Septième album d’ALTER BRIDGE, « Pawns & Kings » sort, à quelques jours près, 3 ans après la dernière livraison du groupe, « Walk The Sky » ; à l’époque, nous nous étions fait la réflexion que le quatuor était une machine de guerre hyper productive, mais parfois au détriment d’une véritable inspiration. Alors que l’on trouvait cet album bon quoiqu’un peu décevant, « Pawns & Kings » développe des saveurs plus recherchées, plus surprenantes et expérimentales. Et de suite, c’est un cri venu du cœur qui nous donne envie de hurler « Oh, oui !!! ». ALTER BRIDGE sort enfin des sentiers balisés et renoue avec les vibrations de ses quatre excellents premiers albums. Sonnez tocsins et trompettes, il semble donc que nos vœux aient été exaucés.
Avant même d’enclencher la touche "play", on constate avec joie que les quatre musiciens, Myles Kennedy (chant, guitare), Mark Tremonti (guitare, chant), Brian Marshall (basse) et Scott Phillips (batterie), ont abandonné cette manie de faire des albums à rallonge de plus de douze titres (dont certains franchement dispensables), et nous proposent ici un condensé de dix chansons qui suffit largement à montrer l’étendue de leur talent. On y gagne en efficacité et en accessibilité. Comme entrée en matière, "This Is War" ne fait pas dans la dentelle : c’est un morceau brut et direct, doté d’un refrain mélodique qui fait mouche. Un beau démarrage, cependant un peu terni par le morceau suivant. En effet, "Dead Among The Living" se veut plus lourd et "alterbridgien" dans sa forme : sympathique, mais pas mémorable. La seule chanson de l’album qui nous semble un peu plus faible que les autres. Tout le contraire de "Silver Tongue", superbe, rapide, mélodique, inspirée, qui n’est pas sans rappeler "Addicted To Pain" sur l’album « Fortress » (2013) ou "Isolation" sur « AB III » (2010), avec un refrain absolument incroyable, un jeu de guitares acéré et une rythmique prête à casser bien des nuques en concert. On y retrouve la hargne des débuts, et c’est diablement bon ! Quand "Sin After Sin" se veut heavy et lancinant en s’insinuant sans pitié, telle une menace invisible, dans la cervelle, "Stay" se fait plus doux et mélodieux, avec la sublime voix de Mark Tremonti au chant principal, qui nous prend par surprise en jouant sur un registre de ballade sur lequel on l’attendait moins chez ALTER BRIDGE. Même si le gaillard a su prouver récemment, avec son album de reprises de Frank Sinatra, qu’il était capable d’évoluer dans un registre vocal diamétralement opposé à ses travaux plus foncièrement heavy metal.
"Holiday" est l’un des gros coups de cœur de cet album. Si vous aussi, vous avez envie d’envoyer joyeusement se faire foutre vos patrons, collègues, amis ou famille (en toute amitié, bien sûr, car il faut savoir politesse garder en toutes circonstances...), surtout, ne vous privez pas ! Ce titre est fait pour vous : le rayon de soleil dans une journée de merde, le morceau feel-good par excellence, au rythme trépidant faussement joyeux, porté par des paroles pleines de bon sens, mais teintées d’un constat bien amer : « I need a holiday. There’s nothing left to save. I’ll hold my tongue as I close the door. Before I walk away I’ll be the first to say There’s more to life than a living. So I’ll spread my wings and fly » (« J'ai besoin de vacances. Il n'y a plus rien à sauver. Je me tairai en fermant la porte. Avant de m'en aller, je serai le premier à dire que la vie n'est pas qu'un simple moyen de subsistance. Alors je déploierai mes ailes et m'envolerai »).
Vient ensuite la chanson la plus épique du disque, la magnifique "Fable Of The Silent Son", sur laquelle les musiciens donnent à entendre toute l’étendue de leur talent, tant au niveau technique que mélodique. Une œuvre de plus de huit minutes, aux multiples ambiances stylistiques, hautement émouvante, qui nous fait naviguer du prog' au heavy rock, du metal agressif mais cependant très mélodique, accompagné de soli sublimes, au blues du refrain qui prend aux tripes. Un chef-d’œuvre à la hauteur de l’incontournable "Blackbird" ou du génial "Fortress". "Season Of Promise" possède une vibration énergique et positive, à la "Rise Today" issu de l’album « Blackbird » (2007), comme le quatuor aime à nous offrir régulièrement. "Last Man Standing" se veut plus sombre et introspectif, mais toujours avec un haut niveau de créativité et de technicité. Les quatre artistes se connaissent tellement bien que leur complicité et leur complémentarité sont absolument exemplaires.
L’album s’achève sur le titre éponyme, un morceau vif et progressif dans sa structure, avec, une fois encore, un refrain de toute beauté, poignant et puissant, ainsi qu’un pont très speed particulièrement jouissif. Myles Kennedy est très en forme vocalement, merveilleusement épaulé par Mark Tremonti, les guitares sont lyriques et inspirées et la paire rythmique Brian Marshall/Scott Phillips pose une assise inébranlable, et nous laisse à proprement parler sur le cul. Comme de coutume, la mise en son de Mickaël "Elvis" Baskette, le producteur attitré du groupe, ne présente aucun défaut, et sait mettre en avant les qualités de chacun.
Avec « Pawns & Kings », ALTER BRIDGE a clairement retrouvé l’étincelle de l’inspiration, qui s’est muée en un grand feu de joie. Le groupe délivre ici des compositions de haute volée propres à ranimer les ardeurs des fans, mais aussi à en attraper de nouveaux au passage. Car, lorsque la musique nous transporte de cette manière, c’est si bon de succomber à la tentation !