12 octobre 2021, 14:17

Robert Jon & THE WRECK

@ Paris (Les Etoiles)

« I had a dream »

Le même, tous les soirs le même, mais pendant plus de 550 nuits. Cinq cent cinquante nuits agitées, paradoxalement, dans le calme, voire le marasme ambiant. Cinq cent cinquante nuits de sommeil perturbées mais cependant sans acouphènes : cinq cent cinquante nuits sans concerts, et cinq cent cinquante fois le même rêve.

« I had a dream »

Celui de retourner à un concert.
Oh, comme vous tous, j’ai oscillé entre frustration, colère, tristesse, espoirs, faux espoirs, déchirements, doutes, nostalgie et, pire que tout, une forme de résignation. 

Et là où l’on attendait sans trop y croire le seul concert possible, annoncé depuis trois ans et reporté maintes fois, de LITTLE CAESAR aux Etoiles ce 3 octobre – la seule promesse excitante et tangible de l’année avant les incessants autres reports qui ne nous projettent véritablement qu’au printemps 2022 –, on nous offrait, don des dieux, une invitation pour un concert. On ne nous y invitait pas, on nous sommait d’y aller. On nous exhortait de venir. Là où le journaliste rock peut parfois être blasé et décliner sans la moindre politesse des propositions de concerts d’inconnus là où il tuerait père et mère pour être accrédité à n’importe quelle grande Messe à Bercy, là, croyez-moi, il se précipitait sur l’opportunité. D’autant qu’il avait été alléché par la découverte du groupe en question seulement quinze jours avant l’événement : Robert Jon & THE WRECK était donc pour moi totalement inconnu, et aurait pu finir dans l’insondable boîte de l’oubli. Mais en lisant scrupuleusement le communiqué de presse, on salive : on nous annonce donc une rencontre made in California du meilleur de LYNYRD SKYNYRD et des ALLMAN BROTHERS. Mais pas que. Surtout "pas que".

En tant que fan de rock sudiste (pas autant que notre taulier cependant, loin s’en faut...!), qu’il soit de l’ancienne génération ou new-school, l’idée de découvrir un nouveau truc aussi bon que BLACKBERRY SMOKE ou WHISKEY MYERS ne nous faisait plus tenir en place. Aussitôt dit aussitôt fait : après avoir ingurgité d’une seule rasade leur « Shine A Light On Me Brother », déjà leur septième (septième !!!) album tout juste paru ces jours-ci, l’excitation était autant démultipliée par l’effet découverte que par la somme de cette atroce absence. Mais la malédiction, comme levée d’un doigt par Osiris, a pris fin ce 14 septembre 2021, 18 mois, 8 jours, 21 heures et 4 minutes après le précédent, lointain souvenir embrumé dans mon désespoir. Et nous rentrâmes dans les Etoiles, heureux, fébriles et ne réalisant encore guère. 

Après une sympathique première partie opéré par quatre français mordus de blues, de hillbilly, de country et de blues (COTTON BELLY'S) pendant laquelle on a littéralement flotté, reprenant notre place, nos codes, nos usages, nos repères comme après un long purgatoire, c’est à 21 heures pétantes que Robert Jon et son band de WRECK ont pris place sur la scène exigüe. Et de nous emmener loin, très loin, au-delà de l’Atlantique pour près de deux heures de rock sudiste tout autant mâtiné de blues, de country et de soul – même si les arrangement sont évidents plus bruts en live, le groupe étant sur albums souvent accompagné de choristes chaleureuses et de cuivres tout aussi rutilants. Non seulement revivions-nous notre premier concert, avec autant d’émotion qu’un renouvellement de dépucelage, mais il nous a donc fait voyager à travers ces grands espaces de l’Ouest Américain qui m’ont également tant manqué, les considérant presque comme des terres d’adoption estivales dont j’ai aussi été dépourvu depuis deux ans – et dont ces sons-là m’offrirent la meilleure B.O. possible (oui, on ne traverse pas le Texas de long en large en écoutant JUDAS PRIEST).

Sept albums au compteur pour ce groupe originaire de Laguna Beach, soit LA plus belle plage de South California (check google images) et dont les couchers de soleil sont les plus enchanteurs, au moins autant que l’instrumental acoustique de Tony Iommi sur « Volume 4 », "Laguna Sunrise", où lui peignit à la guitare sèche des levers tout aussi mordorés. Sept albums en à peine dix ans de carrière, et donc un répertoire des plus étoffés et surtout original, composé de morceaux parfois pop et entrainants, teintés de rythm'n'blues et d’inflexions Stax forcément 60’s, ou encore d’autres fresques épiques qui invitent à conduire des heures sur les highways – ou à pleurer à chaudes larmes dans sa Budweiser, seul au bar sous un néon du même nom.

Curieux pour ces californiens, si loin de la Terre promise du rock sudiste, de s’en accaparer tous les codes avec autant de vérité. Et d’authenticité. Et de talent, et de tripes, et de coeur, et de soul. Robert Jon est cet imposant et sympathique outlaw barbu et coiffé d’un chapeau, dans une pose que l’on ne situerait qu’entre 1970 et 1976 sur les planches vermoulues d’un Theater antique de Géorgie. Il est magnifiquement secondé par un band aussi jeune que souriant et plein  d’entrain, qui reformule avec une sacré aisance tout le feeling attendu lorsqu’on embrasse une telle culture – avec l’ombre des BLACK CROWES perchés quelque part au-dessus des amplis dans l’étroite alcove des Etoiles. Et l’arme secrète, c’est Henry James, jeune homme frêle à la coupe afro, petite moustache et cravate Bolo de cowboy : une silhouette qui en pleine expression possédée par ses interminables soli, évoque Phil Lynott. Un véritable festival de solos de guitare, Firebird de préférence, qui dupliquent la frénésie de l’éternelle relance et final de "Freebird" à chaque occasion : combien de fois avons-nous goûté ce soir-là aux démonstrations aussi fiévreuses du jeune homme ? Chaque chanson semblait même en être le prétexte, de "Don’t Let Me Go" à "Oh Miss Carolina" (qui a nettement notre préférence, tant sur l’avant-dernier album, que live), en passant par "Everyday" qui, sur disque également, est arrangé à la manière du "Feelin’ Alright" de Joe Cocker. Mais même si la sempiternelle comparaison, systématique, peut agacer, on ne peut nier l’évidence : celle de la similitude avec les ALLMAN, dans cette propension si naturelle et organique à jammer, à étirer ses compos pour que chacun s’exprime et fasse durer le plaisir jusqu’à une montée orgasmique – à chaque fois atteint. 

