On se connait bien, on ne va pas se mentir, hein ! Autant est-on ravi de voir DEF LEPPARD reconquérir son marché et jouir d’un buzz retentissant comme on ne l’aurait certainement jamais plus parié - et l’on parle ici de gros buzz, rien de tel depuis «Adrenalize», il y a, oh, trente ans -, autant peut-on s’avouer coupable de l’avoir un peu délaissé pendant près de deux décennies. Pour être complètement honnête, les vagues échos entendus autour de «Euphoria» en 1999 ou «X» en 2002 nous avaient conforté à suivre la vague de désintérêt général autour du groupe. Et même à n’avoir jamais, ô grand jamais, écouté la moindre note de «Songs From The Sparkle Lounge» en 2008.
Par contre, le sursaut «Def Leppard», onzième véritable album studio éponyme sorti en 2015, avait pu nous enthousiasmer un temps avec ses relents nostalgiques, certes revivalistes, clichés et nostalgiques autour d’une formule «Hysteria» assumée pour capter à nouveau l’attention des lâcheurs (bien joué, j’en avais dressé mes deux oreilles, voire le reste) - sans parler de la parenthèse guilty pleasure de «Yeah !» en 2006, les cinq musiciens ayant parfaitement réussi l’un des meilleurs albums de reprises de la sphère hard rock (un exploit tant y pullulent d’essais ratés), en ne se concentrant que sur leurs années teenage, glam-rock et rock anglais (T-REX, THE KINKS, Bowie, FACES, THIN LIZZY, etc), soit les bases qui ont strictement cimenté leur inspiration, conjoncture lieu/époque où il fallait bien des couleurs, de l’audace, de la pop et néanmoins des gros riffs pour faire rêver cinq kids des quartiers prolétaires d’une moche cité industrielle du nord de l'Angleterre.
Alors DEF LEPPARD, en lice pour l’Album hard de l’année ? Et pourquoi pas ? En tout cas, ce même buzz est largement mérité, bien mieux argumenté que l’énième retour d’un groupe monstrueux des eighties promis à remplir des stades (ce qui est néanmoins le cas !), mais ici fort d’un album ultra solide - à défaut d’être metal. Pour ça, il faudra aller voir ailleurs, et en ce qui concerne le strict hard rock, se contenter du superbe coffret «The Early Years 79-81». L’engouement, planétaire, ne repose pas sur des avantages en nature offerts par le label, mais bien sur l’écoute répétée, mille fois répétée, de l’album, en amont d’une campagne promo savamment orchestrée. Mais avant d’avoir potentiellement le cerveau retourné pour avoir rencontré ses idoles d’adolescence pendant trois quart d’heures, c’est bien la musique qui va donner le "la". Et ta-daaaaaam, «Diamond Star Halos» est assurément le meilleur album des métallurgistes de Sheffield depuis trente ans - et donc depuis «Adrenalize», même si l’on tient «Slang» en très haute estime, l’album ayant tourné en boucle à sa sortie en 1996 (et encore aujourd’hui).
«Slang», c’est précisément l’album que j’ai immédiatement eu en tête en découvrant «Diamond Star Halos», tant certaines sonorités s’en rapprochent, d’évidence sur "Liquid Dust", avec son cyber-groove bien élastique, ses cordes indo-orientalisantes synthétiques et son refrain sucré - mais également "Lifeless" avec ses mélodies country, sons modernes et arrangements electro-alternatifs, mais aussi "Open Your Eyes" avec son intro à la basse épaisse, ou même "Fire It Up".
Allez, si l’on voulait comparer ce douzième album à un cocktail simple qui tournerait autour de quatre ingrédients majeurs, on y trouverait donc du «Slang» et du «Hysteria» comme base, mais aussi l’envie décomplexée de piocher dans les sensations de l’adolescence (et donc bien avancée sur «Yeah !»), tout en y rajoutant quelques pincées de secrets bienvenus qui rendent le cru exceptionnel : davantage d’audace donc, de grandiloquence, de maturité, tout en se permettant quelques pièces musicales jamais entendues chez DEF LEPPARD en terme de songwriting ambitieux.
