Quelle joie que ces événements imprévus. Me trouvant à Manchester pour quelques jours, et n’ayant curieusement rien anticipé sur l’éventuel calendrier local, ce n’est que la veille du concert que je découvrais l’affiche, somptueuse : un co-headlining THE DARKNESS et BLACK STONE CHERRY, précédés par l’ami Danko Jones en guest ce jeudi 2 février.
C’est assurément LA tournée de l’hiver pour les Britanniques, immanquable pour tous les fous de classic-rock moderne dont s’est emparée cette "jeune" génération depuis une vingtaine d’années, et qui remplit toutes les arenas du pays – en tout cas le temps de sept dates de rêve : Cardiff, Liverpool, Glasgow, Birmingham, Manchester donc, puis Leeds et enfin Londres à la Wembley Arena.
Même si cette immense salle équivalente à l’Accor Arena (ici 21 000 places) n’est pas complète ce soir (tous les hauts gradins supérieurs ont été bâchés), on estime quand même une jauge autour de 14 000 fans, et c’est hélas devant une toute petite assemblée que notre Danko prend d’assaut la scène à 19 heures pétantes : il n’y a devant lui qu’une minuscule fosse qui ne remplirait même pas une Maroquinerie, ainsi que quelques curieux déjà bien confortablement assis ci et là dans les gradins avec leurs pintes de Lager italienne en guise d’apéritif. Grande tristesse de voir ce warrior de la route et du rock’n’roll se démener comme à son habitude dans une arène aussi vaste mais qui sonne bien vide, l’écho de sa voix pendant ses quelques speeches si mordants allant se perdre aux quatre coins des lieux. Les quelques applaudissements polis et enthousiasme des connaisseurs cependant amassés devant la scène étaient d’autant plus frustrants : mais rien ne pourrait déstabiliser, décevoir ou désarmer le trio canadien qui joue avec la même ferveur, qu’il soit dans un club devant son public ou devant une marée humaine lors d’un après-midi de festival. DANKO JONES en concert, c’est l’assurance certifiée d’une infaillible leçon de high energy rock’n’roll et, pour le coup, les anglais n’ont RIEN compris en passant à côté. S’il se montre davantage à l’économie sur ses fameuses interventions spontanées dignes d’un stand-up compte tenu du temps très limité qui lui est imparti, le chanteur guitariste décoche ses plus beaux tubes à l’attention des mancuniens qui arrivent petit à petit : huit morceaux de trois minutes chacun – mais pas des moindres, avec entre autres "First Date", "Had Enough", "My Little RnR", "I Gotta Rock", "I’m In A Band" et l’irrésistible "Lovercall". Danko Jones ou déjà près d’un quart de siècle de carrière et un talent inestimable pour conjuguer le hard rock de ses héros KISS, AC/DC et THIN LIZZY, avec la fougue expéditive des RAMONES et la robustesse d’un Henry Rollins – mais tout ça pour ça : hélas, Danko restera vraisemblablement cantonné aux petites salles ou aux premières parties bien trop ignorées par des gens finalement bien peu esthètes... Après, si ça nous fait mal au coeur pour lui, on s’est tout de même régalé. Rien qu’au cours des huit derniers mois, c’était la troisième fois que nous venions l’applaudir, et l’on ne compte même plus toutes les autres occasions depuis vingt ans...
