12 septembre 2022, 10:00

Ozzy Osbourne

"Patient Number 9"

Album : Patient Number 9

On va se la jouer franco, alright ? 

Ozzy ne va pas super super bien. Les dernières photos volées ou même publiques le laissent apparaitre comme un vieillard vouté agrippé à sa canne, portant le poids de sa maladie de Parkinson et des diverses opérations du dos qu’il a dû éprouver au cours des derniers mois, dans un climat covidien anxiogène qui a vraisemblablement dû décupler d’autres traumas dans la psyché déjà hypocondriaque et tourmentée du Madman.
Ses deux dernières apparitions en date, (hélas ou heureusement) en playback, l’une au cours de la Cérémonie de clôture des jeux du Commonwealth à Birmingham en août, l’autre à la mi-temps du premier match de la NFL aux States, se sont toutes deux avérées être de francs désastres, aussi pathétiques qu’un mauvais live de Vince Neil. Qui, lui, a peut-être au moins renoncé au recours de bandes enregistrées (ça se saurait), ce qui ne sauve cependant rien du manque de dignité.

Mais, au fait, le si élégant Jimmy Page, classieux gentleman, va-t-il mieux ?
On imagine l’homme fier, mystérieux, dans le contrôle total et l’exploitation perpétuelle de son joujou ZEPPELIN, et peu enclin à se rabaisser à exécuter un featuring à distance au bénéfice d’un clown parodique du circus heavy metal qu’il exècre, d’ailleurs. Mais Jimmy peut-il encore jouer ? Outre ses innombrables apparitions sur le devant de la scène médiatique pour défendre les salves de rééditions de LED ZEP, sa prestation pour leur reformation éphémère en 2007 à l’O2 de Londres et sa participation au film It Might Get Loud l’année d’après, cela fait grosso modo une vingtaine d’années que l’on n’a pas entendu la patte de Page sur un disque - alors qu’il nous annonce depuis plus de dix ans un truc fantastique sur lequel il eût dit travailler dans le plus grand secret de ses propres studios ; soit une promesse qui s’apparente à de la bonne vieille démocratie chinoise.
Fin de l’aparté, cependant nécessaire : si l’absence de Jimmy Page est cruelle, qu’Ozzy excuse gentiment (ou ironiquement) en déclarant penser qu’il a très probablement changé de numéro de téléphone portable, c’est bien la présence des trois autres monstres sacrés de la guitare britannique qui offre l’une des plus-values les plus dingues de "Patient Number 9". Pensez donc : rien de moins qu'Eric Clapton sur un morceau (un "One Of Those Days" à la patte si délicieusement bluesy sur ses interventions, entre deux déclamations d’un refrain terrassant), Jeff Beck sur deux chansons non moins remarquables et, ô douce euphorie, Tony Iommi sur deux autres. La performance aurait été historique avec la présence de Pagey, mais contentons-nous déjà de ces guests faramineux, venus en amis, venus en vétérans survivants de la vieille garde rock britannique – et également venus dans l’espoir d’éveiller une quelconque curiosité à leur égard parmi les fans d’Ozzy toujours aussi nombreux, passionnés, enthousiastes et jeunes aussi, son public à lui ne cessant de se renouveler de générations en générations, contrairement à d’autres.

Mais plus encore, ce qui frappe d’emblée dès les premiers morceaux apprivoisés de ce patient numéro neuf, bien tourmenté et éprouvé par les affres de la vie, c’est l’extraordinaire robustesse de sa voix.
LA voix si imparfaite mais reconnaissable et singulière du Prince des putains de Ténèbres sonne d’une puissance redoutable qui tranche avec l’image du papy fatigué qui arc-boute désormais sa fragile silhouette pour sa dernière partie de carrière.
Par quel miracle l’entourage d’Ozzy est-il parvenu à le doper de la sorte en studio ?
Ceux qui épaulaient Lemmy sur les derniers MOTÖRHEAD avaient eux échoué à gommer toute la faiblesse du chanteur que l’on pensait vigoureux à jamais.
Aujourd’hui, en 2022, Ozzy Osbourne chante brillamment de sa voix intacte, sans la moindre patine du temps ou des excès. Une véritable prouesse certainement facilitée par quelques astuces de professionnels des studios, quand bien même la force et les mélodies ici déployées sont bluffantes.
Même si l’on sait que leur restitution en live en vrai lors de la prochaine tournée incessamment reportée et plus qu’hypothétique sont du domaine de l’impensable.