Oh, quinze fois en une soirée, pas mal.
 


Et pour ne rien vous cacher, on avait déjà eu un petit avant-goût du charisme de ces messieurs la veille, en chair et en os – et pas des moindres : le chanteur Robert Jon Burrison et son désormais inséparable gunslinger Henry James Schneekluth étaient déjà en ville pour répondre les yeux dans les yeux aux journalistes curieux, certains déjà admiratifs du groupe depuis quelques années (il tourne en mode totalement indépendant en Europe depuis quasiment le début), d’autres totalement novices, comme nous. Les yeux dans les yeux tiens : justement, cela faisait aussi 18 mois qu’on avait pas pu s’entretenir dans une même pièce avec des musiciens, et enfin pouvions-nous nous passer de Zoom pour une interview en courte focale.
Histoire de faire connaissance dans les confortables canapés du tout aussi cosy show-room Gibson de la capitale, on a voulu de suite les mettre à l’aise en leur demandant :

Est-ce que vous réalisez que pour bon nombre de rockers parisiens, votre concert de demain soir représente le soulagement définitif, un espoir immense et la fin d’une période de privation d’un an et demi. Et je me sens totalement concerné par cet état de fait, puisque votre concert sera pour moi le premier depuis mars 2020. Ca y est, vous la sentez monter la pression ?
(Rires !)
Maintenant que tu le stipules ainsi, oui on sent la pression !!! Non, on est super excités de revenir et d’être de retour à nouveau à Paris, tout en sachant que ouais, c’est l’un des tous premiers concerts que le public va enfin voir... La pression est présente chaque soir, afin que nous donnions le meilleur de nous. Ouais, c’est même beau et inspirant de savoir qu’on est l’un des premiers groupes à revenir sur scène depuis tellement de temps, et tout spécialement dans une aussi grande ville ! C’est fou et surréaliste !

J’ai de la chance de bien connaître le sud de la Californie et le rock sudiste n’y est pas vraiment populaire : on n’y entend pas les Allman Brothers à tous les coins de rue, et il faut vraiment aller au beau milieu de nulle part, genre chez Pappy & Harriet’s, pour en écouter en live et en capter une certaine essence. Toutefois je suis persuadé que tout artiste est le fruit de son environnement : comment des mecs d’Orange County ont-ils aussi parfaitement assimilé cette culture ?
On ne s’est pas posés là en se disant qu’on allait jouer du rock sudiste, c’est juste sorti de nous tout naturellement, on ne s’est pas conditionnés pour devenir tel type de groupes. On n’allait pas se dire qu’on allait être les nouveaux LYNYRD SKYNYRD, même si on ne peut pas en renier l’influence. J’écoute absolument de tout et tout tombe dans une grosse marmite : certains aspects en ressortent d’une certaine manière et atterrit sur notre disque. 

Mais alors cette plage, Laguna Beach : comment un tel petit paradis vous a-t-il influencé ?
Personne ne peut s’assoir sur une telle plage et ne pas ressentir le soleil sur son visage et au bout du compte se sentir bien, relax. Tout ça c’est très Californie du sud, avec ces aspects cool, tranquille, et le fait que l’on ait tous grandi et habité au bord de l’océan Pacifique, ça a indiscutablement un effet sur nous et notre manière de jouer. C’est authentique mec ; nous on ne se défonce pas et avec ça comme background, tu ne peux pas passe une mauvaise journée...

Le groupe a maintenant dix ans de carrière : un chemin d’autant plus honorable que vous avez choisi la manière forte : plus de 700 concerts, deux EP, et maintenant « Shine A Light On Me Brother » qui sort tout juste et qui représente votre septième album. N’y avait-il pour vous que cette voie-là, si old-school et en même temps si dure, la seule qui puisse égaler celle des anciennes générations, au risque de se cramer les ailes trop tôt ?
Si tu avances trop vite et que tes pieds ne sont pas assez stables, c’est beaucoup plus facile de tomber, plus durement encore. Depuis dix ans on grimpe un à un les barreaux de l’échelle tout en s’assurant que c’est assez solide à chaque étape. Tout est resté très stable et même encore davantage durant cette sacrée période... En même temps, et pour répondre à ta question, ce chemin est en soi une nécessité. D’autant qu’en étant un groupe complètement indépendant, ça fait partie de notre éthique et de notre travail en tant que groupe. Aujourd'hui les gens veulent quelque chose de neuf tout le temps : dès que tu t’absentes ils t’oublient. C’est pas que cela nous inquiète, mais c’est notre manière à nous d’exister. On adore écrire et enregistrer des disques et être dans la même pièce tous ensemble. C’est dans notre sang, c’est quasi rituel !

« I had a dream ».
Yeah.
Que ça recommence.

L'album « Shine A Light On Me Brother » est disponible sur le dite officiel du groupe : Robertjonandthewreck.com


Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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