31 mars 2023, 20:26

SUPURATION

"The Cube" (1993 - Rétro-Chronique)

Album : The Cube

Il y a trente ans, la scène death metal française était encore balbutiante. Néanmoins, le trio LOUDBLAST, AGRESSOR et MASSACRA avait ouvert la voie et montré que la France était capable de proposer un metal qui puisse avoir sa place dans l'écosystème international plutôt qu’être une sorte d’exception culturelle à la française. De ce fait, dans l’ombre de ces trois noms devenus cultes, une multitude de groupes espéraient tracer leur chemin dans les pas de ce trio. Parmi eux, SUPURATION, né quelques années plus tôt sous le nom de ETSICROXE. Fin 1990, lorsque sort son premier EP « Sultry Obsession », le groupe se distingue surtout par le fait d’être le premier à sortir un format CD, qui n’est qu’une réédition améliorée de sa première démo. Mais comme souvent, les détails ont leur importance puisque cela va lui donner une visibilité que le groupe va superbement exploiter avec une maturité autrement plus surprenante que ces jeunes musiciens autodidactes n’ont que quelques années de pratique de leur instrument. En 1992, le magasin Underground Records basé à Lille, repère des fans de metal de la région, décide de créer le label Reincarnate Records pour permettre à SUPURATION d’enregistrer et sortir son premier album, distribué par Danceteria.

Alors que l’enregistrement est prévu pour septembre au C.M.A. studio à Valenciennes, et que les morceaux sont composés et rodés en live, le groupe décide de revoir entièrement sa copie durant l’été. Fabrice Loez (guitare/chant) avoue que c’est le titre "1308.JP.08" présent sur la compilation « Obscurum per Obscurius » parue plus tôt dans l’année qui en a été le déclencheur. Ce titre est musicalement à l'opposé du death metal sombre et extrême de ses premiers instants. Victime d’un accident de voiture l’âme de cette personne va voyager à travers l’esprit des musiciens vers un univers jusqu’alors inexploré et qui deviendra la marque de fabrique de SUPURATION, reconnaissable entre mille. Pour bâtir son identité, SUPURATION va se plonger dans l’univers de la new wave et de la cold wave en écoutant notamment des groupes comme DEPECHE MODE.

Alors que la formation répète inlassablement les morceaux afin de trouver le bon enchaînement, les paroles écrites à quatre mains par Ludovic Loez (guitare/chant) et Laurent Bessault (basse) doivent changer de morceau pour conserver la chronologie de l’histoire contée par « The Cube ». De son côté, Laurent Bessault se charge aussi de concevoir la pochette qui, elle aussi, sera novatrice. Calculée par ordinateur, la puissance disponible à l’époque pour générer ce genre d’image nécessite beaucoup de patience car il n’est pas rare de devoir attendre plusieurs jours pour obtenir le résultat. Lorsque les sessions d’enregistrements se terminent au C.M.A., Fabrice Loez se souvient que Michel Stanziano, qui s’est chargé de la production avec Bruno Objoie, a pris le groupe à part dans son bureau pour écouter l’album et dire aux musiciens qu’ils n’imaginent même pas l’importance de ce qu’ils ont enregistré. Bien évidemment, leur expérience ne leur permet pas de mesurer que ce qu’ils viennent d'accoucher n’a jamais été entendu auparavant, mais Michel Stanziano en a conscience. Le moins que l’on puisse dire c’est que par tous ses aspects « The Cube » est novateur. Le nouveau logo du groupe n’a plus rien à voir avec le death metal de « Sultry Obsession », l’image qui illustre la pochette n’évoque en rien un album de ce genre. Le packaging est aussi inhabituel puisque la première édition propose une pochette cartonnée, loin du classique boîtier en plastique. Par conséquent, ceux qui connaissent SUPURATION et qui n’ont pas encore découvert le contenu de « The Cube », ne peuvent qu’être interrogatifs, voir circonspects sur ce qu’il vont retrouver.


