7 octobre 2022, 20:20

QUEENSRŸCHE

Interview Todd La Torre

En avril 2022, QUEENSRŸCHE terminait une tournée nord-américaine de cinq semaines en première partie de JUDAS PRIEST. Elle n'était pas seulement un retour en force sur scène pour QUEENSRŸCHE après une pandémie de deux ans : c'était un rajeunissement, un excellent tremplin pour permettre au groupe de remonter sur scène dans ce qui est essentiellement un nouveau monde. Aujoud'hui, l'héritage de QUEENSRŸCHE s'est transformé en une nouvelle étape dans la carrière du groupe de Bellevue, Washington, avec la sortie de son 16e album studio. Todd La Torre, le chanteur, nous reçoit virtuellement chez lui en Floride sous un temps nuageux. Tout commence dans son jardin, puis dans sa cuisine et enfin dans sa cour. Avec un nouvel album intitulé « Digital Noise Alliance », une belle synthèse de la carrière de QUEENSRŸCHE, La Torre s’exprime à cœur ouvert sur son groupe après 10 années de service derrière le micro, son ADN et les projets à venir.


Où es-tu actuellement Todd ?
Je suis chez moi en Floride. Je pars à la fin de la semaine en Californie pour 10 jours. Nous allons commencer les répétitions avec le groupe puis nous repartirons en tournée avec JUDAS PRIEST en octobre et en novembre.

Commençons notre entretien, que sous-entend cette acronyme DNA (ADN en français) pour le titre de ce nouvel album « Digital Noise Alliance » ?
Il y a déjà l’échelle biologique connue d’ADN intégrée au logo de QUEENSRŸCHE que nous avons apprécié. Les gens évoquent d’anciens albums comme « Operation: Mindcrime » ou encore « Condition Hüman » comme étant notre ADN. Nous parlons beaucoup de technologie dans ce nouvel album. Nous sommes tous très connectés, hyperconnectés à cette nouvelle technologie. Regarde, tu es en France, moi je suis aux USA, nous sommes face à face. Il y a quelque temps, cela aurait été impossible. Les gens se séduisent en ligne. Il y a des groupes de thérapie en ligne. Il y a des rendez-vous médicaux en ligne, on écrit de la musique en ligne. Les politiciens sont très présents en ligne et influents sur les réseaux sociaux. Nous évoluons. C’est un nouveau mode social humain. Il y a aussi beaucoup de bruit, de chaos. Les opinions fusent de partout. Nous sommes sans cesse bombardés d'informations. Il faut que cela s’arrête un peu mais en même temps, c’est l’évolution de notre humanité qui veut ça.

En écoutant cet album, on ressent fortement cet ADN musical de QUEENSRŸ​CHE toutes périodes confondues. Qu’en penses-tu ?
(Sourire) C’est vrai, nous l’avons évoqué. Eddie Jackson (basse) et Michael Wilton (guitare) plaisantent toujours à ce sujet en interview. On leur dit ça sonne vraiment comme du QUEENSRŸCHE et ils répondent tout le temps : « C’est notre ADN ! » C’est ce que nous sommes. C’est drôle que tu mentionnes cela ! En plus, du fait qu’Eddie et Michael soient des membres originels, ça ne fait que renforcer le truc.

Quel a été le processus de composition de ce nouvel album ?
La majorité des choses s’est fait entre nous dans une pièce chez moi, dans mon studio. Beaucoup d’albums se font maintenant par le biais des e-mails. Cela a des avantages, c’est sûr. Il n’y a pas d’interruption dans ton écriture, tu es focalisé dessus. Là, nous avons fait l’album sur trois ou quatre sessions d’écriture, sur deux semaines et quelques d’affilée. Notre producteur, Zeuss, était là tout le temps. C’était vraiment comme à l’époque où tout le monde était présent en studio : tu joues, tu partages tes vibrations avec les autres en même temps.

Tu avais enregistré les batteries sur « The Verdict », le précédent album mais pas sur celui-ci ?
Exact. Casey (Grillo), qui est dans le groupe depuis cinq ans maintenant, s’en est chargé. Il méritait vraiment de le faire après toutes ces années dédiées au groupe, après tout ce temps passé avec nous. Il était là à chaque session d’enregistrement. Il a fait un boulot phénoménal sur l’album.

Qu’a apporté Zeuss, votre producteur depuis « Condition Hüman », sur cet album ?
Plusieurs choses. Premièrement, c’est son troisième album avec nous...

