Parfait équilibre entre grâce aérienne et enracinement profond, les pieds bien ancrés au sol et la tête dans un nuage, mais un nuage sombre, inquiétant, menaçant, comme celui qui orne sa pochette, « Meanwhile », le septième album studio de KLONE, est un joyau d’une pureté absolue et d’une beauté bouleversante. Eprouvante aussi, car il est bien difficile de retenir le torrent de larmes qui menace de déborder à son écoute, tant les cinq musiciens ont atteint le cœur même de l’authenticité avec des compositions dansant délicatement sur le fil de l’émotion, tel un équilibriste tutoyant les étoiles, mais qui jamais ne tombe ni dans le pathos, ni dans les excès.
On retrouve sur ce disque ce qui fait l’essence même de KLONE, une musique riche, intense et poignante, des riffs d’une lourdeur maîtrisée, des arpèges de notes légères comme des bulles de savon et une rythmique puissante et originale. Un habile mélange d’albums bruts et metal comme « Black Days » (2010) et « The Dreamer’s Hideaway » (2012), couplés aux derniers « Here Comes The Sun » (2015) et « Le Grand Voyage » (2019), plus aériens. Le tout décuplé par mille. Car le groupe a atteint sur « Meanwhile » un sommet de créativité ainsi qu’une personnalité affirmée, le tout porté par les lignes de chant de Yann Ligner, toujours juste, entre grondements menaçants et sensibilité accrue, qui subliment l’ensemble. Cela a du bon de vieillir pour certains, la maturité leur apporte un épanouissement sincère et un état de grâce à nul autre pareil.
"Within Reach" a été le premier titre révélé par le groupe en octobre dernier, et c’est une chanson qui résume bien cet équilibre entre pesanteur et apesanteur cher à KLONE. Passé maître dans l’art de nous balader dans la profondeur des océans les plus sombres, puis de nous envoyer en orbite sous une voûte étoilée, le groupe joue aux montagnes russes avec nos sensations. Tout au long de cet album, les paroles de Yann (même si l’on s’en fait sa propre interprétation, probablement fort éloignée de celle de l’auteur) vibrent en nous, comme un étrange écho d’une vie qui s’écoule : « We must give ourselves the means / Life is too short to wait / Embracing hope in all it’s grace / Today it's within reach / We have to try again » (« Nous devons nous en donner les moyens / La vie est trop courte pour attendre / Embrasser l'espoir dans toute sa grâce / Aujourd'hui, c'est à portée de main / Nous devons essayer à nouveau »). Tous ces moments où, pris par le doute, on reste au croisement des chemins et on opte pour celui qui nous mène au pire, au lieu de choisir celui qui nous offrirait de belles opportunités. Quand la vie hésite et bascule du mauvais côté...
Démarrant au son du saxophone caressant de Matthieu Metzger, "Blink Of An Eye" est comme une sublime valse désespérée entre deux corps qui se frôlent, s’attirent, se repoussent, s’enlacent et s’étreignent, entre hésitation et passion. La fusion entre les superbes guitares de Guillaume Bernard et Aldrick Guadagnino avec la basse d’Enzo Alfano et la batterie de Morgan Berthet, avec leur attaque fougueuse et incisive, atteint une complémentarité exemplaire. C’est un dialogue intime entre les musiciens. Et ce refrain qui étreint le cœur : « And for a while / There’s nothing to regret / You’ll remember this place / You’ll remember this night / And for a while / Everything could change / Live your life as you can / As if it were the last » (« Et pour un moment / Il n'y a rien à regretter / Tu te souviendras de cet endroit / Tu te souviendras de cette nuit / Et pour un moment / Tout pourrait changer / Vis ta vie comme tu peux / Comme si c'était la dernière ») Un morceau exceptionnel !
"Bystander" est un titre progressif dont la tension est palpable au fur et à mesure de l’écoute, grâce au magnifique travail d’une rythmique qui se fait de plus en plus urgente. On a ce sentiment que l’on ne peut pas rattraper ce qui a été fait, on ne peut pas réparer les erreurs, et de la joie volée il ne reste que des cendres. Tandis que "Scarcity" est un mid-tempo aérien, avec la douce voix de Yann qui nous invite à l’introspection. Lorsque l’on cherche à remplir le vide de nos vies, on s’accroche à ce qui nous attire, comme à un radeau, pour ne pas se perdre au fond des abîmes de l’âme, comme un papillon attiré par cette lumière qui lui brûle les ailes. Partir pour mieux revenir ? « I am leaving to come back » comme nous dit le chanteur.
