25 mars 2022, 19:08

Angélique Merklen

Interview de la traductrice de "The First 21 : How I Became Nikki Sixx"

Pire que Georges Lucas ! Pas facile, en effet, de remettre de l’ordre dans la trilogie de Nikki Sixx : le premier volet (The Heroin Diaries) est en fait le deuxième épisode, le second (This Is Gonna Hurt) se situe à la fin de la saga et le troisième (The First 21: How I Became Nikki Sixx) en constitue le point d’ancrage. Si remettre les choses dans le bon ordre fait partie intégrante des missions d’une traductrice, se glisser dans la tête de l’auteur que l’on traduit comporte-t-il des risques ? Qui plus est lorsque le psychisme dudit auteur en a vu des vertes et des pas mûres ? À l’occasion de la publication de The First 21 en VF (éditions Camion Blanc), Angélique Merklen, qui pense simultanément français, anglais et américain, et qui a notamment traduit les trois ouvrages susnommés, nous dit tout de son parcours. Et puis, après en avoir tiré la substantifique moelle au travers de centaines de pages, elle a eu la chance de rencontrer Nikki Sixx en chair et en os... So, is it heaven or hell ?
 

Angélique, comment es-tu devenue traductrice ? Peux-tu nous donner quelques points de repère pour comprendre ton parcours ?
Si je me suis mise à traduire, c’est d’abord pour décrypter les paroles des chansons. À treize ans, je suis tombée sur « From The Inside » d’Alice Cooper. Les textes étaient joints au disque. Là, ça allait encore ; avec un dictionnaire, je m’en sortais. Pareil avec MAIDEN et son magnifique vocabulaire. Mais ensuite, il y a eu MARILLION et MÖTLEY CRÜE... Je me suis jetée sur les paroles, mais MÖTLEY, par exemple, même avec la meilleure volonté du monde... pas moyen d’en venir à bout ! Je devais tout le temps demander à ma prof d’anglais ! Elle a sûrement été surprise plus d’une fois, mais elle m’a souvent dépannée, le plus gentiment du monde. Enfin voilà : marre de demander à droite à gauche, j’ai décidé que j’allais me débrouiller toute seule. Le plus drôle, c’est que maintenant, dans les livres, nous ne traduisons les paroles de chanson que quand c’est indispensable à la compréhension du texte – parce que, on a beau faire, c’est toujours un peu balourd (je vous laisse le soin de trouver des exemples !).
C’est donc en me dépatouillant avec nos "rockers", à l’adolescence, que j’ai eu l’envie de devenir traductrice – et que j’ai appris l’anglais ! – parce que je voulais tout comprendre, au moins dans ce domaine. Après une maîtrise d’anglais, pour être sûre que rien ne m’échappe, je suis passée par de la théorie (le DEA de philo avec Schleiermacher, Spinoza et l’humanisme de Pic de la Mirandole, bien évidemment), puis j’en suis venue à la pratique (avec les lettres classiques, pour avoir les bons outils, ou encore la théologie, qui m’aide beaucoup, par exemple, pour les nuances entre christianisme et protestantisme). Enfin, Maxim Dubreuil, avec qui je travaille depuis toujours, est allé faire des études de psycho (pour mieux comprendre de quoi on parle). Maintenant on étudie des cas...

Quelles sont les difficultés inhérentes à ton métier... et qu’il est parfois difficile de faire comprendre aux autres ?
Voilà la première qui me vient à l’esprit : éviter les répétitions. En anglais, coller trois fois le même mot sur la même ligne, ça ne dérange personne, mais ce n’est pas beau du tout en français – sauf quand il s’agit d’un effet de style. De même, les expressions sont parfois complexes à rendre correctement ; le mot à mot est rarement suffisant. Et puis, mine de rien, la logique des Américains fonctionne souvent à l’inverse de la nôtre – ils commencent par la chute quand nous la gardons pour la fin. Ce n’est pas facile à expliquer, il faut me croire sur parole !
En fait, on n’essaie pas de "faire comprendre" les difficultés. Les complications, nous les résolvons et nous servons le produit fini. De plus, un texte n’est considéré comme prêt qu’après douze relectures. Douze ! "Prêt", ça veut dire proche de parfait, car notre pire ennemi, ce sont les coquilles. Les fautes nous sautent aux yeux, en général, mais recevoir le livre imprimé et y trouver encore des choses qui clochent, c’est très énervant. Ça nous est encore arrivé dernièrement, et on a décidé de rajouter une couche de relecture pour tout ce qui suivrait. On a intérêt à apprécier ce qu’on a écrit, vu le nombre de fois où on le relit...