...C’est un peu un membre de la famille ?
Oui, complètement. Il a un regard et une oreille précises. Nous jouions un truc, il nous interpelait en nous disant : « Non, vous avez déjà joué ce truc sur l’album précédent, on ne va pas le faire, il faut trouver autre chose ». Avec un nouveau producteur à chaque fois, cela ne marcherait pas comme ça, il connaîtrait les bons vieux morceaux du groupe, c’est tout. Zeuss nous pousse dans nos retranchements et nous connaît bien. Il a de bonnes idées. Par exemple, il nous propose de mettre des synthés sur un morceau pour avoir cette vibration vintage à la « Rage For Order ». C’est un musicien aussi, il peut retranscrire ce que Michael a en tête et lui montrer. C’est un super manager aussi et il connaît par cœur nos personnalités. Nous sommes tous très proches. Il nous encourage tous. Si ma voix n’est pas très bonne à un moment, il me dit : « Ne t’en fais pas. On fait un break, on enregistrera plus tard ou veux-tu enregistrer des harmonies basses sur ce refrain ? Je peux enregistrer Michael ou un autre en attendant ».

Peux-tu nous parler du single "In Extremis" ?
Oui, c’est le premier extrait de l’album que nous avons décidé de présenter au public. Ce n’est pas un titre complexe. C’est un up-tempo heavy. Il y a un travail intéressant de batterie au milieu du titre, un joli duo de guitares. C’est une chanson rock fun à jouer.

Qu'en est-il de "Forest" ?
C’est ma préférée de l’album. C’est notre second choix de single. Les personnes s’attendaient à un autre titre bien heavy. J’apprécie l’ambiance de ce titre. Je voulais pousser ce titre qui parle de la perte d’un être cher comme une mère ou un père. Je voulais prendre le contre-pied de ce qui se fait dans le metal en ne sortant pas une chanson heavy comme tout le monde le fait. Les personnes ne s’attendaient pas à une ballade et ils aiment ce titre. La vidéo résonne avec ce que les gens ont vécu dans leur vie. Certains ont pleuré en l'écoutant.

Et "Behind The Walls" ?
Elle a l’air de bien fonctionner. Cela parle de foi, la personne prie pour des interventions divines. Bien sûr, à titre personnel, je n’y crois pas ! Cela parle d’abus, quelle que soit sa forme, et de résilience. Il y a l’idée de quelque chose de divin qui pourrait sauver, mais il n’en est rien en fait dans cette question d’abus et de maltraitance. Il y a un refrain cool, le titre est efficace. Le travail sur les solos, la vidéo. Tout est cool !


​Y a-t-il des titres bonus issus de ces sessions d’enregistrement ?
Non, nous avons écrit plus de 20 chansons. Nous avons plutôt sélectionné les titres en priorité, en utilisant telle partie avec telle partie par exemple. Notre travail de composition, c’est un peu comme quand tu écris un article. Tu as une première version, après tu vas choisir des sections, des punchlines, etc. Nous faisons pareil avec nos chansons. Utiliser le meilleur de toi optimise les choses.

Il y a une reprise surprenante de Billy Idol sur l’album. Pourquoi ce choix ?
C’est fun ! On s’est marrés à la faire. Au départ, nous bossions sur le titre de THE CULT "She Sells Santuary" qui est fun aussi. Elle était très connue dans les années 80. Zeuss nous a dit : « Vous devriez enregistrer un titre encore plus connu par le grand public. Que pensez-vous de "Rebel Yell" de Billy Idol ? Faites-là, ça va être énorme, tout le monde la connaît ». Il y a eu beaucoup de reprises de ce titre mais je l’ai interprété de façon très proche au niveau vocal avec des modifications mineures par moment. Les guitares ont le son QUEENSRŸCHE, ce qui nous différencie des autres, nous avons ajouté des parties de claviers, jouées par notre ami John de SAVATAGE, qui était aussi dans CRIMSON GLORY (NDR : comme Todd). Zeuss a mis en avant les synthés comme un instrument principal. Je sais que des artistes l’ont jouée des millions de fois mais pour moi, c’était le moment le plus fun de tout l’album au niveau chant ! Je pense que nous avons fait un bon travail avec ce titre.

Qu’est ce qui est prévu pour QUEENSRŸ​CHE dans un futur proche ? Vous repartez en tournée avec JUDAS PRIEST, quel effet cela fait de tourner avec une des légendes du heavy metal ?
C’est énorme ! C’était une première pour moi ! Voir cette salle avec tout leur décor. Je marchais backstage avec le groupe pour monter sur scène, je croise Rob Halford en claquettes et en peignoir de bain avec un mug de thé ! Il nous lance un petit salut très british ! C’était la première fois que je croisais Rob Halford (rires). Ils ont été formidables avec nous. Nous avons discuté avec eux, ils nous ont remercié de les avoir rejoints sur la tournée. Nous sommes honorés de faire une deuxième tournée avec eux. Nous ne pensions pas que cela se reproduirait après ces six semaines passées sur les routes avec JUDAS PRIEST. Je ne les remercierai jamais assez. Nous partons donc en tournée avec eux en octobre/novembre. Nous allons tourner pour la promotion de notre nouvel album aux USA en décembre pour six semaines. La set-list sera revue avec un gros pourcentage de titres des dix dernières années où je suis dans le groupe et il y aura les grands classiques, soit 17-18 titres. Nous espérons pouvoir venir en Europe l’année prochaine.

