6 décembre 2021, 18:15

VOLBEAT

"Servant Of The Mind"

Album : Servant Of The Mind

Mine de rien, cela fait déjà seize ans qu’on est tombé dans le panneau. Selon les humeurs, les jours et les avis du fan de mauvaise foi que nous pouvons être (que je suis), cela fait seize ans que l’on a succombé aux charmes envoûtants de VOLBEAT – ou que l’on s’est fait happer malgré nous par leur formule ultra calculée mais si irrésistible. On s’en souvient encore : par une journée encore chaude de la rentrée de septembre 2005, on avait eu entre les mains ce CD d’un groupe totalement inconnu, parmi les dizaines de disques promos hebdomadaires que l’on pouvait alors recevoir, oui, à une époque où le disque était physique et où le systématisme glacial du lien streaming ou du pauvre fichier mp3 n’inondait pas nos boites emails de manière anonyme. Le temps où le journaliste, comme chez un disquaire, pouvait se délecter de coups de coeur et de surprises, d’abord par l’attrait de sa pochette, ou via un choix aléatoire de lecture parmi les colis envoyés, autant de nouveautés que de révélations de potentiels futurs grands noms du rock et du metal. Bingo, « The Strength/The Sound/The Songs » nous avait tapé dans l’oeil, et bien dans les oreilles avec cette recette encore très originale de gros metal scandinave façon HATESPHERE, de punk-rock old-school à la SOCIAL DISTORTION, de rock’n’roll vintage type Elvis Presley, de country signée Johnny Cash, de classe toute DANZIG et surtout, ô surtout, de beaucoup beaucoup de METALLICA, des tics vocaux de James Hetfield à la production surpuissante du « Black Album ». Album numéro deux : idem. Album numéro trois : gros progrès en terme de composition et de singularité, avec ce "Still Counting" qui deviendra l’une des grandes signatures du quatuor sur « Guitar Gangsters & Cadillac Blood » en 2008. 

Et cætera, et cætera.
2021 et un huitième album en seize ans. Ce que l’on en retiendra ? Deux choses. 

Un, que VOLBEAT a une conscience totale et complaisante qu’il est VOLBEAT, et qu’il a réussi à fédérer autant avec des ficelles déjà mille fois éprouvées, circonscrivant sa musique à des repères bien établis qui, aussi hétéroclites qu’énoncés dès le premier album, participent à chaque fois, et à divers dosages, à son son désormais parfaitement calibré.
Et deux, que le trop est l’ennemi du mieux. 

« Servant Of The Mind », avec son atroce pochette (genre brouillon de visuel rejeté pour une démo de DREAM THEATER ou esquisse pour rire d’un EP de THUNDER) qui insulte la précédente (et sa thématique Peaky Blinders pour les kids), a tout du « Reload » de « Rewind, Replay, Rebound ». Ou en tout cas sa suite directe, sans aucune prise de risque. Treize morceaux – ou dix-sept si l’on compte, euh, l’indispensable version double CD collector. Soit bien trop de rab pour un disque qui, comme tant d’autres, souffre de remplissage. Un comble à l’heure du retour soit-disant salvateur et heureux du vinyle où une simple face A et sa jumelle face B suffisent à remplir les attentes de l’auditeur exigeant avec pas plus de neuf ou dix titres à l’ancienne, grand maximum. Là où l’on dit que le format CD se meure (avec sa surface numérique saturée de 80 minutes de trop-plein) et que les EP ou singles isolés alimentent le buzz des artistes (vivement le prochain 2-titres des GUNS après quatorze ans d’attente !!!!), pourquoi offrir plus de soixante minutes de nouvelle musique, au risque de souffrir de quelques bâillements, là où quarante auraient largement suffit, avec à la clé la quasi-certitude de débouler avec un album majeur. 

Tant qu’on est dans ce qui contrarie un peu, non "Dagen Før" est loin, très loin de devenir le nouveau "Mary Ann’s Place" : ce second single teasé il y a déjà quelques mois, duo opportun avec Stine Bramsen, chanteuse du groupe danois ALPHABEAT, mise évidemment sur la facette la plus abordable et donc pop de VOLBEAT, qui a déjà lorgné vers ces sphères-là, de manière épisodique, lors de ses derniers albums. Des tentatives de percées des charts ou des diffusions radio qui s’alignent sur les extraordinaires propensions mélodiques du projet de Michael Poulsen : parfois ç’en est même too much tant ces mêmes mélodies paraissent mièvres, tant au regard de la robustesse des riffs qui les portent, que parfois isolément, tant certaines chansons paraissent téléphonées et limite déplacées, comme si le groupe, sous prétexte de son identité déjà complexe, s’autorisait en toute légitimité de placer l’exceptionnel single qui viendra rameuter un public autrement plus large. 

