27 juillet 2022, 17:26

SATYRICON & MUNCH

interview Frost


Jusqu'au 28 août 2022, se tient à Oslo une exposition particulière au musée Munch. Quelle rapport avec la musique me direz-vous ? Eh bien en plus de la présentation des peintures du célèbre norvégien dans un environnement atypique, on peut y écouter la musique écrite et jouée par SATYRICON spécialement pour cette occasion. La bande son de 56 minutes dépeint une ambiance sombre, torturée mais hautement inspirée qui fait coïncider parfaitement le monde du black metal et celui de l'art pictural. Les œuvres combinées sont une réelle expérience à vivre, fruit d'un travail titanesque mais très gratifiant. Si vous n'avez pas l'occasion de voyager en Norvège cet été, la musique hypnotique est d'ores est déjà disponible en streaming et sortira en version physique le 2 décembre. Frost, batteur de SATYRICON, nous fait part de la genèse du projet, de ses impressions et de ses connaissances enrichissantes, en toute humilité et avec une grande sensibilité.
 

Merci de partager avec nous ce projet intéressant et innovant qu'est la réalisation de la musique pour l'exposition SATYRICON and MUNCH qui est actuellement visible à Oslo. Peux-tu tout d'abord nous parler de sa genèse ?
Eh bien on pourrait facilement écrire un livre à propos de ce projet titanesque mais je vais essayer de résumer un peu tout ça. Satyr avait déjà l'idée de faire quelque chose comme ça à l'époque de l'écriture de l'album « Deep Calleth Upon Deep ». On a utilisé une peinture de Munch pour la pochette et je sais qu'elle signifie beaucoup pour Satyr. Quand il l'a découverte, il y a vu un lien très personnel et cela lui a donné envie d'approfondir ses connaissances à propos de Munch et son travail. Il connaissait bien sûr le peintre mais il a voulu en savoir plus sur Munch et sur ce qui l'avait poussé à réaliser cette peinture. Je pense que quelque chose a commencé à ce moment-là, peut-être inconsciemment. Quand « Deep Calleth Upon Deep » a été terminé, Satyr a voulu faire quelque chose de différent de tout ce que l'on avait pu faire auparavant. Il était prêt à mener des projets de grandes envergures et innovants, inspirants pour lui. Il a voulu explorer des horizons différents de ce que les gens attendent de nous. Son but fut alors d'explorer le monde de Munch à travers la musique.


© Munch Museet - DR


Et comment a-t-il eu l'occasion de travailler avec le musée ?
Il a du expliquer le projet, être certain de la tournure qu'il voulait que cela prenne et surtout être sûr de pouvoir le mener à bien. Pour convaincre le musée, Satyr a réalisé quelques démos pour illustrer ce qu'il voulait et pouvait faire. Ce fut suffisant pour les convaincre qu'il avait la bonne approche et la bonne compréhension des œuvres de Munch. Il savait ce qui était nécessaire pour un tel projet. Il y eu énormément de bureaucratie pour arriver à monter ce projet mais nous avons réussi à le rendre réel. La volonté de Satyr a été mise à rude épreuve mais elle est demeurée intacte malgré le défi que cela représentait. Il ne savait pas exactement quelle musique il pourrait écrire mais il a eu confiance en sa capacité à travailler jour et nuit, en sa compréhension de l'art et il savait qu'en fin de compte, il réussirait. Il s'est laissé totalement envahir, physiquement et mentalement par les œuvres de Munch et a retranscrit ce qu'il ressentait alors, ses émotions. Ce qui en ressort est beau et brillant et les gens qui ont visité l'exposition se sentent transcendés par ce qu'ils ont vécu. C'est fantastique. Et c'est aussi un album fantastique de SATYRICON.

En effet, la musique est envoûtante et elle reflète bien l’œuvre de Munch mais aussi sa vie et sa philosophie. C'est un travail global autour de l'artiste non , pas seulement autour de son travail ?
Oui, Munch avait un esprit perturbé, il a traversé des périodes très sombres mais il était aussi quelqu'un de travailleur et engagé, très productif. Il était têtu et ne relâchait jamais ses efforts tant qu'il n'était pas arrivé à ses fins, et ce de manière parfaite. Il était autant méprisé qu'adoré et a rencontré beaucoup de critiques par qu'il n'était pas conventionnel. Et c'est exactement ce que nous avons vécu avec SATYRICON également. Il était certain de faire les choses telles qu'elles devaient l'être. Il insistait sur le fait que ce qu'il peignait était ce qu'il avait vécu. Il est d'ailleurs très connu pour cette phrase : « Je ne peins pas ce que je vois mais je peins ce que j'ai vu ». Son esprit était plein de mystères et de magie. Et quand on regarde ses peintures, on comprend les sentiments qu'il vivait. Il ne regardait pas simplement le monde autour de lui mais il en faisait l'expérience intensément et était très bon pour en exprimer son ressenti. C'est ce qui a fait de lui un peintre reconnu. Il n'avait pas peur d'être impopulaire. A cette époque, il était attendu des peintres une approche très naturaliste, ce qu'il a eu pour certaines peintures qui ressemblent à des photos. Mais il ne voulait pas s'arrêter là et a été considéré comme un excentrique. La peinture utilisée pour « Deep Calleth Upon Deep » en est un bon exemple car elle est brute et crue mais aussi très symbolique. Mais pour ceux qui la comprennent, c'est une œuvre géniale qui a beaucoup de sens. D'ailleurs, à la sortie de l'album, la pochette a relancé le débat, ce que nous avons trouvé amusant !

