26 septembre 2021, 16:58

MÖTLEY CRÜE

"Shout At The Devil" (Retro-Chronique - 1983)

Album : Shout At The Devil

Nous sommes en 2021 et cet album fête ses... 38 ans !

En réinterprétant la pochette du « Sticky Fingers » des ROLLING STONES, sorti dix ans plus tôt, MÖTLEY CRÜE choisissait délibérément de s’inscrire dans la grande Histoire du Rock. C’était pour son premier album : « Too Fast For Love ». D’abord autoproduit sur le bien-nommé Leathür Records (1981), le quatuor fit coup double : écouler les 20 000 copies réalisées et piquer au vif la curiosité de Tom Zutaut, assistant au service vente d’Elektra Records, puissant label s’il en est. La suite ? C’est le remix (aseptisation ?) dudit album, une distribution digne de ce nom et un véritable succès d’estime pour ce premier album. Jouissant alors d’une véritable renommée sur le "Sunset Strip" californien, Nikki Sixx, Mick Mars, Tommy Lee et Vince Neil pensaient avoir atteint le sommet. Et feu Frank Feranna de jubiler à l’idée de devenir le nouveau Johnny Thunders ; MÖTLEY de perpétuer l’héritage des NEW YORK DOLLS... Mais avec leur second album, leur notoriété comme leurs "exploits" n’allaient pas tarder à s’exporter bien au-delà des murs du Starwood, du Roxy ou du Troubadour...

Des STONES, Nikki a aussi hérité d’une certaine "Sympathy For The Devil". Non pas que celui qui s’est déjà affirmé comme le principal compositeur du CRÜE ait jamais eu la moindre accointance avec VENOM ou Cronos, mais l’imagerie sataniste l’amuse, d’autant qu’elle provoque des réactions. Et choque. En totale conformité avec le mode de vie du groupe, qui vivait il y a encore peu dans une baraque infâme où, entre défonces, orgies sexuelles et mœurs scatos, l’on s’amusait également à faire griller les cafards au four. Lesdits cafards (Lady Gaga n’existait pas encore) avaient élu domicile dans cette fameuse "Mötley’s House" et s’y reproduisaient aussi souvent que les vrais locataires des lieux. Leur population était donc très nombreuse ; le four très souvent allumé. Ces flammes tout droit venues de l’enfer, ces démons rampants, mais surtout la lecture du Necronomicon, bible de la magie noire : c’était décidé ! Le successeur de « Too Fast » devait s’appeler « Shout With The Devil » ! Oui... mais voilà... il y eut comme un petit bémol. Deux, en réalité. Ce qui, additionnés l’un à l’autre, produit un changement de note. De mot, en l’occurrence, puisque l’on passera du "With" au "At".

D’abord parce qu’Elektra voyait d’un mauvais œil (Sixx-Sixx-Sixx : the number of the beast) le fait d’assurer la promotion d’un groupe vociférant des louanges à la gloire de Satan (le PMRC – Parents Music Resource Center – n’allait pas tarder à devenir très puissant), mais aussi – plus étonnant – pour d’obscures et inquiétantes histoires de voitures. Un violent accident que Nikki eut avec sa Porsche, enroulée autour d’un poteau, mais dont il sortit miraculeusement (quasi) indemne ; il y eut également ces coups de klaxon persistants émis par sa Ford. Lita de son prénom. L’ex-RUNAWAYS, alors petite amie du bassiste, commençait réellement à flipper en voyant les fourchettes et les couteaux léviter dans leur maison... puis se planter dans le mur ! Zutaut faillit d’ailleurs s’en prendre un, lors d’une visite au couple. Lita n’en pouvait plus et le faisait savoir à son Nikki chéri. Il fallait donc se rendre à l’évidence : MÖTLEY n’allait pas tenter le Diable, ni hurler avec lui, mais plutôt contre lui. « Shout At The Devil » venait de naître (et de s’éviter un scénario à la Rosemary's Baby).

Nouveau look, nouveau son, nouveau logo. Le CRÜE impose ce qui sera sa marque de fabrique : surprendre à chaque nouvel opus. Exit le look glam/punk des débuts (...forcément copié depuis), Nikki, Mick, Tom et Vince se sont mués en cavaliers de l’Apocalypse. Inspirée de Mad Max comme de New York 1997, leur nouvelle apparence se veut plus radicale. Plus méchante, mais avec cette touche de glam qui les caractérise immédiatement : le maquillage, la laque et, désormais, les peintures de guerre ! Joe Perry, guitariste d’AEROSMITH, avait été le premier à voir Sixx se dessiner des traits noirs sous les yeux... et à y apporter sa caution ! Côté son, c’est Tom Werman, récemment recruté par Elektra, qui insista pour prendre en charge le second album des "Chiffonniers" (il en sera responsable jusqu’au quatrième, « Girls, Girls, Girls »). Producteur de Ted Nugent comme de CHEAP TRICK, il partage la vision du groupe : créer un savant équilibre entre l’agressivité des compositions et un style qui lorgnerait vers la pop. Même au niveau visuel, le dosage sera parfaitement maîtrisé. En version vinyle, l’artwork de « Shout » est véritablement classe, avec ce pentagramme inversé en surimpression sur fond noir mat, et le portrait glaçant des quatre démons, à l’intérieur. Format K7, la couverture splittée façon photomaton fera aussi des émules : allez donc jeter un coup d’œil à « In The Dynamite Jet Saloon » avec THE DOGS D'AMOUR ou au « Look What The Cat Dragged In » pondu par POISON. Ils auront beau nous faire le coup du "3 blonds vs 1 brun" sur la pochette, personne ne sera dupe... La formule gagnante, c’est bien 1 blond pour 3 bruns ! Et MÖTLEY CRÜE est bien à l’origine de ce mouvement glam rock-hair metal des 80’s. Il y a les poseurs... et les copieurs. "Et à la fin, il n’en restera qu’un !", comme l’éructe l’ami Dennis depuis vingt ans. Mais au commencement, tout était à construire : "In The Beginning" raconte l’histoire...



