13 décembre 2022, 18:23

HOWARD

Interview


Lorsque HOWARD réalisait son premier album intitulé « Obstacle » un vendredi 13, il était loin de s’imaginer la taille de l’obstacle qu’il allait devoir affronter. Face à l’adversité, il a su faire preuve de résilience, faire le dos rond et se recentrer sur l’essentiel, à savoir la musique. C’est ainsi qu’après deux longues années d’incertitudes, le trio était de retour avec « Event Horizon », sorti le 21 octobre dernier. En attendant leur release-party reportée au 6 janvier prochain au Backstage, nous avons posé quelques questions au groupe afin de prendre de leurs nouvelles.


En général, l’obstacle pour un jeune groupe est de négocier le cap du second album. En ce qui vous concerne, c’est votre bien nommé première réalisation, « Obstacle », qui semble l’avoir été après sa sortie juste avant le confinement. A son tout début, vous étiez plutôt confiants car vous parliez de report, mais depuis cela semble s’être transformé en annulation pure et simple. Comment avez-vous vécu cette période ? Quel bilan retirez-vous de la sortie de ce premier album ? 
Le second album pour un groupe est souvent une épreuve difficile car il faut savoir prendre du recul sur le premier et bien choisir son angle d’attaque pour faire mieux encore sur celui à venir. Avec le musellement immédiat de notre premier album, « Obstacle », à cause du premier confinement, nous étions forcément très déçus. Après, ce sont des morceaux que nous jouions depuis quelques années et qu’on avait déjà beaucoup de plaisir à faire vivre en live. Le deuil était en quelque sorte moins long à porter et nous avons pu nous plonger immédiatement dans la composition du second, de manière assez instinctive. Si nous devions faire un bilan, ce serait de faire gaffe à ne plus sortir d’album un vendredi 13 et aussi de profiter de chaque moment de musique. Ces deux dernières années ont démontré à quel point ces moments sont importants. 

En juillet 2021, vous avez enregistré une reprise du titre des DOORS, "Waiting For The Sun". Etait-ce un moyen de vous rappeler au bon souvenir de votre public ? A travers ce titre, n’était-ce pas aussi le moyen de dire que vous patientiez en attendant des jours meilleurs avec l’une de vos influences majeures ?
Cette reprise était tout d’abord un moyen de rendre hommage à Jim Morrison qui, au travers des DOORS, nous a inspirés tous les trois. Le thème collait parfaitement à ce que nous ressentions à l’époque et, il est vrai, c’était aussi un moment où nous attendions des jours meilleurs. Il était compliqué pour nous de nous projeter dans la sortie d’album à cette époque. C’était aussi un moyen de rester actif tout en se faisant plaisir. 

Connaissant votre intérêt pour Lovecraft, on pourrait imaginer que « Event Horizon » raconte l’histoire cauchemardesque d’un voyage de deux ans où nous avons tous plongé vers l’inconnu et dont nous pouvons espérer que la dernière vague représente bien plus qu’une accalmie. Cette période n’a-t-elle pas en définitive été le moyen pour vous de réfléchir au caractère non-essentiel de votre existence ?
Nous avons pris le temps d’enregistrer « Event Horizon », mais les morceaux sont quasiment tous nés pendant le premier confinement. Il est vrai qu’à cette époque, les idées qui nourrissent l’album, comme la surconsommation ou la course vaine d’une société vers sa fin sont le marqueur d’un temps de questionnement assez sombre. La COVID a momentanément embruni les esprits, mais il nous a aussi permis d’avancer et de prendre le temps de la réflexion qui manque parfois quand tout se passe pour le mieux. A notre échelle, nous avons voulu transfigurer cette noirceur. C’est ainsi que la plongée dans l’inconnu dont tu parles a été pour nous bien plus synonyme d’espoir et de catharsis que de cauchemars hallucinés façon ce bon vieux Lovecraft. On ne fait que passer, en effet, essayons quand même de tirer du bon de tout cela et d’en profiter autant que possible ensemble. Et en concert, c’est encore mieux !

De nombreux groupes, jeunes ou moins jeunes, se sont révélés extrêmement productifs au sortir de la crise. Pensez-vous que cette forme de mépris discriminatoire affiché au travers du terme "non-essentiel" a pu produire chez vous, et plus généralement dans le monde de la culture, une forme de révolte intellectuelle qui vous a poussés à donner le meilleur de vous-mêmes ? Une manière de dire : « Que cela vous plaise ou non, nous existons et nous ne renoncerons pas ! » ?
C’est certain que ce genre de terme choc a bien aidé à échauffer les esprits d’un secteur culturel particulièrement à vif à ce moment-là. Nous ne souhaitons pas revenir dessus et remuer la tambouille brune que ça nous évoque. Ce qui est sûr, c’est que nous avions besoin de nous produire et de nous exprimer par la musique. Nous avons tout testé : les concerts assis avec masques, ceux en livestreams, les assis sans masques, les debout avec masques, les concerts à jouer deux fois en demi-jauge avec changement de public entre les deux... Eh bien nous pouvons vous dire que la meilleure formule est la jauge pleine sans masque ! Finalement, nous avons mis à profit le premier confinement à plein temps pour écrire les morceaux de cet album, le second et le troisième pour les enregistrer un par un. Ça nous a permis de prendre notre temps et nous sommes très heureux d’avoir pu aller au bout de ce qu’on voulait sur cet album.