​« The Cube » commence par un joli arpège en prélude d’une histoire, celle de l’âme d’un homme grièvement blessé dans un accident de voiture qui voit la vie l’abandonner au fur et à mesure que son corps se vide de son sang. Si musicalement, le riff de "The Elevation" est clairement metal, les sonorités se distinguent sans l’ombre d’un doute de tout ce que l’on a l’habitude d’entendre à l’époque dans ce courant musical, ni dans le metal en général. SUPURATION est d’entrée en rupture avec les codes établis. Le rythme est rapide, le chant est guttural indiquant que le quatuor n’est toutefois pas en totale rupture avec l’univers death metal, mais les refrains en chant clair qui répondent aux couplets gutturaux emmènent l’auditeur dans un univers sonore novateur. Comme une sorte de transition, "Soul’s Speculum" poursuit dans cet esprit novateur pour nous emmener vers "1308.JP.08", titre charnière qui a amené le groupe à se remettre en question. La rupture réside surtout dans le chant clair et parlé où les frères Loez chantent à l'unisson. Cela en fait un morceau qui n’est aucunement death metal. Cette chanson est aussi une sorte de pont dans l’album vers la chanson titre "The Cube", qui lance l’album comme si, désolidarisée de son corps, l’âme libérée est galvanisée par l’exploration d’un nouvel univers qui s’ouvre devant elle. On remarquera la dualité des guitares qui, sur la base d’une rythmique puissante et efficace, se répondent en alternant riffs lourds et solis lumineux faisant partie de l’identité musicale de SUPURATION.

Ceci est superbement incarné par la lourdeur puissante de "Through The Transparent Partitions" enchaîné avec le mélodique instrumental "Spherical Inner-Sides" allant vers l’imparable "The Accomplishment" qui propose une des plus belles mélodies de l’album. "4TX.31B" fait écho à "1308.JP.08" qui, bien qu'un peu plus metal, est intégralement chanté en voix claire. L’album se termine sur "The Dim Light", superbe morceau qui, après le retentissement de la dernière note, laisse l’auditeur éberlué par l’expérience sonore qu’il vient de vivre. Passé ce moment de profonde surprise, l’auditeur reprend ses esprits avec une seule idée en tête : revivre l’expérience pour s’assurer de ne pas avoir rêvé.

Replacer dans son contexte, la remise en cause des compositions à un mois de l’échéance du studio était un pari risqué, voire suicidaire aux vues du jeune âge et du peu d’expérience des quatres musiciens. Ils ont toutefois eu le culot de relever un défi qui s’est révélé payant au-delà de tout ce que les proches du groupe et professionnels pouvaient imaginer. Cet album est un véritable monument intemporel qui n’a pas pris une ride en trente ans d’existence. Pourtant cette transformation est entachée d’une anomalie. Celle d’un nom qui n’a plus rien à voir avec l’imagerie et l’univers musical du groupe. Mais ce n’est qu’un détail auquel le quatuor trouvera une solution avec l’album suivant et la mutation du nom en S.U.P. (Spherical Unit Provided). L’histoire de SUPURATION ne s’arrête toutefois pas sur « The Cube », mais se développe dans le cadre d'une trilogie à raison d’un album tous les dix ans. Ainsi, en 2003, c’est « Incubation »  qui voit le jour. Le bien nommé correspond au préquel de « The Cube ». Ce second album qui fête ses vingt ans reprend les morceaux originels que le groupe jouait à l’époque sur scène et aurait dû enregistrer. Le troisième volet de cette trilogie, « C3be » , célèbre quant à lui son 10e anniversaire et propose un pur death metal... à l'ancienne.

Blogger : Bruno Cuvelier
Au sujet de l'auteur
Bruno Cuvelier
Son intérêt pour le hard rock est né en 1980 avec "Back In Black". Rapidement, il explore le heavy metal et ses ramifications qui l’amèneront à devenir fan de METALLICA jusqu'au "Black Album". Anti-conformiste et novateur, le groupe représente à ses yeux une excellente synthèse de tous les styles de metal qui foisonnent à cette époque. En parallèle, c'est aussi la découverte des salles de concert et des festivals qui le passionnent. L'arrivée d'Anneke van Giersbergen au sein de THE GATHERING en 1995 marquera une étape importante dans son parcours, puisqu'il suit leurs carrières respectives depuis lors. En 2014, il crée une communauté internationale de fans avant que leur retour sur scène en juin 2018 ne l'amène à rejoindre HARD FORCE. Occasionnellement animateur radio, il aime voyager et faire partager sa passion pour la musique.
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