​Véritable préambule à l’album (et aux concerts, puisque le monologue annonçait l’arrivée imminente des musiciens sur scène), "In The Beginning" plante l’apocalyptique décor : le Mal a désormais vaincu le Bien. L’heure est donc venue de se retrousser les manches et de lutter contre le Diable ! Crédité à un certain "Allister Fiend" (le double maléfique de Nikki Sixx, mascotte du CRÜE dans ses premières années), le texte est en fait déclamé par Geoff Workman, l’ingénieur du son. Ce qui explique cette voix grave et synthétique, surplombant les mystérieuses nappes de claviers. Et puis, 1'13'' plus tard, nous y voilà... L’album démarre véritablement avec "Shout At The Devil", aussi lourd que "Looks That Kill" sera speed, juste après ; deux "tueries" qui deviendront des classiques et un combo parfait, car tout est déjà là. Tandis que l’énergique « Too Fast For Love » souffrait de quelques approximations musicales, tout est parfaitement en place sur ce second effort. Vince Neil chante comme une teigne, hargneux à souhait, soutenu par l’efficacité du "riff-maker" : le discret mais solide Mick Mars. Derrière, Tommy Lee s’active sur ses fûts et martèle le rythme avec force et régularité. Le son est agressif, presque gras, et la frappe du batteur mixée en avant. Un régal. Et puis, il y a ces refrains diaboliques pondus par Nikki Sixx, véritables hymnes qui s’imprègnent dans le cerveau et activent les mécanismes du plaisir. Alors, le système s’emballe, la stimulation des circuits est tellement puissante que le plaisir devient addiction. Et 38 ans plus tard, on redemande sa dose !

Elle arrive bientôt avec le cinglant "Bastard". Troisième morceau de l’album, le titre présente deux avantages : rendre un hommage appuyé à l’ancien manager du groupe, Allan Coffman (qui eut la brillante idée de s’enfuir avec l’avance sonnante et trébuchante faite par Elektra), puis alerter les jeunes francophones désireux d’apprendre l’anglais sur le concept de "faux-ami" ; "bastard" n’étant en aucun cas utilisé ici au sens d’enfant illégitime ("bâtard"), mais bien destiné à signifier "salaud". La culture, chez MÖTLEY CRÜE, c’est désormais essentiel ! Et pour tester la nouvelle formule du groupe, alors qu’il est en plein enregistrement de l’album aux Cherokee Studios, à Hollywood, son label lui propose de jouer ses nouveaux titres en live, dans une salle intimiste et en première partie, histoire de ménager ses ouailles et de monter en charge progressivement... Fin mai 1983, Nikki, Mick, Tommy et Vince se retrouvent donc devant les 300 000 spectateurs de l’US Festival de San Bernardino (Californie), à ouvrir les hostilités pour Ozzy Osbourne, JUDAS PRIEST, TRIUMPH, SCORPIONS et VAN HALEN. Tranquille, donc. Le gang donne tout ; question de vie ou de mort. 9 titres, dont 5 inédits : "Looks That Kill", "Bastard", "Shout At The Devil", "Knock 'em Dead, Kid" et "Helter Skelter". L’adhésion est immédiate : le public lève le poing et reprend les refrains de morceaux jusqu’alors inconnus. Le CRÜE a réussi son coup. Avant même la sortie de l’album. Pas mal.