Dommage encore que VOLBEAT vienne banaliser son rock’n’roll métallisé : ce "Wait A Minute My Girl", boogie woogie rehaussé de saxophone et de piano martelé n’aurait pas dépareillé sur une satire metal de Grease. Certes cette caution metal 50’s fonctionnait idéalement sur quelques titres des premiers albums – là, on est dans la caricature. D’autant que derrière, "The Sacred Stones" contraste et tranche abruptement comme l’un des morceaux les plus putain de heavy de leur carrière... Voyez le topo : un truc né de la rencontre entre du DIO classique, du BLACK SABBATH des années 80 et du MERCYFUL FATE, avec toujours le son du "Sad But True" de qui vous savez, propulsé par la production toujours spectaculairement épaisse de Jacob Hansen. Mais on ne trompera personne : "The Sacred Stones" gagne en luminosité avec un refrain bien plus positif que la tonalité du jeu ne l’envisageait de prime abord. 

Oui, question riffs et mid-tempo, « Servant Of The Mind » est globalement exemplaire : vous en voulez du qui-rampe, vous allez être servis. Epais comme une armée de bucherons prêts à déforester la Sibérie, le single "Shotgun Blues" défouraille sa race, comme le disaient eux-mêmes nos artificiers de la forêt des Landes. Et c’est là du très bon, de l’excellent VOLBEAT : un morceau imparable, équilibre total et édifiant entre la puissance de frappe de leur rythmique et la maestria d’un songwriting apprivoisé – d’autant que ça vient davantage bourriner encore sur son  dernier tiers, sans dénaturer la portée accrocheuse du refrain. "Becoming" assène un riff totalement death metal sur une première partie up-tempo qui n’a cependant rien d’une course de blast beats – pour après revenir à un exercice ultra réchauffé de pure machine volbeatienne, ce que viennent confirmer des "Heaven’s Descent", "The Passenger"  ou "Mindlock", eux aussi assez consensuels, forcément bien écrits mais sans effort notable. Sinon, c’est moi ou le riff central de "Say No More" pille allègrement celui de "Shortest Straw" ??? Ah ça, pour être efficace, ça l’est : on ne va pas bouder notre plaisir, il s’agit ici d’un festival de guitares grasses et volumineuses, avec des Michael Poulsen et Rob Caggiano en très grande forme.

"Step Into Light" est un peu le cousin du bien meilleur "Sorry Sack Of Bones" au menu du précédent, dans cette veine entre THE CRAMPS et LINK WRAY : avec ses inflexions vieux rock’n’roll fifties, on pioche même dans les textures antiques de vieilles nuggets d’un rockabilly pour Halloween dans la lignée de "Sunglasses After Dark". Il succède notamment au très réussi "The Devil Rages On" qui vient lui aussi piocher dans ce même univers de guitares twang héritées de la surf music. 

Enfin, "Lasses’s Birgitta" est l’ultime chapitre et grande pièce maîtresse de ce huitième disque, fresque épique de huit minutes, qui alterne entre les ambiances pesantes, donc aussi heavy et sensiblement orientalisantes, type grande époque du SABBATH avec Dio, avec des parties plus normées sur les couplets, mais indéniablement accrocheuses grâce à une rythmique au galop. On éprouve d’ailleurs la sensation que le groupe a choisi la dernière piste de son album pour nous épater – peut-être donc un peu trop tardivement. Mais la surprise, entre doom traditionnel 80’s et chevauchées homériques, est bien là : c’est le point final à un album plutôt entre deux qui viendra satisfaire les puristes du metal. 

Quant aux fameux titres bonus, VOLBEAT nous offre une poignée de reprises : "Return To None" est empruntée à WOLF BRIGADE, un groupe suédois de crust-punk genre AMEBIX, et l’hystérique "Domino", génialement réussi et fidèle, appartient au répertoire de Roy Orbison, via le filtre hoqueté des CRAMPS. On a également affaire à une version de "Shotgun Blues" en "duo" avec Dave Matrise du groupe death JUNGLE ROT préposé aux growls, à une autre de "Dagen Før" avec uniquement les vocaux de Michael, ainsi qu’au fameux "Don’t Tread On Me" présent sur le non moins fameux tribute « The Metallica Blacklist ».

Alors oui, mille fois oui, VOLBEAT fait indéniablement partie de ce cercle assez fermé de groupes qui renouvellent la vieille garde du heavy metal et qui surtout proposent une identité immédiatement identifiable, une personnalité propre insoumise et singulière. Mais au risque de se satisfaire de cette position, peut-être que Michael Poulsen commence à s’enfermer dans un rôle et une position confortable sur son marché : attention à l’indigestion d’une recette en déficit d’audace, même si elle est incroyablement copieuse, généreuse, et préparée avec amour.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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