Vingt ans : c’est à quelques mois près le temps qui s’est écoulé depuis la toute première rencontre avec THE DARKNESS à Paris, soit au cours de toute une journée de reportage à leurs côtés, couronnée par un concert aux allures de showcase à la Boule Noire devant un public majoritairement constitué d’anglais qui avaient traversé la Manche pour acclamer leurs nouveaux héros prolétaires alors qu’il était d’ores et déjà impossible de les voir dans une telle intimité dans leur propre pays. Et malgré des hauts et des bas, THE DARKNESS est bien vivant : à titre personnel, c’est même eux qui ont, de loin, proposé le meilleur show de la soirée – et tous ceux qui les ont vu dernièrement sont unanimes sur la forme insolente que le groupe a regagné. Curieusement, c’est un Justin Hawkins en jean slim bottom-bells et t-shirt du groupe qui pastiche la pochette du « Hot Space » de QUEEN qui s’empare de la scène au son de "Growing On Me" : inévitablement, ce sont pas moins de sept extraits de « Permission To Land », sorti en fanfare il y a donc exactement vingt ans, qui s’imposent ce soir, soit plus de la moitié de la set-list. Seul le morceau-titre de « Motorheart », dernier album en date, est interprété (avec rajout de cowbell !!!), chaque autre disque n’ayant également droit qu’à un seul aperçu – et si des chansons comme "Solid Gold" ou "One Way Ticket" restent méchamment solides, ce sont bien évidemment tous ces tubes désormais légendaires qui font mouche. Visuellement, à part ce Justin étonnamment sobre en terme de look (il ressemble davantage à un croisement entre le Iggy Pop de 1980, un Bon Scott tout tatoué et torse nu, un Anthony Kiedis cheveux courts et à moustache, et un Freddie Mercury en civil), son frère Dan n’a pas bougé d’un iota et reste ce clone de Malcolm Young si discret et arborant son éternel t-shirt THIN LIZZY, tant que le bassiste Frankie Poullain affiche sans complexe sa même dégaine excentrique et décalée, comme s’il sortait d’un show à l’Hammersmith Odeon en 1974. Et bien sûr, l’on ne peut s’empêcher de scruter le jeu, la dynamique et la silhouette du batteur Rufus Tiger Taylor, fils de son père Roger, LE batteur de QUEEN, et qui ressemble TELLEMENT à Taylor Hawkins, son ami disparu il y a un an et dont les admirateurs des FOO FIGHTERS peinent tant à faire le deuil. Rufus est d’ailleurs pressenti, avec tout le fantasme et les spéculations des fans, pour rejoindre le groupe de Dave Grohl... rien ne laisse pour l’heure entrevoir d’une telle supputation, mais il est vrai que nous sommes troublés par sa présence, pleine de force, de fraîcheur, de blondeur quasi californienne et d’enthousiasme communicatif...
Gerbes de flammes, rideau d’étincelles, explosions et light-show sophistiqué : THE DARKNESS n’a rien laissé au hasard pour offrir un concert digne d’une grosse tête d’affiche de stade pour accompagner ses "Black Shuck", "Get Your Hands Off My Woman" (le premier méga-tube des anglais) ou la ballade "Love Is Only A Feeling". Surprise, après un intermède instrumental de quelques minutes, Justin Hawkins revient enfin revêtu d’une de ses tenues farfelues, digne d’un David Lee Roth en 1982, sorte de fuseau en spandex rouge zébré : on ne l’imaginerait pas autrement accoutré pour asséner au public (qui se lâche enfin pour de bon) le carton interplanétaire que fut « I Believe In A Thing Called Love ». Si l’accueil fut jusqu’à présent plutôt bon mais sans non plus franchir une hystérie stratosphérique pourtant méritée, là la Manchester AO Arena pète littéralement un plomb avec ce bijou hirsute du patrimoine culturel britannique, et la salle se transforme alors en karaoké géant, façon pub du vendredi soir. Mais ce n’est pas terminé : il faut bien dix minutes de plus pour que le groupe parachève son set avec l’habituel "Love On The Rocks With No Ice", brulot hard du premier album, et qui le voit traverser un pan de la fosse sur les épaules de son roadie pour prolonger son solo ébouriffant. Sauts de scène chorégraphiés, final à rallonge, explosions de boules de feu par centaines (!) et gros gros son : la vache, ce soir-là THE DARKNESS m’en a mis plein la gueule et je crois bien qu’il s’agit du meilleur concert auquel j’ai pu assister en vingt ans.