Après ces dix années passées dans le groupe et quatre albums, comment te sens-tu ?
Je me sens bien, confiant. Il faut toujours penser que tu dois prouver des choses aux gens mais je pense que j’ai pu montrer ce dont j’étais capable. Pas seulement en tant que chanteur, mais aussi en tant que compositeur ou batteur sur l’album précédent. Il y aussi le fait d’être bien intégré dans un groupe. Tu peux être le meilleur chanteur du monde, si tu n’es pas dans un bon état d’esprit avec les membres de ton groupe, cela ne fonctionne pas. Je crois que j’ai mérité ma place, que j’ai travaillé pour et je continue de bosser. Je me sens bien, confiant.

Travailles-tu sur un nouvel album solo ?
J’ai eu mon ami Craig Blackwell récemment avec qui j’ai collaboré sur mon précédent projet solo, « Rejoice In The Suffering ». Nous allons travailler sur de nouvelles idées ensemble. J’ai des idées de chansons non exploitées encore. Ce sera du death metal mélodique. Je pense produire un EP moi-même. Ce sera vraiment la suite de ce premier album solo, yeah !

Que fais-tu à côté de ton job de musicien ?
Je suis très casanier. Je fais plein de trucs chez moi, je répare, je fabrique et restaure plein de choses dans le salon, je travaille dans mon garage. Je n’aime pas trop sortir.

Alors, ma profession principale est psychiatre et j’utilise beaucoup les questionnaires dans ma pratique. J’en ai un pour toi. Il s’appelle : "La dernière fois que... et qu’as-tu ressenti ?"
(Surpris). Oui, allons-y ! (sourire)

La dernière chanson que tu as écoutée et qu’as-tu ressenti ?
C’était une chanson de TEARS FOR FEARS, "Everybody Wants To Rule The World". C’était dans ma voiture. J’étais triste, nostalgique. Il pleuvait. Je repensais à toutes ces années ! Ma mère va avoir 80 ans en novembre. J’avais un peu d’anxiété qui me submergeait à l’idée qu’elle parte. J’ai perdu mon père en 2014. J’étais triste, un peu mélancolique et à la fois un peu heureux. J’ai quand même laissé la chanson tourner dans ma voiture (rires).

La dernière chanson que tu as chantée et qu’as-tu ressenti ?
C'était dans ma salle de bains (rires). C’était un titre de CIRCLE II CIRCLE avec Zak Stevens. Je ne me souviens plus du titre mais c’était issu de leur premier album. Je suis quelqu’un de très nostalgique. Cela me rappelle un très bon ami qui m’a fait rentrer dans CRIMSON GLORY et qui est décédé. Je lui avait dit que j’étais un grand fan de la voix de Zak Stevens et que si je pouvais le rencontrer, il pourrait peut-être m’aider.

La dernière fois que tu as parlé à Michael Wilton et qu’as-tu ressenti ?
C’était à l’aéroport, dimanche. Nous chargions du matériel dans sa voiture. J’étais épuisé. Nous avions eu 10 jours de voyage épuisants. J’ai une interview avec lui pour un média juste après toi.

La dernière fois que tu as joué de la batterie et qu’as-tu ressenti ?
Cela doit être pendant un soundcheck durant un des derniers concerts. Quelques minutes. Je me suis senti bien car je suis batteur !

La dernière fois que tu as entendu ton groupe préféré, toutes périodes confondues, et qu’as-tu ressenti ?
(Il s’allume une cigarette). Oh, mec ! je ne sais pas qui cela peut être, j’en ai plein ! (Il réflechit). Je dirai Steely Dan. Non, plutôt Gerry Rafferty. Il a chanté "Right Down The Line". J’adore la période des années 70.

La dernière fois que tu as pensé à CRIMSON GLORY, et qu’as-tu ressenti ?
C’était hier. Un journaliste m’a posé une question sur eux. A côté de ça, je ne pense plus du tout à eux.

Ma dernière question. As-tu une addiction positive ?
C’est une très bonne question. Je pense que je peux faire tout ce que j’ai décidé de faire. En tout, je crois que c'est possible. Je ne suis pas un gars qui fait beaucoup de sport. Je fume des cigarettes, c’est une addiction non positive. Pour moi, une addiction positive serait créer de la musique. J’ai toujours plein d’idées de chansons, je les enregistre dans mon smartphone. Je travaille dessus plus tard. La gratirude que j'éprouve, c'est quand le morceau sort. Certaines chansons tristes, par exemple, peuvent être thérapeutiques. Elles peuvent avoir un effet miroir et te confronter à quelque chose. Cela peut aider les gens. Je suis plutôt triste, un peu sombre, je peux penser à des choses mélancoliques. Ce n’est pas forcément ce que pensent les gens habituellement. Je me prépare à des choses, au futur. Ma réponse pour ce qui est positif, c’est être créatif musicalement parlant.
 

Blogger : Laurent Karila
Au sujet de l'auteur
Laurent Karila
Psychiatre spécialisé dans les addictions, Laurent Karila a collaboré à Hard Force de 2014 à 2023.
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