7 octobre 2021, 18:12

METALLICA

"The Metallica Blacklist"

Album : The Metallica Blacklist

L’éternel débat : qu’est-ce qui est classic rock – et donc par conséquent qu’est-ce qui ne l’est pas ? Cette conversation, qu’elle soit fragmentée lors de débats stériles sur les réseaux sociaux en moins de vingt mots mal orthographiés, ou bien dissertée entre geeks quelques épais dossiers de preuves à l’appui sous le bras, ou encore échangée à coups de postillons au comptoir d’un bar, elle s’entretient jour après jour, consécrations après consécrations, tournées après tournées, hits après hits. Et pour ma part, pas plus tard que la semaine dernière – au bar, avec mon pote. 

Alors METALLICA, classic rock ou pas classic rock ? Pour beaucoup classic rock = ROLLING STONES, HUMBLE PIE, LED ZEPPELIN, EAGLES, AEROSMITH, héritage blues anglais et continuité américaine dans les stadiums. Moi j’ai envie de vous dire : classic rock = tout ce qui est aujourd’hui communément considéré comme un classique. Du rock. Point. Tout ce qui peut se retrouver célébré au Rock And Roll Hall Of Fame, jusqu’à son impression sur une paire de chaussettes ou sur un t-shirt H&M. Hélas. Et donc, THE ANIMALS, NINE INCH NAILS, Janis Joplin, GHOST, VAN HALEN et SLIPKNOT, on serait tenté de les reléguer au-dessus de ce même dénominateur commun : même combat – de Joni Mitchell à MINISTRY. Aucune distinction possible désormais : le classic rock n’est pas un genre, c’est une acceptation, universelle, tant populaire qu’également reconnue par les décideurs de la profession. 

METALLICA donc : forcément classic rock depuis le « Black Album ». Doit-on réellement ici énumérer et réécrire tous les faits historiques, indiscutables et si colossaux qui entourent la réalisation, la production, la promotion et la tournée dudit chef d’oeuvre des Four Horsemen ? C’en serait presque insultant ; reste que ce cinquième chapitre, qui aura fait rentrer quatre thrashers californiens à peine débarrassés de leur acné dans la Cour des Grands, est l’objet de tous les superlatifs et s’aligne forcément dans la mythologie rock, voire pop, auprès des « Thriller », « Hotel California », « Back In Black » et autres « IV » et « Appetite For Destruction », astre de diamant qui étincelle dans la cosmogonie. 

Un album de classic rock, dont les singles furent entendus dès leur sortie sur NRJ ou FUN Radio chez nous, et sur n’importe quelle bande FM du monde entier depuis ; un album de classic rock qui aura autant inspiré de nouvelles générations, de nouvelles vocations, tant pour son style que pour son exemplarité, tant pour son fond que pour sa forme, tant pour son écriture que pour son audace – et qui méritait par conséquent encore plus que tous les discours les plus ampoulés et paraphrasés : une descendance, et donc des reprises. Des reprises hélas par trop souvent embarrassantes ou convenues ici et là, pour le pire et le moins pire... jusqu’à, enfin, aujourd’hui, façonnées par un panel d’artistes aussi large que son succès fut grand. 

Nom de code de l’auto-congratulation déléguée et sous-traitée : « The Metallica Blacklist ».

Des albums "Tribute" orchestrés par l’organisation même d’un groupe hautement plébiscité, ça ne date pas d’hier : déjà dans les années 94-95, pas moins que KISS, BLACK SABBATH et LED ZEPPELIN avaient déjà commandités leur auto-célébration par des artistes tiers reconnus, boostant davantage leur hégémonie et leur empire, avec respectivement « Kiss My Ass », « Nativity In Black » et « Encomium », inscrivant ces mastodontes dans le présent mais surtout en leur préparant un futur proche, riche en reformations potentielles et en exploitation marketing. Depuis, ça a été plus ou moins la Bérézina, l’exercice de l’hommage ayant été torpillé par des entrepreneurs tels que Bob Kulick (RIP big moustache) avec ses wagons entiers d’albums tribute mal branlés et prétextes aux cachetonnages les plus misérables. 