Parmi ces inédits, un ne l’était pas vraiment : après les STONES, MÖTLEY s’est emparé des BEATLES, histoire de mettre tout le monde d’accord, dans cette guéguerre qui opposait les uns aux autres (comme si on ne pouvait pas être "sucré" et "salé" en même temps...). "Helter Skelter" conclut donc la face A, passé à "la moulinette metal". Si la reprise n’atteint pas le degré de folie qu’AEROSMITH saura insuffler à sa cover de "I’m Dowm" (sur « Permanent Vacation »), le quatuor s’en tire brillamment et offre une relecture séduisante du titre signé Lennon et Mc Cartney. Mais la vraie folie, le CRÜE l’atteindra en enregistrant "Sinners & Saints". Une véritable bombe qui en restera au stade de démo pour une raison que l’on peine à comprendre. Enregistrée en 1983, elle sera dévoilée en 1999, sur la compilation « Supersonic And Demonic Relics ». 38 ans plus tard, on ne sait toujours pas pourquoi cette pépite n’a jamais été gravée sur album. Quelle énergie ! Quelle voix ! Vince n’avait alors pas peur de s’arracher les cordes vocales... Et cette guitare, ce riff : un véritable rouleau-compresseur ! Pourtant, à bien y réfléchir, quel plaisir de découvrir cette démo abandonnée sur bande magnétique : c’est un trésor que l’on exhume. Probable qu’un enregistrement officiel en aurait quelque peu aseptisé la brutalité, la hargne et la rage. Et émasculé, ce morceau n’aurait pas eu la même gueule...

"Émasculé". Voilà un terme qui ne peut que terrifier les quatre "membres" de MÖTLEY CRÜE, tant ils auront quotidiennement sollicité leur anatomie durant ces longues années. Comme un sacerdoce. Condamnés à sans cesse remettre leur ouvrage sur le métier. Non qu’ils aient eu beaucoup de temps à consacrer à leurs innombrables conquêtes (tout juste "10 Seconds To Love"), ni même qu’ils souhaitaient s’engager sur le long terme ("Too Young To Fall In Love"). Non, ce qu’ils veulent alors, c’est du crade, de l’oscène, du risqué et de l’épicé ("Red Hot"). Quitte à – largement – dépasser les limites et à se mettre en "Danger". L’objectif est alors – plus ou moins – clair : élever leur attitude quasi-primitive au rang d’art. Vaste programme qu’ils auront tout loisir de peaufiner durant la tournée "Bark At The Moon" d’Ozzy Osbourne, dont ils assureront la première partie. Le "Madman" ne porte pas ce surnom sans raison et les excès s’enchaîneront dans une compétition acharnée. À la différence près qu’aucun des membres du CRÜE n’aura de "Maman Sharon" pour poser les interdits.

Écoulés à plus de 200 000 exemplaires deux semaines seulement après sa sortie, « Shout At The Devil » grimpera jusqu’à la 17e place des charts US. Disque d’or (500 000 ventes) en janvier 1984, de platine en février (1 million), l’album se vendra à 2 millions d’exemplaires un an plus tard. Puis à 4 (en 1997). Rien qu’aux États-Unis. Mais le triomphe est également européen, puisque le CRÜE se fera connaître du grand public en ouvrant pour IRON MAIDEN en 1984, lors du "World Slavery Tour" assurant la promotion de « Powerslave ». Nikki Sixx, Mick Mars, Tommy Lee et Vince Neil venaient d’obtenir tout ce dont ils avaient rêvé avec cet excellent album... probablement plus, même. Alors qu’ils fêtaient le succès de « Shout », Mick tenta de se suicider par noyade et Vince planta sa Pantera contre une autre voiture. Le guitariste s’en sorti finalement indemne. Le chanteur aussi (ou presque), mais pas son passager : son ami Nicholas "Razzle" Dingley, batteur de HANOÏ ROCKS, venait de perdre la vie. Les deux malheureux occupants du véhicule percuté furent sérieusement blessés. L’orgie venait de prendre fin de manière dramatique. Et le CRÜE ne trouva qu’une solution pour en sortir : organiser une seconde orgie, encore plus énorme que la précédente. Pour ne plus penser aux conséquences de la première. Un cercle aussi vicieux que vicié : le siège de la douleur. Welcome to the « Theatre Of Pain » !

Pour aller plus loin :
« Too Fast For Love » (1981)
« Theatre Of Pain » (1985)
« Girls, Girls, Girls » (1987)
« Dr. Feelgood » (1989)
« Mötley Crüe » (1994)
« Generation Swine » (1997)
« New Tattoo » (2000)
« Saints Of Los Angeles » (2008)

• « Uncensored » (1986), VHS et Laser Disc... si vous préférez les supports originaux que leur diffusion sur le net !
• « Shout At The Devil » / réédition "Crücial Crüe" (1999) : outre les démos de "Shout At The Devil" et de "Looks That Kill", vous trouverez celle de "Hotter Than Hell" (qui deviendra "Louder Than Hell" sur « Theatre Of Pain ») et, surtout, l’inédit "I Will Survive"
• « Supersonic And Demonic Relics » (1999) : compilation d’inédits et de raretés, c’est ici que vous trouverez l’excellent "Sinners & Saints" enregistré en 1983 !
• The Dirt, le livre, avec Neil Strauss (2001)
• The Dirt, le film, par Jeff Tremaine (2019)
• « The Dirt », l’album (2019)

Enfin, sachez que MÖTLEY CRÜE a fait ses premières apparitions en France en assurant la première partie d’IRON MAIDEN, lors du "World Slavery Tour" (1984) :
21/10 : Nancy (Parc des Expositions)
29/10 : Paris (Espace Balard... les MAMA'S BOYS étaient également de la partie !)
13/11 : Lyon (Halle Tony Garnier)






Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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