« Event Horizon » est un album très sombre. Pourtant, il commence par deux chansons dynamiques et lumineuses qui sont sorties en single pour l’annoncer. Avez-vous apporté une attention particulière à l’ordre des titres ? Si l’album avait commencé par des chansons comme "I Hear A Sound" ou si vous aviez sorti deux autres singles dans cette lignée, ne pensez-vous pas que cela aurait pu dérouter votre public ?
Tout à fait. L’ordre des titres est très important car l’album, sans être un concept, doit raconter une histoire. Ici, tout converge vers le "franchissement de l’infranchissable" : l’Event Horizon. Voilà pourquoi on a choisi cela comme ça, "I Hear A Sound" qui matérialise le changement brutal au retournement de situation allait bien, par exemple, avec le changement de face du vinyle. Nous essayons de nous dépasser dans notre musique, d’aller plus loin, de faire confiance à ce que nous ressentons quand nous composons. Plutôt que de satisfaire notre fanbase avec ce qui a bien fonctionné le coup précédent, nous espérons qu’ils nous suivront dans cette démarche.

Pourquoi avoir choisi ce titre « Event Horizon » ? Avez-vous vécu cette période entre ces deux albums comme un voyage dans l’inconnu que vous avez ressenti comme un cauchemar ?
En fait, il n’y a aucun rapport entre notre album et le film du même nom sorti dans les années 1990. Nous avons même appris son existence une fois l’album terminé ! Pour nous, l’"Event Horizon" est le parallèle que l’on fait entre le concept astrophysique (les bords d’un trou noir que rien ne peut franchir, même pas la lumière) et la frénésie de notre hyperconsommation qui risque de nous faire atteindre et dépasser un point de non-retour. C’est d’ailleurs ce que nous avons voulu mettre en musique dans le morceau du même nom. C’est marrant que tu évoques le thème de la période traversée comme écho au titre de l’album, tu n’es pas le premier à faire cette connexion. Et pourtant, nous parlons plus du futur que de la période COVID et consorts dans « Event Horizon ». Après, nous devrions peut-être y voir un signe et entamer une thérapie analytique de groupe pour tirer tout ça au clair (rires)...


Le titre "I Hear A Sound" est profondément sombre, voire flippant. Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous l’avez composé ? Que recherchiez-vous à exprimer, car l’esprit est loin de celui de « Obstacle » ?
C’est le premier titre composé à l’arrivée dans notre lieu de confinement. Forcément, nous étions assez tendus et les annonces qui tombaient n’aidaient pas. C’était un morceau exutoire qui nous a fait du bien.

Dans le clip "Bankable Sermon", on voit une personne qui finit par se rendre compte qu’elle se fait virtuellement manipuler. On imagine assez facilement une critique du monde moderne. Qui se cache derrière ces discours vénaux ?
Le "Bankable Sermon", c’est toutes ces formations en dix étapes vendues sur YouTube pour devenir un riche trader, un expert en médecine parallèle ou encore un astrologue chevronné. On peut également y glisser les siphonneurs de compte CPF, les gourous para-religieux et les pharmaco-terroristes. Les sous, c’est précieux, donc ne les donnez pas à n’importe qui, donnez-les à HOWARD pour acheter « Event Horizon » !

Votre dernier clip présente le titre "Seeds Of Love". Après une pandémie, un contexte de guerre en Ukraine et de crise climatique, l'humanité semble plus que jamais menacée au point de pouvoir devenir non-essentielle au regard de la nature. Peut-on encore espérer selon vous que puisse germer les "graines d’un amour" qui pourrait faire émerger un nouvel ordre mondial ?
Quand on voit toute cette pesanteur de l'actualité, nous nous disons que la musique, et en particulier les concerts, restent le meilleur moyen de rassembler les gens, quels que soient leur nationalité, leur âge, leur genre ou leur classe sociale. Espoir ou non, chacun choisira son camp, mais de notre point de vue, avec ce que nous vivons en tournée, avec les rencontres que nous faisons et avec les étoiles que nous voyons dans les yeux du public après les concerts, impossible de ne pas avoir foi en l’humain !

