« Rivers Run Red » fête ses trente ans et LIFE OF AGONY sillonne le monde pour commémorer l’anniversaire de ce disque emblématique des années 90, ode sublime à la noirceur et au désespoir. Accompagnés de PRONG et TARAH WHO?, mais sans MADBALL présent sur d’autres dates de la tournée, les New-Yorkais ont fait étape dans un Black Lab bondé où les belges, en voisins, étaient venus en nombre.
Le retour dans les 90’s débute par TARAH WHO? certes fondé en 2006 mais à la musique inspirée par cette décennie. Autour de Tarah, guitare et chant, se placent une batteuse et une seconde guitariste, ainsi qu’un bassiste, plus discret. Pour déployer son punk/grunge, le groupe franco-américain ne dispose que d’un espace très, très réduit, où les quatre musiciens sont alignés. La leader ne s’en offusque pas ; au contraire, elle prend les choses à la rigolade et, d’entrée, plaisante avec le public. Elle n’est pas plus déstabilisée par les problèmes de retour qui empêchent les morceaux de s’enchaîner et créent de brèves mais régulières interruptions. Laura, son acolyte six-cordiste, elle aussi sans cesse souriante, tout de rouge vêtue, n’hésite pas à jouer à genoux. Souvent mélodiques (le tout récent "The Showdown") efficaces et dynamiques, surtout vers la fin de la demi-heure qui leur est imparti, les chansons séduisent les premiers rangs, comme "Pantomath" aux chœurs entraînants. Comme promis un peu plus tôt, Tarah finit dans la fosse avant d’être fêtée sur scène pour son anniversaire, gâteau à l’appui. Ravie derrière ses fûts, Coralie Hervé immortalise cette scène bon enfant avec son portable. Une sympathique mise en bouche.
La répétition robotique de "This Is Only a Test" résonne avant que PRONG n'attaque bien évidemment avec "Test", premier des six extraits de l’incontournable « The Cleansing ». Sorti en 1994, cet incontournable présentait une pochette aussi fascinante qu’écœurante, clin d’œil à Un Chien Andalou, le film de Dali et Bunuel. Dès les premières notes, le trio est dans une forme étincelante, presque dans un état second pour le bassiste Jason Christopher qui ne cesse de tourbillonner avec son instrument, au risque d’éborgner les fans du premier rang. A la batterie, Jason Bittner, qui officie aussi avec OVERKILL, est d’une précision sidérante, au carrefour d’un groove irrésistible et d’une intense violence. Et Tommy Victor, alors ? Intenable, il multiplie les mimiques dédiées aux photographes, traverse la scène en petits bonds, donne des médiators, s’adresse au public en français puis l’harangue pour l’accompagner sur l’imparable "Snap Your Fingers, Snap Your Neck". Quelle forme... et quelle set-list jouissive ! De "Beg To Differ" à l’irrésistible "Broken Peace", en passant par le tribal "Cut-Rate", "Rude Awakenning" ou "Unconditionnal", les classiques des années 90 – et même d’avant pour "Disbelief", paru en 1987 sur l'EP « Primitive Origins » – se succèdent devant une foule déchaînée qui multiplie les pogos et les circle-pits ; certains audacieux parviennent même à monter sur scène.
Présentées sous une forme brute, sans artifice, les compositions de PRONG sont impitoyables. Les récents "Ultimate Authority" et, en guise de conclusion, le très hardcore, et bien nommé "However It Mays End", rappellent que les Américains, infatigables, sortent encore des albums de qualité. Chapeau bas, Monsieur Victor... que l’on retrouve au stand de merchandising, abordable et toujours d’accord pour signer un autographe.
« Rivers Run Red » de LIFE OF AGONY a longtemps été savouré dans la solitude d’une chambre d’étudiants, à la nuit tombée. La colère et le désespoir qui se dégagent de ce disque enveloppent d’un manteau de pluie, d’une lumière de fin d’automne. Bien sûr, la transcription live de ce chef d’œuvre ne procure pas les mêmes sensations que son écoute intime, à l’image des interludes narratifs, troublants sur l’album, cassants le rythme en live, mais l’expérience reste magnifique. Les regards sont happés par une Mina Caputo charismatique, ange tourmenté et androgyne, à la voix sublime, entre noirceur et mélodie, capable de jurer comme un charretier à grands coups de « fuck » avant de chanter des textes poignants, de titiller de propos piquants l’assemblée avant de demander aux spectateurs de faire attention à eux. Elle asperge d’eau une foule chauffée à blanc, s’empare d’un drapeau jeté par un fan, se saisit des bras qui se tendent vers elles dans une communion d’une grande sensibilité... et donne tant qu’elle semble avoir besoin de reprendre des forces entre chaque morceau.
Après le "Hey You" de PINK FLOYD, "Rivers Run Red" glisse, enrobé de bleu et de rouge feutrés, vers le suicide final qui clôt son histoire. Les ambiances à la TYPE O NEGATIVE rencontrent la hargne hardcore très New York City du jeu de guitare de Joey Z, se nourrissent du thrash, envoient donc des mosh parts de-ci, de-là ("Method Of Groove"), tutoient le doom. Les morceaux sont souvent des montagnes russes, où des accélérations subites cèdent la place à des ralentissements oppressants. Et la conclusion, "The Stain Remains" est d’un tel désespoir...
LIFE OF AGONY poursuit avec un florilège de son deuxième album « Ugly »... et l’émotion, intense, demeure. Comment ne pas avoir la chair de poule à l’écoute de "Other Side Of The River" et de l’enchaînement bouleversant "Let’s Pretend" / "Lost at 22" ? Une soirée triste et belle, une plongée nostalgique dans les eaux troubles des années 90, une rencontre avec les fantômes de cette époque...