© Angélique Merklen - DR


Fais-nous saliver : quels auteurs rockers as-tu déjà traduits en français ? Et quels sont ceux que tu rêves de nous faire découvrir en VF ?
Déjà traduits ? Nikki Sixx et Paul Stanley sont les deux qui clignotent en rouge ! Sinon, il y a surtout eu Vince Neil, un chanteur que j’aime beaucoup et ma toute première traduction pour Camion Blanc. J’en étais si heureuse que ma chienne s’appelle Lia-Neil, du nom de l’épouse d’alors de notre Californien préféré. J’étais aux anges. Sinon, certains livres m’ont rendue très contente : ceux sur VAN HALEN, Duff McKagan et Al Jourgensen. Ou encore Harley Flanagan et Roger Miret, tous les deux stars de la gentillesse !
Quant à ceux que je "rêve" de faire découvrir, après Sixx et Stanley... il reste David Lee Roth en particulier et Tommy Lee. Henry Rollins aussi, même si on a déjà traduit Spray Paint The Wall sur BLACK FLAG ; j’ajouterais bien Get In The Van à notre collection. La rectitude de ce type me fascine ! Et puis aussi Joan Jett, pour mes amours de jeunesse. Et Gibby Haynes alors ?!
À propos de The First 21, c’est un peu la Guerre de l’Étoile : Sixx nous aura servi sa vie dans le désordre : d’abord la période du milieu, le bad boy de The Heroin Diaries, puis la réhabilitation d’un bassiste débarrassé de ses addictions avec This Is Gonna Hurt. Et maintenant, nous découvrons Nikki Sixx petit garçon, gamin espiègle à vélo avec ses copains, qui affrontera bientôt les joies du rock’n’roll lifestyle. Des péripéties auxquelles il nous invite dans un style enlevé, nous livrant aussi un aperçu sur la préparation du "Stadium Tour".

  


Après The Heroin Diaries puis This Is Gonna Hurt, The First 21 est le troisième ouvrage de Nikki Sixx auquel tu t’attaques. Tu connais forcément – un peu – ce qu’il se passe dans la tête du bonhomme... Qu’as-tu ressenti à la lecture (et traduction) de ce livre, dans lequel notre héros a à construire sa vie ?
Quand on traduit, on a une approche très directe du texte et de la personnalité. Cet exercice n’est pas simple : il faut à la fois être "l’auteur", ne pas le trahir, tout en ayant assez de recul pour que le texte ne soit pas hermétique, que l’écrivain ne soit pas... tout seul dans sa tête et incompréhensible. On plonge dedans, même, et il faut se livrer à une véritable dissection. Quant au recul, avec Sixx, j’ai notamment réalisé une particularité américaine très répandue mais évidente avec lui : pour traduire ce qu’il "dit", il faut comprendre ce qu’il ne dit pas. Ce qu’il tait est au moins aussi important que ce qu’il exprime (tiens, ça me fait penser au court silence que l’on entend au beau milieu des chansons "This Is Gonna Hurt" ou "Wreck Me", pour mieux les faire rebondir. Oui : les silences, ça compte !). Ainsi, quand il dit d’un musicien "il peut être très bon en studio", ça peut signifier qu’il est mauvais sur scène ! Ce sont des silences à respecter... à manifester aussi. Je trouve ça très drôle – comme une forme de respect, pour ne pas dire du mal d’une personne. Une forme d’égard qui me convient.
Nikki Sixx a fait de la prudence un art. S’il lui arrive de foncer dans le tas dans une situation donnée, il se montre plus circonspect vis-à-vis des individus. Parce qu’il a appris à se méfier des conséquences, peut-être. On imagine bien qu’il peut lui arriver de s’en prendre à quelqu’un dans la vie courante, mais de là à l’imprimer, c’est une autre histoire.

Tu as pu rencontrer le bassiste de MÖTLEY CRÜE en juin 2012, peu avant leur concert au Zénith parisien (NDLR : j’y étais aussi !) Au-delà des émotions (mais tu as le droit d’en parler), qu’as-tu pensé de cette entrevue : à la hauteur de ce que tu t’étais imaginé ?
Je n’avais rien imaginé à vrai dire, mais je suis admirative du côté pro de Sixx. Il est aussi professionnel pour mettre à l’aise que pour composer ! Quand je suis allée le voir, j’étais avec un ami terriblement nerveux à l’idée de rencontrer son idole, ce qui m’a obligée à garder mon sang-froid, pour compenser. Et la première chose que Sixx a dite en nous ouvrant sa porte a été : "Waouh, vous vous rendez compte, Paul McCartney a soixante-dix ans aujourd’hui !" Et voilà... J’ai d’ailleurs usé mes premiers walkmans avec les BEATLES ; et oui, j’aime la version MÖTLEY de "Helter Skelter"...
Si j’avais eu des "espérances" concernant cette rencontre, elles auraient été dépassées. Sixx est un pro, même dans les rencontres amicales/détendues, par sa façon de mettre à l’aise, de parler de tout et de rien, de me dire "Oh la la, mais tu as dû t’arracher les cheveux, avec mes blagues pourries ?!" Effectivement : les plaisanteries ne sont pas toujours faciles à traduire en français, mais, à deux (merci Maxim !), on en vient toujours à bout.
Bref, si j’ai appris quelque chose de Sixx, c’est le sérieux dans la décontraction et/ou la décontraction dans le sérieux.


Retrouvez la chronique de The First 21, le livre

The First 21: How I Became Nikki Sixx par Nikki Sixx
Traduction française : Angélique Merklen
Éditions Camion Blanc - 298 pages - 32€

Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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