Comment avez-vous abordé la composition de ce nouvel album ? Qu’est ce qui a changé par rapport à « Obstacle » ? Avez-vous été inspiré par des artistes en particulier qui ne faisaient pas partie de vos références quelques années plus tôt ?
Quand nous travaillions sur « Obstacle », ça ne faisait au final pas si longtemps que nous jouions de la musique ensemble. Sur ce premier album, nous nous découvrions tous les trois, nous apprenions à nous connaître aussi bien humainement que musicalement. Du coup, les influences 70’s, qui sont notre dénominateur commun, ressortaient beaucoup. Les compositions de « Obstacle », quoiqu’arrangées ensemble, étaient à la base principalement des compositions personnelles de chacun d’entre nous. Pour « Event Horizon », nous jouions déjà ensemble depuis trois ans. Nous avons fait une tripotée de concerts et traversé les hauts et bas inhérents au développement de tout projet. Forcément, ça et le cadre de composition ont changé la donne quant à nos méthodes de travail : enfin, nous avions le temps de tester ensemble chaque possibilité d’écriture sans avoir à regarder la montre, et ça nous a permis de composer l’album bien plus collégialement que nous ne l’avions fait pour « Obstacle ». Avec ce nouvel album, nous sommes partis des "bases" qui étaient les fondations de HOWARD, mais nous avons pu en effet étendre librement nos horizons à d’autres sonorités, d’autres modes de travail, d’autres influences. Que ce soit le spoken word, la techno, la musique ambiante expérimentale, et tant d’autres... Toute la période de création a été un long moment d’exploration et de liberté qui nous a beaucoup apporté. Nous avons hâte de continuer et de voir où ça va nous emmener pour la suite.


Pour la réalisation, vous avez travaillé avec les mêmes personnes que pour « Obstacle ». Estimez-vous que vu le contexte, il était préférable de rester dans un univers connu et rassurant plutôt que de sortir de votre zone de confort ? 
Pour nous, aucune raison de changer l’équipe puisque tout s’était très bien passé sur « Obstacle ». Nous nous connaissons plus que très bien avec Arthur Gouret, il sait où nous voulons aller, il connaît parfaitement son studio et son matériel. Nous avons un excellent workflow avec lui pendant les prises, ça va vite et il ose nous dire quand c’est bon ou pas, et cela, sans retenue. Aussi, nous connaissons bien mieux tout cet environnement : nous avons donc pu en tirer le meilleur pour nous et faire notre maximum avec ce qui était disponible. Le Studio Sextan nous aide énormément pour la production des titres, nous ne les remercierons jamais assez. Quant à Quentin Fleury pour le mastering, il a l’habitude de travailler main dans la main avec Arthur Gouret, les morceaux peuvent faire quelques allers-retours entre mixage et mastering et ça c’est hyper important. Nous ne nous sommes pas laissés avoir par un "Bankable Sermon" qui nous disait que faire mixer et masteriser à l’autre bout de la planète par un nom plutôt qu’une personne allait mieux sonner.

Que peut-on dire de la scène concernant HOWARD ?
Toute la période de création de l’album a aussi été pour nous une occasion de travailler son portage sur scène. Nous le présenterons à Paris le 6 janvier au Backstage By The Mill à l’occasion de notre release-party : un beau défi pour nous, et nous allons faire en sorte que le concert soit mémorable aussi bien pour ceux qui découvrent le projet que pour ceux qui nous suivent depuis longtemps... On a revisité certains anciens titres, travaillé le light-show avec l’aide de Maxime Pillard et le soutien de L’Empreinte de Savigny, une salle qui nous est chère et nous accompagne depuis un moment. Des surprises au programme, thérémines à gogo et stroboscopes dans tous les sens. Ça s’annonce dantesque et nous avons hâte d’y être ! Nous vous y attendons nombreux pour ce défouloir, que nous organisons avec Below The Sun, une association parisienne que les stonerheads de votre lectorat connaissent sûrement déjà. En première partie, nous avons invité DJIIN, formation rennaise bien barrée qu’on adore et avec qui nous avons partagé quelques scènes ces dernières années, ça devrait vous plaire !

Si vous souhaitez obtenir des billets pour cette release-party, il vous suffit de cliquer ici.

Blogger : Bruno Cuvelier
Au sujet de l'auteur
Bruno Cuvelier
Son intérêt pour le hard rock est né en 1980 avec "Back In Black". Rapidement, il explore le heavy metal et ses ramifications qui l’amèneront à devenir fan de METALLICA jusqu'au "Black Album". Anti-conformiste et novateur, le groupe représente à ses yeux une excellente synthèse de tous les styles de metal qui foisonnent à cette époque. En parallèle, c'est aussi la découverte des salles de concert et des festivals qui le passionnent. L'arrivée d'Anneke van Giersbergen au sein de THE GATHERING en 1995 marquera une étape importante dans son parcours, puisqu'il suit leurs carrières respectives depuis lors. En 2014, il crée une communauté internationale de fans avant que leur retour sur scène en juin 2018 ne l'amène à rejoindre HARD FORCE. Occasionnellement animateur radio, il aime voyager et faire partager sa passion pour la musique.
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