Munch aurait été très fier d'avoir la musique de SATYRICON pour accompagner son propos car elle correspond exactement à son œuvre...
Oui, je pense qu'on a un peu la même façon d'appréhender le monde et j'espère que Munch aurait apprécié notre travail.

J'imagine que la façon de composer l'album a été différente de ce à quoi vous êtes habitués ?
Oui, en effet. Satyr n'était pas sûr de comment s'y prendre et quoi écrire au début mais il savait qu'il arriverait à produire quelque chose qui a du sens. Il fallait juste se lancer et voir ce qui adviendrait. Il a trouvé en lui les ressources nécessaires pour parvenir à créer quelque chose d'intéressant. Il a trouvé les bons sons correspondant aux œuvres, une instrumentation différente de ce que nous faisons d'habitude. On travaille généralement avec des guitare, basse et vocaux. Mais là il a dû utiliser d'autres instruments pour exprimer ce qu'il ressentait. Il s'est donc ouvert à de nombreux horizons et a trouvé de l'aide chez d'autres musiciens qui le comprenaient et qui savaient quelle énergie ils devaient véhiculer et les émotions qu'ils devaient faire ressentir. Ce sont des éléments importants qui ont fait que le résultat est ce qu'il est.

Vous avez dû réfléchir en terme d'atmosphères plus qu'en terme de metal cette fois ?
Oui, il était nécessaire de s'enlever toute limite, toute frontière et ne rester dans nos standards. On a dû nous éloigner de notre zone de confort. Si tu fais de la musique pour un art qui est très expressif, tu ne peux pas considérer ton environnement musical comme la base du projet. Il faut sortir du cadre auquel tu es habitué. Cependant, la musique de l'exposition porte toute de même la forte signature de SATYRICON et c'est essentiel.

C'est ce qui est magique avec cet album, c'est du SATYRICON, mais ouvert à d'autres horizons. Est-ce que cela va d'ailleurs influencer votre façon de composer à l'avenir ?
Oui, je ne sais pas trop dans quelle mesure, c'est impossible à prévoir mais un tel projet aura forcément des répercussions sur notre vision de la musique à l'avenir. Il n'aura pas simplement ouvert une porte ou deux mais en aura ouvert des milliers. Cela nous a permis de nous enrichir et ouvrir nos horizons en ce qui concerne SATYRICON également. Je ne peux par contre par encore te dire ce que ça donnera dans le futur, ni en terme de compositions, ni en terme de performances live.

Est-ce que tu penses que vous aller fédérer de nouveaux auditeurs , qui vont s'intéresser au groupe par le biais de l'exposition ?
C'est difficile à dire et ce n'est pas ce que nous recherchons. Nous avons fait ce que nous pensions être le mieux pour répondre au projet, mais aussi pour la musique de SATYRICON. On n'aurait pas pu réfléchir à vouloir plaire au plus grand nombre, cela n'aurait simplement pas répondu à ce que nous voulions pour Munch. Même si les gens n'aiment pas ce que nous avons fait, on n'avait pas d'autre choix que de suivre notre instinct. Mais on a l'impression d'être sur le droit chemin, on a confiance en notre musique. Et souvent lorsque tu es entièrement dédié à ce que tu réalises, tu trouves forcément des personnes qui aiment ton travail. Si tu es sincère et que tu travailles beaucoup, il y a de grandes chances que les autres partagent ta passion et ton engagement. C'est le mieux que tu puisses faire.

Qu'as-tu apprécié le plus dans ce projet et quelles ont été les plus grosses difficultés auxquelles vous avez été confrontés ?
Si tu poses la question à Satyr, il se mettra presque à pleurer tellement la tâche à relever était immense. Je sais qu'à certains moments, il a vraiment vécu un ascenseur émotionnel. Je sais aussi que lorsqu'il a vu les gens faire l'expérience de sa musique en regardant les peintures de Munch au musée, il a eu un grand sentiment de réussite et de la gratitude d'avoir autant d'impact sur les gens. Pour moi, ce fut une grande expérience, aussi bien musicale qu'humaine. Quand les gens viennent me voir pour me dire à quel point ils sont heureux et qu'ils sont en larmes tellement les émotions et les énergies sont fortes, je ne peux qu'être reconnaissant et fier du travail accompli.

Est-ce que tu penses que cette exposition pourrait être exportée dans d'autres pays, en France par exemple pour que nous puissions vivre cette expérience aussi ?
On y a réfléchi mais je ne sais pas si ce sera possible car cela ne dépend pas de tout. Les œuvres ne peuvent pas être sorties comme ça du pays, on doit en prendre soin. Il faudrait que des musées les acceptent et acceptent le projet. Ce n'est de toute façon pas à l'ordre du jour : on a d'abord besoin de savoir si l'exposition plaît et si elle intéresse d'autres personnes. Chaque chose en son temps.

Alors peut-on imaginer que vous jouiez au moins en partie la musique en live lors de prochains concerts ?
Oui, tout à fait. On ne sait pas encore comment mais on va se mettre au travail pour mettre en live cette musique. On en a vraiment envie, cela demande de réfléchir à la mise en œuvre mais on y pense sérieusement. Ce sera un nouveau défi à relever mais nous sommes prêts.

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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