Et sur quinze morceaux, on retrouve d’entrée de jeu cette recette miracle à travers les quatre premières compos exemplaires qui viennent vous lécher les oreilles : "Take What You Want" est typique de ce hard rock FM des Anglais circa 1987 (avec licks de guitare endémiques), toutefois boosté par une robustesse assez insolente - on en parlait d’ailleurs en aparté avec Rick Savage : qu’est-ce qu’ils ont bouffé les sexagénaires pour se remettre autant en question dernièrement ? Les SCORPIONS, Alice Cooper, JUDAS PRIEST et autres septuagénaires nous ayant dernièrement offert des disques hard tellement costauds, inspirés et exceptionnels... Derrière, le single "Kick" joue donc la carte du glam-rock de 1973 revisité par l’entreprise féline, soit du T-REX complètement assumé (et dans le texte, «Diamond Star Halos» étant une citation tirée du «Get It On (Bang A Gong)» du lutin glitter), "Fire It Up" qui dans sa structure rock FM rappée sophistiquée tisse ainsi le lien entre le single "Slang" et les eighties, façon "Pour Some Sugar On Me". Et enfin, "This Guitar" est la première ballade de l’album : probablement l’une des meilleures qu’ils nous aient livrées, sur la foi d’une écriture sobre, élégante, intimiste, acoustique et electro à la fois - et surtout sur la présence d’Alison Krauss, star country qu’ils sont allés piquer à Robert Plant, ayant comme nous tous chaviré devant la beauté de leurs duos (sur les deux albums, «Raising Sand» et le dernier «Raise The Roof» en 2021). Une chanteuse aussi séduisante que douce et authentique que l’on retrouve plus loin sur "Lifeless".
Si : pour chercher le défaut, on pourrait se retrouver à bâiller ci et là autour des deux tiers de l’album, avec un petit ventre mou regrettable (ramené à douze chansons, «Diamond Star Halos» s’inscrirait comme un chef d’oeuvre entre «Pyromania» et «Hysteria»), cela n’entache guère le plaisir d’une écoute qui se termine inévitablement en mode repeat - depuis que l’on a eu l’album entre les mains pour préparer notre interview, on ne compte plus les lectures. Par dizaines. Rayon rock, voire hard rock, "SOS Emergency" pourra raviver la flamme des quelques pyromanes qui restent inévitablement scotchés dans les années 80, soutenu par un "Gimme A Kiss" qui se pose en tube glam-metal estampillé 1988, tandis que notre préférence va à l’irrésistible "Unbreakable" : tout ici concourra à vous faire bouger le boule comme jamais - petit riff électrisant, beat synthétique, et un chorus qui à tout âge va vous voir agripper le premier ustensile venu pour chanter devant votre miroir, et quel qu’en soit le reflet, vous allez devenir une rock star pendant trois minutes et 47 secondes. Et si cela ne fonctionne pas, c’est que vous êtes soit frigide, soit salafiste. Ou décédé.
Parmi la poignée d’autres ballades convaincantes qui brillent parmi ce halo d’étoiles de diamants, on trouve deux autres compositions haut de gamme, qui voient les cinq musiciens accomplis se mesurer au sacré, en caressant la magie du Bowie d’antan. A mi-chemin entre le "Love Bites" de 1987 et le "Aladdin Sane" de l’extraterrestre androgyne, "Angels (Can’t Help You Now)" vous transporte dans la voie lactée, comme promis. Choeurs célestes, arrangements cinématographiques, cordes majestueuses, soli de guitare façon Mick Ronson à chialer et partie de grand piano grandiloquente - on croirait y entendre le Mike Garson de "Aladdin Sane" justement... c’est normal : C’EST le Mike Garson de "Aladdin Sane" qui se balade sur les touches d’ivoire comme si nous étions en 1973.
Enfin, "From Here To Eternity", pièce finale et acmé du disque, s’avère être une fresque grandiose qui vient définitivement conjuguer les BEATLES et QUEEN : des choeurs parfaits qui en subliment la portée dramatique, voire sensiblement obscure, qui reposent sur l’accord tournant et quasi maléfique du "I Want You (She’s So Heavy)" des Fab Four, et empruntés à «Abbey Road». Quant aux soli, ici aussi gracieux et stellaires, ils révèlent plus que jamais le talent et la complémentarité entre Phil Collen et Vivian Campbell.
Doit-on réellement déployer davantage de superlatifs pour convaincre ? Si certains nazes courent chez H&M se payer une tranche de crédibilité rock en venant arborer le triangulaire logo jaune et rouge sur du textile made in Bangladesh, pourquoi l’esthète qui est en vous n’irait pas donner sa chance à un album exceptionnel ? Pour rester dans le domaine du textile, ce n’est pas forcément jouer les moutons que de (re)prendre le train en marche - et pour paraphraser le Colonel Parker sur son poulain Elvis, «110 millions de fans de DEF LEPPARD peuvent-ils avoir tort ???»