25 mars 2023, 16:27

HEADKEYZ

"The Cage & The Crown - Chapter I"

Album : The Cage & The Crown - Chapter I

Souvenez-vous : c’était il y a – bientôt – trois ans... En ce temps-là, nous devions nous même signer le laissez-passer nous autorisant à sortir de chez nous ! Et que dire du fameux masque chirurgical ? D’abord déclaré d’inutilité publique, il devenait obligatoire, dès lors que l’État parvenait à reconstituer des stocks jusqu’alors en jachère. Enfin, un vaccin non homologué faisait très rapidement son apparition... Et s’il n’empêchait ni d’attraper la maladie, ni de la transmettre, il était pourtant plus que conseillé, sous peine de se voir "emmerdé" par le Président himself ! De cette époque "extraordinaire", il ne faudrait pourtant pas tout jeter. C’est en effet durant les multiples phases de confinement qu’est né HEADKEYZ. Les "clés de la tête". Comme un sursaut, peut-être ? Une tentative pour sauver ce qui pourrait encore l’être ? Ou bien simplement pour dresser un constat sur la place occupée par l’Homme : ce super prédateur, prisonnier de la cage qu’il s’est lui-même construite. Pour conter l’histoire de sa vanité, de sa bêtise, surtout... et de sa chute. Car c’est bien là notre histoire, et c’est ce que raconte « The Cage & The Crown - Chapter I », premier album du groupe.

Originaire de Montpellier, HEADKEYZ se situe à la croisée du rock alternatif des 90’s, du nu-metal des 2000’s et du pop-rock. Sorte de mixage de toutes ses influences, d'ALICE IN CHAINS aux DEFTONES, en passant par TOOL, INCUBUS, KORN, NIRVANA, et jusqu’à la forme ultime : le PERFECT CIRCLE. Le tout ingurgité mais, surtout, digéré. Et depuis belle lurette. Pour Adrien "ADG" Girard, chanteur du groupe, « The Cage & The Crown est le récit dystopique de l’avant fin, de ce silence tendu, ce bruit sourd et grave grossissant, se propageant avant l’effondrement final. » "La cage", c’est notre planète, notre environnement, mais aussi notre condition... dans laquelle nous sommes bien souvent maintenus. Elle peut être invisible, il n’empêche : elle est bel et bien là. Toujours oppressante. Et elle nous empêche d’évoluer, d’accéder au monde réel, persuadés que nous sommes que seule "la couronne", la fortune ou la performance nous permettront de toucher le bonheur du bout des doigts. Alors qu’elles ne sont que d’autres formes de cage. Le cercle est aussi vicieux que vicié. Pourtant, si l’album (concept ?) porte un regard assurément désenchanté sur notre époque, chacun des huit morceaux du disque transpire une farouche volonté de faire du beau. Tout est pesé, savamment dosé et l’alchimie opère. Car si l’on ressent de la gravité dans le propos, la légèreté s’invite aussitôt, par contraste, nous permettant d’avancer en apesanteur dans le chaos environnant. Le bordel, oui... mais à pas feutrés !

Il faut d’ailleurs saluer ici le travail d’exigence mené par ADG, qui a écrit et composé pas moins que l’intégralité de l’album. Et qui a œuvré pour monter le groupe durant les incessants confinements, se servant des couvre-feux pour attiser la flamme. « Je cherchais des musiciens qui avaient quelque chose de particulier. J’en avais vu jouer certains, sur scène, mais on ne se connaissait pas réellement. Je les ai appelés, et puis, tout s’est fait par affinités. Au final, plutôt que de désespérer chacun dans son coin, durant cette période difficile, on a décidé de se servir de cette énergie très particulière pour en faire quelque chose. Pour créer. » Et partager une vision. Sur la vie, sur ses congénères, sur l’espèce humaine, la nature, l’écologie ou bien la religion. Et notre rapport à l’altérité. S’il n’y a aucune volonté d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, il y a, chez HEADKEYZ, ce qui fait le propre de l’artiste : un regard. Mieux, même : un point de vue. Auquel on est libre d’adhérer... ou pas. Mais il est là, il existe, puisque tout a été pensé, conceptualisé, mis en forme. Pas étonnant, d’ailleurs, qu’ADG soit aussi l’auteur de la pochette. Car lorsqu’on a une vision, impossible qu’un autre la réalise à sa place. C’est ce qui fait toute la différence entre un artiste et un musicien. L’artiste cherchera à tout prix la cohérence entre le fond et la forme, dans ses moindres détails. Jusqu’à les rendre indissociables. Pour former un Tout.

