
Alors que des groupes mettent parfois plus de 10 ans à pondre (péniblement) un nouvel album, TRIVIUM fait partie de ceux qui ne sont pas en manque d’inspiration. Créatif en studio et actif sur les routes (ils viennent de terminer la tournée "The Metal Tour Of The Year" en première partie de MEGADETH et LAMB OF GOD), TRIVIUM ne se repose pas sur ses lauriers. C’est donc avec leur dixième album studio, « In The Court Of The Dragon », que les Floridiens reviennent, à peine un an et demi après leur dernière réalisation, « What The Dead Men Say », sortie en avril 2020 au tout début de la crise sanitaire. Et c’est aussi pour les fans l’assurance de retrouver le son caractéristique qui a fait le succès du groupe.
« In The Court Of The Dragon » fait immanquablement penser à « Shogun » (2008), de par le côté épique de l’histoire, la longueur de certaines chansons et leur côté progressif. Mais on y retrouve également des éléments des deux derniers albums du groupe, « The Sin And The Sentence » (2017) et « What The Dead Men Say ». Le son y est incisif et puissant, et la voix de Matt Heafy (chant, guitare) s’y fait plus brutale et agressive sur les passages en chant screamé ("In The Court Of The Dragon", "Like A Sword Over Damocles", "A Crisis Of Revelation"...), et plus douce et caressante sur les passages en chant clair ("The Shadow Of The Abattoir", "Feast Of Fire", dont l’intro n’est pas sans rappeler OF MICE & MEN, "No Way Back Just Through"). Après "X", une intro instrumentale composée une nouvelle fois par Ihsahn, le grand maitre norvégien du black metal expérimental et progressif (et ami de longue date de Matt Heafy), qui instaure une ambiance lourde de menaces, on rentre dans le vif du sujet. Cavalcades effrénées et descentes de manche supersoniques, cassures de rythmes et changements de style au sein d’un même titre, alternances de passages violents et hyper mélodiques, le quatuor s’en donne à cœur joie. Alex Bent (batterie) fait encore des merveilles. Technique et inspiré, il insuffle au groupe une énergie démentielle ("From Dawn To Decadence" ou encore l’intro de "Fall Into Your Hands", entre autres). Avec le même line-up depuis 2017, TRIVIUM a trouvé la stabilité nécessaire au développement de son art. Outre Matt Heafy au chant et à la guitare et Alex Bent à la batterie, Corey Beaulieu à la seconde guitare et aux chœurs, ainsi que Paolo Gregoletto à la basse et aux chœurs complètent brillamment le quatuor.
L’album oscille entre titres brefs et directs, tels des coups de poing en pleine face ("Feast Of Fire", "No Way Back Just Through", "From Dawn To Decadence", "Like A Sword Over Damocles") et morceaux à tiroir, à la structure complexe et alambiquée, qui se révèlent complètement après plusieurs écoutes ("The Phalanx", "Fall Into Your Hands", "The Shadow Of The Abattoir"). Le tout parsemé de vraies bonnes surprises, comme l’outro orchestrale de "Fall Into Your Hands" ou bien la mélodie médiévale de "The Shadow Of The Abattoir", sur lequel Matt Heafy sort de sa zone de confort pour proposer un chant grave et profond, éminemment mélodique. La voix du frontman se bonifie avec le temps. "The Shadow Of The Abattoir" est l’un des meilleurs titres de l’album grâce à son tempo lourd, son originalité, et son pont ultra agressif et thrashy. 7'12'' minutes de jouissance auditive. Certes, TRIVIUM fait du TRIVIUM, mais il le fait rudement bien, et il faut reconnaitre au groupe une maîtrise de la composition ainsi que l’art du refrain mélodique qui fait mouche ("Feast Of Fire", "No Way Back Just Through", "In The Court Of The Dragon", "The Shadow Of The Abattoir", "The Phalanx"...). Sans oublier le talent de conteur de Matt Heafy, qui, avec ses textes, vous embarque dans des aventures qui permettent d’oublier le quotidien, à la manière d’un bon roman faisant voyager l’imaginaire.
Les Floridiens ont acquis de plus en plus de cohérence dans leur propos, se servant de leur discographie passée comme d’une base solide pour construire l’avenir, des racines intimement liées au présent, mais avec une modernité, une puissance et un son très contemporains. « In The Court Of The Dragon » a été créé sur la base d’un roman de Robert W. Chambers, mais le groupe a su développer son propre récit qui insuffle lui aussi, une menace latente. Il y a dans cet album l’énergie et la rage que la pandémie a provoquées chez TRIVIUM. La musique et la création comme exutoires, à défaut de pouvoir tourner. Au final, ce fut le meilleur des remèdes pour les artistes, considérés à tort comme non-essentiels. Et la meilleure des délivrances pour nous, auditeurs, qui peuvent enfin jouir du fruit de leur travail. En ce sens, ce nouvel album est une belle réussite à rajouter au crédit de TRIVIUM.