"Elusive" possède une intro particulièrement réussie, avec ses sons de cuivres (ah, ce saxo soprano envoûtant !) qui résonnent au loin, tel à un appel irrésistible, semblable au chant des sirènes. On est attiré, on avance en confiance. Puis la musique se déroule jusqu’au final inquiétant, où l’on sent le danger poindre. "Apnea" est une douce ballade qui nous invite à plonger dans les profondeurs, là où la lumière est absente, où le silence règne et où l’on peut se noyer et fusionner l’un dans l’autre : « We and nothing more » (« Nous et rien de plus »). On retrouve plus d’agressivité sur "The Unknown", à l’aide d’une rythmique appuyée et de guitares mordantes, sans oublier le chant de Yann, plus râpeux, mais toujours mélodique. Avec un solo de saxophone torturé qui offre un final de toute beauté. La suivante, "Night And Day", est un énorme coup de cœur ! Cette chanson est somptueuse, avec son intro basse/batterie, qui nous fait prendre conscience de l’apport créatif unique d’Enzo Alfano et Morgan Berthet à la musique de KLONE, et qui distille une ambiance poignante avec des guitares aussi lourdes qu’aériennes, ainsi qu’un texte d’une grande force, encore une fois : « Night and day, I will be by your side / Everywhere, there is so much to live before we die » ( « Nuit et jour, je serai à tes côtés / Il reste partout tant de choses à vivre avant de mourir »). Ne pas mourir. Pas maintenant. Pas tout de suite. Encore un peu de temps. Ce temps qu’il nous reste pour être pleinement... Yann Ligner n’a jamais aussi bien chanté que sur cet album, modulant à l’envi sa voix bourrée de feeling et foncièrement viscérale, qui porte en elle toute une palette de couleurs et de nuances. Avec "Disobedience", on renoue avec le côté rugueux et abrasif du groupe, qui nous enjoint à désobéir, et c’est avec grand plaisir que nous allons suivre le conseil. Un morceau bien rythmé, qui cogne fort, avec des riffs saccadés et un court mais très beau solo, et qui prendra encore plus d’ampleur en live, à n’en point douter. Probablement la chanson qui se rapproche le plus des premiers travaux de KLONE, notamment avec la voix rauque et growlée de Yann Ligner sur le refrain.
"Meanwhile", qui donne son titre à l’album, est un diamant d’une exceptionnelle beauté. C’est la chanson la plus longue du disque avec ses 6:48 minutes au compteur, mais que l’on ne sent pas passer, tant l’émotion est présente de la première à la dernière note. Intro aérienne, mais riffs lourds, pont tout en délicatesse avec des notes de piano suspendues, des guitares légères, des effets electro, des descentes de toms inspirées signées Morgan Berthet, des guitares qui gonflent en puissance, comme un étau qui se resserre jusqu’au final culminant haut dans les cieux, avec le saxo qui s’emballe et le son des cordes qui gronde jusqu’à l’apothéose, laissant l’auditeur au bord des larmes, médusé par une telle force émotionnelle. Et des paroles qui résonnent au fond de nos âmes et nos vies inachevées : « We'll face the problems / We’ll face to survive / The start of drastic change / The way we feel alive / We'll meet the challenge / To the peace of better nights / Today is the first day / Of the rest of our lives » (« Nous ferons face aux problèmes / Nous ferons face pour survivre / Le début d'un changement drastique / La façon dont nous nous sentons en vie / Nous relèverons le défi / Pour la paix de meilleures nuits / Aujourd'hui est le premier jour / Du reste de nos vies »). Commencer, recommencer, ne pas s’arrêter car la vie est faite de cycles, en perpétuelle reconstruction. Rien n’est acquis, tout est à découvrir. Tout peut se découvrir, pour peu que l’on s’en donne la peine.
La mise en son a été assurée de main de maître par Chris Edrich (LEPROUS, CELESTE...) qui confère à l’ensemble des morceaux d'une pureté auditive nous permettant de distinguer clairement le moindre détail de cette musique riche et intense. Le Mastering a été confié à Pierrick Noël, quant au magnifique artwork du CD, il a été créé par Umut Recber à partir d’une photo retravaillée afin de lui donner cet aspect de ciel orageux, animal et saisissant.
KLONE nous livre clairement son meilleur album, le point culminant d’une carrière déjà riche d’expériences, un album fait de maturité, de réflexions, d’élégance et d’émotions parfaitement maîtrisées, offert à nos oreilles avides de cette grâce et de cette sincérité que les cinq artistes ont réussi à combiner. Une œuvre magistrale et intemporelle, de la part d’un groupe qui n’a aucun autre équivalent dans le paysage metal actuel. Somptueux !