrit d'autres parties de ce titre mais si j'avais tout laissé en une seule et même chanson, cela aurait compromis notre accord pour sa publication. De plus... (Il hésite)... Je sais que ça va paraître dingue... Mais si un jour on m'offrait la possibilité de pouvoir passer un de mes travaux à la radio, la chanson entière n'aurait pas été diffusable. Là je peux leur donner uniquement "John The Revelator". Ce n'est pas la raison ultime de la séparation de ces deux morceaux mais elle en fait partie. (Sur un air un peu déçu) Je n'avais pas forcément assez de raisons valables pour le faire, mais c'est ce qui s'est passé, j'apprécie vraiment que tu me parles de ça en tous cas.

 

Photo © Larry Dimarzio
 

La composition de "John The Revelator" a été un peu particulière. En effet tu as utilisé un vieil enregistrement d'un chanteur qui s'appelle Blind Willie Johnson... 
Oui ! Il existe ce magnifique coffret sorti par Smithsonian Folkways Recordings qui s'appelle... (Il cherche)... "Antology Of American Folk Music". Il contient beaucoup de vieux enregistrements archivés, collectés par quelqu'un qui s'appelle Harry Smith. J'adore cette musique car elle date d'avant le blues, c'est de la musique américaine très brute, à l'état pur. On y entend chanter des esclaves, des prêtres, des travailleurs dans les champs... Blind Willie Johnson est un des artistes de cette collection et il est l'auteur de cette chanson qui s'appelle "John The Revelator". La première fois que je l'ai entendue, je suis pratiquement tombé des nu ! J'ai été très ému à l'écoute des ces grosses guitares, ces choeurs très puissants... L'idée de recréer cette chanson m'a tellement obsédée que je n'ai pas pu m'en empêcher. C'est alors que j'ai commencé à fouiller sur le net pour trouver une version hallucinante chantée par une chorale d'université, ce qui est devenu la chanson "Book Of The Seven Seals". J'ai également eu besoin de quelqu'un pour chanter "John The Revelator", initialement je voulais le faire mais je ne me suis pas senti capable de lui faire justice... Un jour à la télé, je suis tombé sur la performance de cette chanteuse qui s'appelle Beverly McClellan, qui a été finaliste de la première saison de The Voice, une émission très populaire aux USA, et elle m'a totalement abasourdie, elle était splendide dans sa façon de s'exprimer, extrêmement captivante...

C'est aussi elle qui chante sur "No More Amsterdam" ?
Non ! Quand je l'ai vu chanter il m'est paru évident qu'elle devait chanter "John The Revelator" et elle a été très heureuse de le faire, le rendu est vraiment bon, j'en suis très content. Sur "No More Amsterdam" c'est Aimee Mann, une compositrice américaine très populaire. En réalité je la connais depuis le lycée, nous avons tous deux étudié au Berkley College of Music, nous habitions dans le même immeuble, à seulement quelques portes l'uns de l'autre !

Pour revenir à la chanson "John The Revelator", c'était une première pour toi de composer une musique à partir de ce que l'on pourrait appeler le "squelette" d'une autre ?
En tous cas il me semble que ce fût la première fois où j'ai construit une chanson autour d'un sample. Mais ce n'est pas si différent que d'écrire un morceau autour d'une simple idée qui te vient à l'esprit... Ça a été très simple, et un vrai bonheur, un grand projet ! J'ai su ce que je voulais que ça devienne du début, à la fin. C'est une très bonne manière d'écrire. En premier, tu ressens la musique pour l'imaginer, et si tu y arrives, elle devient un vrai moteur. Si tu veux faire une jolie chanson, très douce, délicate, tu dois ressentir les mêmes émotions. La même chose pour un morceau heavy, intense.. Même brutal ! Il faut que ton esprit y soit, de cette façon, tu commenceras à le ressentir dans ton corps entier. Après ça, il n'y a aucune raison pour que ça ne sorte pas en prenant un instrument en main. C'est ainsi que j'ai fait pour toute la musique de ce disque. Il faut le penser, le ressentir, et laisser l'univers faire le reste...


D'une manière plus générale, le concept de "The Story Of Light" retrace l'histoire, je cite : "D'un homme sombrant dans la folie guidé par le chagrin, la tragédie, la révélation, l'illumination et la rédemption.". Tu m'as dit avoir vécu une période très sombre de ta vie, peut-on établir une relation entre ce personnage, et toi même ? 
Le personnage principal traverse une période très sombre, et parce que j'en ai aussi traversé une plus jeune... Je comprends ce que signifie la dépression très profonde. Je suis très chanceux de m'en être sorti, aujourd'hui je n'en souffre plus du tout. En revanche je me sens très mal pour les personnes pour qui c'est toujours le cas, et parfois pendant toute leur vie. Ce n'est pas un état d'esprit que l'on devrait rencontrer. Nous ne pouvons seulement vraiment nous exprimer dans notre art, qu'au travers de ce que nous comprenons réellement, nourri par des expériences vécues. Autrement, on raconterait des conneries tu vois ? Nous sommes vraiment affectés par les choses que nous comprenons par expérience. C'est une bonne façon de composer.

Une fois la trilogie complétée, tu vas donc reprendre ces trois albums avec comme tu l'as dit, de la narration, des paroles etc... Vas-tu tout de même faire une sélection dans tes chansons ? Ou comptes-tu tout mettre bout à bout sur plusieurs CD ? 
Toutes les chansons seront extraites des trois albums, peut-être que j'en jetterai quelques-unes... Puis elles seront mises dans le bon ordre, car elles ne le sont pas pour l'instant... Puis je les rassemblerai avec d'autres musiques pour créer des dialogues, de la narration... Ce n'est pas uniquement de la musique, c'est une vraie "histoire". Il y aura aussi plus de chant... Par exemple "No More Amsterdam" devait initialement être instrumentale, mais quand l'opportunité de travailler avec Amy s'est présentée je me suis dit : "Faisons le tout de suite !". Par contre, tu prends une chanson comme "Mullach A'tSi", la septième chanson, elle aura des paroles dans le futur...

Cette dernière chanson est magnifique...
Merci, ça me fait plaisir !

Nous allons devoir nous quitter Steve, merci beaucoup pour ta gentillesse, nous étions très heureux de pouvoir nous entretenir avec toi...  
Merci à vous, j'ai vraiment apprécié cette interview ! Passe de bonne vacances !

Merci ! (Rires) On se voit au mois de juillet, pour la venue du G3 en France... 
Yeaaah, ça va être génial !

 

 

L'album "The Story of Light" de Steve Vai sortira le 27 août via Favored Nations Entertainment.

01 - The Story of Light
02 - Velorum
03 - John the Revelator
04 - Book of the Seven Seals
05 - Creamsickle Sunset
06 - Gravity Storm
07 - Mullach A'tSi
08 - The Moon and I
09 - Weeping China Doll
10 - Racing the World
11 - No More Amsterdam
12 - Sunshine Electric Raindrops

 

 

Blogger : Hugo Tessier
Au sujet de l'auteur
Hugo Tessier
Décidemment né trop tard, Hugo Tessier cultive sa passion pour le rock depuis son plus jeune âge. Avec U2 et THE POLICE dans le biberon, son cœur penchera finalement pour le hard rock des eighties qui à son tour lui fera découvrir de nouveaux horizons musicaux. Tantôt étudiant, musicien puis vendeur dans les festivals rockabilly, en septembre 2011 HARD FORCE le convainc de commencer à explorer les concerts de la région nantaise à peine avait-il déballé son unique carton dans sa chambre universitaire.
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