Le challenge du jour est cependant à la hauteur, vertigineux même, les héritiers bénéficiant eux-mêmes de cette Tour de Babel de la consécration : à la hauteur du coffret companion de trente tonnes (probablement du jamais vu dans l’histoire de la réédition !!! Boxes anniversaires cheap à venir : gare à l’humiliation !), à la hauteur du poids même de l’album noir depuis ces quelques trente ans, et enfin à la hauteur du rayonnement intersidéral de METALLICA aux quatre coins du globe. Si vous ne le saviez pas encore, METALLICA fait bien partie du Big Four, mais s’il vous plait : pas celui modestement complété par SLAYER, MEGADETH et ANTHRAX. Non, à l’échelle de la planète pop, METALLICA est l’équivalent sans discussion possible des ROLLING STONES, d’AC/DC et de U2. Et pour un tel quadruple album anniversaire, il eut été dommage qu’il soit en demie-teinte : pas question d’avoir ici de la reprise au rabais, pire, des sous-sous-sous-interprétations de "Holier Than Thou" ou de "Of Wolf And Man" par des combos de power metal allemand ou de thrash biélorusse, n’en déplaise aux derniers salafistes du riff gras et donc aux légions de haters qui auraient sûrement souhaité un truc de true – oh, si tristement. Et ça, une Myley Cyrus ou un Elton John au casting, ça ne doit toujours pas vraiment passer. Certains ruminent encore la trahison de la "ballade" "Fade To Black" en 1984 (la rancoeur au goût de bile est tenace), alors le duo avec Lady Gaga pour les Grammy Awards en 2017, n’en parlons pas. 

Et pourtant METALLICA peut s’amuser à faire pire – selon le point de vue. Perso, j’ai envie de dire "mieux" – quand ce n’est pas carrément un coup de maître : inviter tout un parterre d’artistes connus, confidentiels, bankables, hypes, en devenir, amis ou soufflés à l’oreille de Lars, peu importe, et leur offrir carte blanche de choisir parmi les douze morceaux connus – et d’en faire ce qu’ils voudront, tant que l’expression de soi reste une gageure. Le talent est là et surtout l’envie de se réapproprier à sa sauce ces douze commandements d’ébène, réelle. Comme des DJ qui dépioteraient à l’envi les pistes des masters pour en reformuler leurs remixes bien singuliers (il y en a aussi ici...), nombre d’artistes invités réagencent la structure des morceaux, en remanient les arrangements et repensent méticuleusement la chanson pour en faire ressortir la fameuse substantifique moelle. 

Car ce n’est pas forcément de Corey Taylor (ici bien appliqué comme sur les sessions Burbank de STONE SOUR) que l’on attend la plus grosse surprise – ni de VOLBEAT d’ailleurs, aussi bons leurs enregistrements soient-ils. Si « The Metallica Blacklist » reste majoritairement rock, le prisme est toutefois des plus large, avec des aventures fort audacieuses bien au-delà du spectre à guitares, de la chanson minimaliste à l’electro en passant par le folk – mais rassurez-vous, point de raggamuffin. Quoique. Forcément il y a ici des choses énervées, tel OFF! avec l’ex-BLACK FLAG Keith Morris au chant sur une version forcément ultra punk de "Holier Than Thou" ou le "Through The Never" remanié par THE HU, dans le rayon metal folk ethnique belliqueux à la Genghis Khan ; mais on trouve surtout beaucoup de bizarreries et autres radioheaderies lancinantes et vaporeuses qui soulignent toute en subtilité l’Art des compositions de messieurs Hetfield, Hammett et Ulrich il y a trente ans. Histoire de séduire un très vaste public et de profiter des fanbases et autres réseaux de ces "nouveaux noms" pour répandre davantage l’influence de METALLICA – et peut-être de dépasser allègrement le score des 31 millions de copies écoulées depuis août 1991.

Bon et le GHOST alors ? Ce bon vieux "Enter Sandman" repris par GHOST ? Quand est-ce qu’il en parle ? Pas de panique les kids : la relecture de Tobias Forge est des plus honorable et s’inscrit idéalement dans la plastique artistique du suédois, avec classe, théâtralité, respect et personnalité – un sans faute pour l’un des titres les plus attendus de notre communauté, mais qui est largement égalé par le "Sad But True" des rockers anglais branchés de ROYAL BLOOD (que l’on applaudit à tout rompre malgré la détestation de cette branchitude organisée) ou par le "The God That Failed" défiguré et pour le moins menaçant de IDLES.