Depuis le début de l’été, on a donc pu écouter, découvrir et s’imprégner de ce premier extrait, "Patient Number 9", long single de plus de sept minutes, véritable fracas épique en guise de teaser de luxe.
Et croyez-moi, lors d’un road-trip dans le Grand Sud des US pendant les vacances, le-dit morceau passait en heavy-rotation sur toutes les radios rock/metal et classic-rock du moindre comté.
Faut dire aussi qu’il s’agit d’une sacrée réussite : on a affaire ici à l’un de ces classiques instantanés, tant moderne que classique, entre old et new school, à l’instar de ce que l’album « Ozzmosis », novateur et ancré dans son époque, avait pu servir comme pont vertueux en pleine débâcle alternative circa 1995.
Car ici, la puissance du metal léché surproduit mais juste et équilibré tutoie la tradition et convie donc Jeff Beck le temps d’un solo et d’un pont stellaire, ponctué de quelques discrets arrangements et trouvailles modernes et post-psychédéliques signés Andrew Watt.
Andrew Watt, c'est le "nouvel" homme de main du Maître, ici véritable directeur artistique, multi-instrumentiste, guitariste et surtout producteur de ce treizième album béni.
Un Andrew Watt (de son véritable nom Andrew Wotman dans les crédits) que d’aucuns auraient pu juger n’être qu’un mecton clone d’Eminem prétentieux et opportuniste aux cheveux rasés platine et en joggo lorsqu’il lâchât Glenn Hughes à la sortie de leur projet commun CALIFORNIA BREED en 2014, et qui a su faire son trou dans un marché hip-hop et R’n’B putassier en supervisant en studio les succès des Justin Bieber, Miley Cyrus, DJ Snake ou autre Post Malone... tout en sentant le moment justement opportun de seconder Ozzy pour "Ordinary Man" en 2020 après l’avoir persuadé de performer le duo "Take What You Want" avec le jeune rapper barbu, moche et tatoué.
Un album que l’on aurait juré demeurer le tout tout dernier de la longue carrière d’Ozzy Osbourne tant le ton général flirtait avec l’introspection, la nostalgie, la mort et les adieux (les titres "All My Life", "Goodbye", "Under The Graveyard" ou "Today Is The End" ne semblant alors guère n’être que des coïncidences).

Le jeune producteur, doué mais un brin arriviste, avait poussé et convaincu Ozzy à poursuivre leur collaboration une semaine à peine après la sortie de l’album pour prolonger leur incroyable synergie, mais cette fois Andrew Watt s’est montré savamment partageur en ne signant donc plus à lui seul les parties de guitare de cette suite inespérée, mais en conviant donc tout le gratin de la guitare anglo-saxonne.
Et surtout, oui surtout, en rapatriant en studio l’ami Zakk Wylde qui depuis trente-cinq ans marquait au fer rouge l’empreinte sonore artistique du son Ozzy en solo.
Bonheur absolu des fans puristes et conservateurs qui grinçaient encore des dents à l’accueil de Gus G. et donc dernièrement de Watt qui, aussi doué soit-il, n’incarne vraiment rien d’attachant pour les millions de doux-dingues du chanteur qui avaient, assez instantanément, et dans la durée, apprivoisé le Grizzly au même niveau que le regretté Randy Rhoads dans la mythologie osbournienne.
Zakk Wylde que l’on retrouve donc à divers degrés d’implication au sein des treize morceaux de "Patient Number 9" : rythmiques épaisses reconnaissables, parties de solo si personnalisées (il se surpasse enfin sur celle, déchirante, de "Nothing Feels Right"), mais hélas rien, nada, peanuts, que dalle en guise de crédit de composition, Sharon O. et l’entreprise Osbourne ayant depuis longtemps statué qu’ils ne voulaient pas qu’Ozzy en solo sonne comme du BLACK LABEL SOCIETY.
D’où autant de mouvements de personnel depuis l’après "Black Rain" en 2007, et la seule présence là aussi opportune de Zakk sur scène au cours des dernières tournées (un Zakk tellement dévoué, bonne patte et peu rancunier, qu’il est prêt à n’importe quel compromis pour satisfaire les envies/caprices/ordres/injonctions de Mom & Pap’).

En guise de co-compositeurs (et bien sûr à l’oeuvre derrière leurs instruments respectifs pour la postérité), on retrouve aussi quelques autres guests d’ampleur tels que le bassiste Duff McKagan (GUNS N’ ROSES) et le batteur Chad Smith (RED HOT CHILI PEPPERS), fine équipe déjà à l’oeuvre sur l’ensemble de "Ordinary Man", mais également Robert Trujillo (METALLICA ) qui avait formé avec Mike Bordin un tandem rythmique du tonnerre au cours des années 1996-2003 auprès du patron, sans parler de Taylor Hawkins, le si sympathique et talentueux batteur des FOO FIGHTERS disparu en mars dernier et dont les performances sur "Patient Number 9" resteront les toutes dernières de son incroyable parcours. 