Un "Tout" qui ne pourra voir le jour qu’avec la sortie du « Chapter II »... déjà mis en boîte ! « Notre idée, c’était de garder le même son, la même énergie, pour que le projet d’ensemble soit cohérent et homogène. Pour autant, le volume 2 ne sera pas une redite du premier. Ni même une simple suite, mais bien plutôt son complément. Ou son revers, comme une sorte d’effet miroir, jusqu’à former un véritable diptyque. » Une œuvre d’art ? Peut-être. Nous en saurons plus l’an prochain, date théorique de sortie du second volet. D’ici là, profitons tranquillement – mais sûrement – de l’instant présent (sera-t-on encore de ce monde en 2024, hein ?) comme des mélodies finement ciselées par les HEADKEYZ. "The Cage" ouvre ainsi l’album, délivrant un message sombre et amer sur l’oppression sociale, l’aliénation et notre condition humaine, judicieusement contrebalancé par des « ouh-ouh, ouh-ouh » aussi pop que sucrés. Et c’est bien là l’une des marques de fabrique du groupe : balancer des chœurs précisément là où ça pique ! [note de l’auteur : pour le trèfle et le carreau, je n’ai pas trouvé...]. Pour établir un contraste, maintenir notre attention et donner du relief à ses compositions. Pour en faire une musique "pleine".

Et de contraste, il sera encore question avec "Killing God", morceau badass s’il en est, avec son riff d’intro qui évoque plus les saloons de l’ouest américain du XIX siècle, ses beuveries, ses duels, son soleil écrasant et sa crasse immonde... que la dualité entre l’Homme et son créateur. Et pourtant ! Le clip qui accompagne le titre, monochrome, prend le contrepied de ce que l’imaginaire avait élaboré et créé, d’entrée, un déséquilibre entre les sensations et l’intellect. Car les HEADKEYZ évoluent constamment dans un grand labyrinthe, s’y perdent sciemment pour, à chaque fois, retrouver le chemin qui mène vers la sortie. Et si d’aventure, désorientés par cette course incessante ("Run Run Run"), ils en venaient à tourner en rond, ils disposeraient encore d’une arme infaillible : le "CTRL+Z" ! Délicat instrumental, emmené par la guitare de Timothée Bertram, qui nous laisse rêveur : si tout ce que nous devions supprimer, durant notre existence, si tout ce dont nous devions nous amputer pouvait être aussi doux... Pas question, en tous les cas, d’émasculer le groupe et de le couper de ses influences ! On reconnait ainsi, dans le jeu de Clément Pernet, l’empreinte de Stewart Copeland sur "Big Bad World", véritable cri de colère envers l’humanité. De dégoût, plutôt. Et l’intervention de la POLICE n’y pourra rien changer...

Nouvelle touche de « Reggatta De Blanc » sur "7 Even", morceau groovy s’il en est, qui décrit de façon imagée le processus de création de l’artiste. Tout au long de ses 5'15", le titre gagne en densité, par paliers, bien aidé par les invocations d’ADG, jusqu’à lâcher les guitares de Timothée et de Baptiste Willaume sur leur proie. Et les laisser tout dévorer. Ce ne sera pas le seul carnage du groupe, puisqu’il y a encore du monde à déglinguer. "The Passenger" évoque ainsi cette partie sombre qui se terre en chacun de nous et qui, parfois, tente de prendre le contrôle... Alors, tandis que la basse de Benjamin Michel martèle et pose les fondations du morceau, la guitare trace sa voix, insidieusement, au milieu des incantations chamaniques. Quelques notes éclatent et illuminent le chemin... car l’ombre de Robby Krieger plane et balise cette route que THE DOORS n’auraient pas rechigné à emprunter, en leur temps. Et puis, sans qu’on ne les voie venir, les pistes de guitare se regroupent, se superposent les unes aux autres, s’épaississent et se préparent à livrer l’assaut. La batterie s’emballe et donne le départ ; le son, saturé, devient laminoir. ADG hurle : le morceau explose... et c’est bon ! Une densité et une intensité qui ne sont pas sans rappeler le puissant SOUNDGARDEN des nineties...