Cependant, il est clair que c’est surtout pour BLACK STONE CHERRY que le public s’est déplacé : le niveau d’excitation et de clameur s’est sérieusement rehaussé de plusieurs crans et la popularité des petits sudistes du Kentucky n’est plus à prouver – c’est bien dans ce United Kingdom qu’ils jouissent de leur plus gros succès. Avec autant de t-shirts à leur effigie dans le public, il n’y a aucun doute qu’ils sont ici comme chez eux – et leurs deux albums live étaient déjà venus consacrer cette suprématie : le « Thank You – Livin’ Live: Birmingham » en 2015, suivi du tout récent « Live From The Royal Albert Hall... Y’All » en 2022. Et à peine ce disque sorti en juin (et enregistré dans la prestigieuse salle en septembre 2021), BLACK STONE CHERRY remettait le couvert, pour le plus grand plaisir de tous leurs fans ici présents. Le show est bien moins spontané et fun que celui de THE DARKNESS, beaucoup plus "américain" et organisé, quoiqu’on n’ait jamais su ce qu’il y avait de saupoudré dans le fish’n’chips du guitariste Ben Wells tant celui-ci semble avoir bouffé du lion : plutôt discret en civil, le blondinet occupe la scène comme un enragé et ne s’arrêtera pas une seule minute durant cette petite heure et demie de show bien agencé – le constat est même effarant au regard du caractère très statique du chanteur Chris Robertson, frontman plutôt effacé et peu loquace mais qui brille fort heureusement par sa voix érodée et gorgée de la chaleur du Sud. Derrière son kit et perché sur une grosse plateforme à l’ancienne, John Fred Young bastonne ses futs de manière aussi colossale que visuelle, sa frappe caractérisant le jeu et le son d’ensemble bien moins fin, leur mélange de post-grunge bluesy et de classic-rock lorgnant bien davantage vers du pur hard rock US taillé pour les arenas : oui la production est ici très forte et enjoint tout le public à hurler les refrains bien connus du répertoire, et ce dès ce "Me And Mary Jane" déjà gagné d’avance.
Si le nouveau bassiste Steve Jewell en fait des tonnes, façon Jannick Gers en multipliant ses grands écarts debout une jambe plaquée contre son ampli, on sourit, gêné, et l'on se concentre surtout sur la voix vibrante et puissante de Robertson, qui ne cache ni son émotion ni sa gratitude envers le public anglais, qui, comme à son habitude, lui témoigne tant de passion. En une petite quinzaine de hits, BLACK STONE CHERRY semble bien mériter sa place de headliner, ses fans reprenant mot pour mot les paroles des "White Trash Milionnaire" et autres "Blame It On The Boom Boom", certes assez faciles mais efficaces – là où il y aura davantage de finesse et de profondeur dans des morceaux comme "Things My Father Said". L’ensemble de leur discographie est passée en revue, mais c’est surtout l’album « Between The Devil & The Deep Blue Sea » sorti en 2011 qui est favorisé – et si j’attendais avec une certaine impatience qu’ils nous jouent à nouveau leur reprise du "Can’t You See" du MARSHALL TUCKER BAND parue sur ce même album, c’est leur relecture festive du "Don’t Bring Me Down" d’ELECTRIC LIGHT ORCHESTRA qui fera office de seul et unique rappel pour clôturer un concert certes très bon mais sans grandes surprises.
Ma foi, pour une soirée complètement imprévue à Manchester, on aura plutôt été gâté, d’autant qu’un tel package reste seulement cantonné à l’Angleterre. On a beau avoir vu (et interviewé) ces groupes d’innombrables fois, les avoir ainsi réunis sur une telle affiche faisait figure d’événement – d’autant plus exotique que chez eux, les anglais savent témoigner de leur ferveur indéfectible pour le classic-rock, en démontrant que toute cette culture est naturellement, et définitivement, ancrée dans leur ADN.