Si le parti pris du sequencing pourra déplaire – à savoir suivre l’ordre initial des douze extraits du « Black Album » et donc de voir certains d’entre eux répétés à la suite pour cinq, six, parfois sept fois (douze pour "Nothing Else Matters" !!!), ce qui peut lasser ou faire frôler l’overdose –, au moins permet-il la comparaison immédiate entre les versions. Oh, bien sûr vous n’aimerez pas tout, je n’aime pas tout, mais il y a ici une matière artistique purement incroyable — et encore une fois, on est pas ici entre ex-stars bedonnantes des années 80 qui ont chacune enregistré leurs pistes dans des studios qui sentent la moquette humide dans la banlieue de L.A. Ici tout est haut de gamme et merveilleusement travaillé, la plupart des versions étant sublimées par de vrais efforts de créativité, et d’ambiances aussi hétéroclites, tantôt celtes, tantôt jazz, tantôt pop, tantôt synth-wave, tantôt dark country, tantôt disco funk (!), tantôt mexicaines, tantôt hip-hop, voire les deux réunies sur le trap de caille-ra de J Balvin sur "Wherever I May Roam", ou sur celui de Chase & Status qui le suit – et c’est ce qui rend « The Metallica Blacklist » siiiiiii excitant. Quatre CD (ou sept vinyles !!!) qui vont vous accaparer un temps dingue, si tant est que votre curiosité se mesure à la hauteur de l’investissement artistique. Forcément, vous passerez votre chemin sur quelques redondances et peut-être qu’à un moment donné, l’idéal serait de passer à une écoute en mode aléatoire pour être à nouveau surpris. Certaines découvertes ne vaudront pas plus d’une écoute, entre deux bâillements, mais d’autres vont vous obséder. Et si je ne connaissais certainement pas la moitié des artistes ici conviés au prestigieux casting de l’année, certaines présences selon certains "atypiques" ne m’ont pas plus interloquées : on sait que Dave Gahan (chanteur de DEPECHE MODE, même ici en mode crooner sur "Nothing Else Matters") est un pur rocker, et que la fameuse Myley Cyrus démontre largement l’étendue de sa panoplie de pure rockeuse elle aussi, qui même à l’oeuvre sur ce titre réputé intouchable, ne démériterait guère face à la sainte patronne Joan Jett question voix et légitimité. 

S’il y a véritablement quelques (gros) ventres mous autour de ces innombrables "Nothing Else Matters" (hormis le Cyrus et son all-star band ainsi que le Chris Stampleton) et "The Unforgiven", outre les noms attendus nous avons particulièrement adoré le "The God That Failed" tout en blues dark, rauque et rock de Imelda May, le "The Struggle Within" flamenco de Rodrigo Y Gabriela en point final (oui, encore une fois, le latino est très présent, qu’il soit urbain ou traditionnel), ou encore le « Sad But True » synth-disco bubble gum élastique de St. Vincent, celui, poignant, de Sam Fender, ou celui, dansant et caliente du MEXICAN INSTITUTE OF SOUND Feat. LA PERLA & GERA MX qui va fous faire bouger le booty de manière totalement inattendue... Et enfin, oui, oui, oui, le « Enter Sandman » de GHOST, brillant, bien que talonné par ceux de Juanes et de WEEZER.

Un seul petit regret – emprunt de chauvinisme et de foi de métalleux qui n’en reste pas moins ce qu’il est – : ça aurait été sympa d’inviter les copains de GOJIRA !!! Mais non, entre une version en mongol ou la bonne vingtaine d’interprétations aux ambiances hispanisantes, les seule caution francophiles sont à chercher du côté de SebastiAn ou d’Izia (Higelin…) pour sa livraison de "My Friend Of Misery". On s’en contentera pour autant. 

Heureux soyez-vous donc, ô larges d’esprits, d’aller vous plonger dans une telle découverte – forcément un tantinet dirigée par son aspect mercantile, mais pas que.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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