De l’intensité toujours, mais tout en retenue, c’est ce que propose "Speak". Éminemment délicat, comme tamisé, le morceau interroge sur notre rapport à l’animal. Et sur ce qu’il endure dans le plus grand des silences, dans la plus petite des cages, dans la solitude la plus absolue, comme plongé dans le noir, victime de l’élevage intensif. Qu’auraient-ils donc à nous dire, ces animaux, s’ils pouvaient parler ? Aussi brillant que puissant, toujours dans le contrôle, appuyé par un son rond, des notes étincelantes, pénétrantes, le titre submerge. L’émotion est violente et glaciale à la fois. Fiévreuse et sublime. C’est aussi bon que gerbant, et ça donne envie de chialer. Peut-être même de tout péter ? Car « The Cage & The Crown », album enragé et engagé, prend ici tout son sens et dresse le bilan d’un monde fou ayant désormais atteint le point de rupture. L’effondrement est proche. Tout l’inverse des HEADKEYZ qui, avec ce premier album, surprennent. Par une lucidité, une maturité et une diversité qui servent leur récit et lui donnent du relief. Par une ambition artistique assumée, aussi. Et maîtrisée.

On n’a donc qu’une envie : voir grandir ce groupe. Pour découvrir ce qu’il est capable de créer et de quelle manière il va évoluer. On a aussi très envie de savoir comment il va résister à l’écueil de "The Crown" : la couronne, le succès et les flatteries en tout genre, synonymes de cage dorée ! Et nous ne serons pas les seuls à être attentifs au devenir du quintet montpelliérain : emballé par le projet, Howie Weinberg (DEFTONES, NIRVANA, THE SMASHING PUMPKINS, Jeff Buckley...) a accepté de mastériser une série limitée de vinyles à Los Angeles. Moins de reverb’, plus d’épaisseur : sa relecture de l'album met en avant le côté rock des HEADKEYZ. Côté plateformes et CD, c’est Jean-Pierre Chalbos (GOJIRA, PLEYMO, SHAKA PONK, DAFT PUNK...) qui officiait derrière la console du studio "La Source Mastering", à Paris, donnant au groupe un son volontairement plus moderne et qui n’a rien à envier aux grosses productions. Le son, le fond et la forme, c’est le combo parfait. Ne reste plus qu’une chose à faire : vous en emparer... et balancer la cage et la couronne aux orties !

Blogger : Stéphane Coquin
Au sujet de l'auteur
Stéphane Coquin
Entre Socrate, Sixx et Senna, impossible de faire un choix… J’ai donc tenté l’impossible ! Dans un mouvement dialectique aussi incompréhensible pour mes proches que pour moi-même, je me suis mis en tête de faire la synthèse de tout ce fourbi (et orbi), afin de rendre ces éléments disparates… cohérents ! L’histoire de ma vie. Version courte. Maîtrise de philo en poche, me voilà devenu journaliste spécialiste en sport auto, avant d’intégrer la valeureuse rédaction de HARD FORCE. Celle-là même qui prit sauvagement part à mes premiers émois métalliques (aïe ! ça fait mal !). Si la boucle n’est pas encore bouclée, l’arrondi est désormais plus que visible (non : je ne parle pas de mon ventre). Preuve que tout se déroule selon le plan – savamment – orchestré… même si j’aimerais que le tempo s’accélère. Bon, et sinon, qu’est-ce que j’écoute comme musique ? Du bon, rien que du bon : Platon, Nietzsche, Hegel et Spinoza ! Mais je ne crache pas non plus sur un bon vieux morceau de Prost, Villeneuve ou Alonso… Comment ça, Christian, faut tout réécrire !?!
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