Mais en dehors de ce grand déballage de CV étourdissants (a-t-on oublié Mike McReady de PEARL JAM sur le très énergique "Immortal" ? Ou Chris Chaney et Josh Homme ? God, quel casting...), l’autre grande force de ce (dernier ?) album studio d’Ozzy, bientôt 74 ans, c’est donc, on insiste, Ozzy Osbourne lui-même : on sait l’homme incapable de composer la moindre partition, encore moins de jouer d’un instrument (à l’exception d’un vague harmonica dans lequel il a pu souffler à quatre-cinq reprises), mais par contre fut-il dès les années soixante touché par la Grâce des BEATLES au cours d'une adolescence qui le prédestinait à l’anonymat et à la misère ouvrière.
Aussi sous-doué soit-il dans mille domaines, l’éternel gamin fragile issu du prolétariat de Birmingham puise dans ses tripes d’ancien employé d’abattoir d’inestimables mélodies qu’il régurgite aussi spontanément, comme par magie, et qui ont depuis toujours été l’une des marques de fabrique dominantes de son Art - une faculté incroyable à déployer des lignes vocales d’une immense richesse, tel que sur le très classique "A Thousand Shades", secondé par une pluie de cordes beatlesques et du support de Jeff Beck.

Et de Birmingham, Ozzy a également convié son vieux copain, chahuteur de bahut avec plus de 55 ans de relations en montagnes russes, son ex-frère ennemi Tony Iommi, ici totalement à son aise sur deux morceaux de premier choix : le deuxième single "Degradation Rules" qui porte la lourdeur caractéristique du plus fameux métallurgiste de l’Histoire (et justement introduit par quelques notes d’harmonica - remember "The Wizard" ?), mais également lent et chaloupé, que vous avez déjà tous découvert comme l’espoir d’une possible suite à BLACK SABBATH.
Mais c’est surtout "No Escape From Now" qui s’impose comme l’une des signatures les plus dingues et proches du Sabbat Noir, au point de passer pour une chute de studio de l’album "13", en très bonne place sur ce treizième album ; la seule différence étant la production plus aérée et dynamique d’Andrew Watt, moins oppressante et compressée que celle de Rick Rubin, mais sinon tout y est, du filtre Leslie appliqué à sa voix, au « oh yeah » typique asséné au bon moment, d’un break boogie ronflant au solo hystérique et surtout ce riff, ce riff de malade gratté dans l’onyx le plus pur. 

Treize, éternel chiffre porte-bonheur de la constellation ozzienne, c’est aussi le nombre de morceaux au menu de cet album, probablement un chef-d’oeuvre à confirmer d’ici quelques mois. D’emblée une certitude s’il avait été allégé d’au moins deux morceaux, soit peut-être ce "Dead And Gone", sorte de nouveau "Shot In The Dark" façon cold wave avec ses synthés orchestraux cheap à la "Waiting For Darkness" ?), rejoignant directement « No More Tears » à ce très haut niveau de la perfection après quelques trente années d’intervalle.
Oui il y a toujours ces sempiternelles ballades qui sont ici heureusement bien loin de la mièvrerie de certaines autres passées, insupportables de dégoulinades : "God Only Knows" vient superbement clôturer le chapitre (certes avant le faux blues lointain et rouillé de "Darkside Blues"), à grands renforts de choeurs angéliques et fort d’une portée dramatique à te foutre les poils, avec comme point d’orgue un solo fantomatique signé Josh Homme.
Mais surtout "Patient Number 9" retrouve-t-il pleinement la sève grandiloquente, presque théâtrale, des grands albums d’Ozzy Osbourne, là où sur beaucoup de ses précédents albums depuis une vingtaine d’années – et donc "Down To Earth" – on ne se satisfaisait seulement que de superbes moments isolés, d’autant plus brillants qu’ils côtoyaient leurs lots de titres autrement plus banals.
Ici, même une chanson à peine moins mémorable que ses voisines reste un tour de force jouissant des stigmates des hymnes néoclassiques des années Randy Rhoads, entre "Revelation (Mother Earth)" et "Diary Of A Madman" revu et corrigé par Zakk Wylde en mode post-"13" sabbathien : vous saisissez le truc ?  

On est encore pleinement à chaud dans la découverte de "Patient Number 9", l’album ayant écarté toute autre possibilité d’écoute au cours des derniers jours... mais il y a fort à parier que ce coup de maître (certes collectif...) figurera avec davantage de recul parmi les oeuvres les plus importantes de notre excentrique anglais enfin revenu au bercail au moment où la Reine disparaissait.
Visiblement, il n’y avait pas de place pour deux sur le trône.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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