21 avril 2023, 19:09

DØDHEIMSGARD

Interview Yusaf "Vicotnik" Parvez

Pour la sortie du sixième et impressionnant album de DØDHEIMSGARD, « Black Medium Current », Yusaf "Vicotnik" Parvez a accepté de répondre à nos questions à propos de ses nouveaux titres aussi riches qu’intéressants. Le chanteur, guitariste et tête pensante du groupe nous parle de musique bien sûr mais aussi d’une philosophie de vie qui prend tout son sens lorsque l’on plonge dans l’expérience du black metal avant-gardiste du groupe. Un entretien sincère et enrichissant à tous points de vue...
 

Alors, content de sortir votre sixième album intitulé « Black Medium Current » , et ce huit ans après « A Umbra Omega » ?
Oui, c'est un peu comme une délivrance en fait, mêlée d'un sentiment un peu paradoxal, je pense un peu comme quand un de tes enfants part du cocon familial. C'est une délivrance car maintenant, l'album ne m'appartient plus, il est à tous ceux qui veulent y consacrer du temps et en même temps cela me permet de recommencer le processus de création à nouveau.
En ce qui concerne les huit années entre nos derniers albums, cela vient de plusieurs facteurs. A chaque fois que j'écris un album, j'ai besoin d'un temps de repos ensuite, ce qui me permet de me consacrer aux concerts et aux festivals, cela prend du temps. Puis il y a à nouveau un processus de réflexion : « Où vais-je ensuite ?  Qu'est-ce que je veux véhiculer musicalement et conceptuellement ? ». Cela prend du temps aussi. Et puis nous avons des projets parallèles également, d'autres groupes qui monopolisent notre attention par moments. Donc, les années défilent et en plus, à chaque album, le line-up du groupe évolue et il est parfois difficile de trouver les personnes idéales pour la musique de DØDHEIMSGARD. De toute façon, je ne suis pas stressé quant au temps qui passe, ce n'est pas un besoin pour moi de sortir un album tous les deux ans par exemple. Je veux à chaque fois quelque chose qui se démarque du reste de notre discographie. J'essaye que le résultat corresponde également à la réflexion que j'ai menée en amont de l'écriture de l'album.

Et ce nouvel album est épatant par sa richesse. Ce qui est tout de suite attirant, c'est sa pochette, à la fois minimaliste et hautement symbolique. Tu peux nous en parler ?
Le minimalisme parfois raconte une histoire car il te permet de réfléchir. Une pochette de fantasy avec plein de détails ne véhicule souvent pas plus de sens. Celle de « Black Medium Current » peut signifier différentes choses selon les gens mais pour moi elle symbolise quelque chose de spatial et une représentation de la réalité. L'espace vide y est le potentiel de ce qui peut exister et la dualité entre le physique et le mental, le corps et l'esprit, y trouve une place importante. Mais ce n'est pas tellement ce que je projette dans cette image qui est important, c'est surtout l'interprétation qu'en font nos auditeurs qui compte.

Es-tu philosophe ?
Je ne sais pas si je suis un vrai philosophe mais en tous cas j'en suis un grand fan. Je pense que la philosophie est un important aspect de l'art. Tu essayes de communiquer avec un langage dont tu ne possèdes aucun outil, donc cela doit être de l'art. Je sais parfaitement expliquer le chemin pour aller prendre le métro ou pour faire du pain, je n’ai pas besoin d’une autre langue pour ça.  Mais quand on parle de sujets qui vont au-delà de ça, comme le mystère de l’être, de l’existence, on a besoin d’un langage pour en parler de façon optimale.

Si on prend les paroles des chansons de DØDHEIMSGARD, on peut voir qu’elles sont très riches et profondes. Est-ce que votre musique est une façon de faire réfléchir les gens ?
Oui, j’aime en tous cas le penser. J’aime bien que la musique ne soit pas seulement quelque chose que l’on écoute. Je veux qu’elle procure une expérience. Il faut donc l’expérimenter pleinement et ne pas simplement utiliser un ou deux de nos sens pour se l’approprier. Elle doit être quelque chose qui t’enveloppe. Je ne suis pas quelqu’un de dogmatique, je ne suis pas un politicien, ni un religieux donc mes paroles ne sont pas dogmatiques. Je ne dis pas aux gens ce qu’ils doivent penser ou comment ils doivent penser mais je leur offre des sujets sur lesquels ils peuvent réfléchir. L’auditeur peut aussi bien écouter notre musique juste pour ce qu’elle est mais il peut aussi aller plus profond dans le sens et voir ce qu’elle recèle. On peut considérer nos chansons comme des morceaux de musique ou bien plus. Ce ne sont pas des chansons à propos de la bière, de la fête, qui sont très bien aussi. Ce sont des genres que j’aime mais qui ne sont pas moi alors j’écris des chansons qui font partie de moi, qui ont un contenu proche de ce que je ressens. J’essaye de trouver un terrain commun entre la notion et l’émotion, quelque chose d’universel.

Et qu’est-ce qui t’inspire alors quand tu composes ? Des livres ? La vie ? Des expériences ?
Oui, un peu de tout ça. L’expérience est importante. Notre capacité humaine à réfléchir, à analyser ce que l’on vit est essentielle. Je peux apprendre d’expériences que j’ai vécues il y a même plusieurs années. Cela fait partie de ce que l’on nomme le libre-arbitre. Je ne sais pas si on est vraiment libre mais en tous cas, nous avons une pensée critique qui nous rend supérieur aux autres animaux. Donc l’expérience est une grande inspiration ainsi que les émotions rencontrées. Cet album par exemple est un peu triste car je pense que c’était le bon moment pour ça. Je fais de la musique depuis longtemps maintenant et je m’aperçois que de nombreuses personnes qui ont été à mes côtés sont décédées, d’overdoses, de suicides ou autres, des amis, des collègues... C’est en quelque sorte un album pour eux.

Une sorte d’hommage ?
Non, pas vraiment un hommage ou alors un hommage à la vie et à la mort en général. Mais la mort n’est pas simplement dans le décès. Elle est aussi lorsque tu dois te renouveler à un moment de ta vie, ou quand on te force à t’adapter. C’est un changement radical de réalité. Nous vivons ça depuis qu’on est né puisque notre réalité est alors notre père et notre mère puis nous grandissons et la réalité devient l’école puis tu grandis, tu vieillis. On est presque forcé dans la vie à voir notre réalité s’effondrer devant nos yeux pour en reconstruire une nouvelle dans laquelle nous pouvons évoluer de nouveau.


Pour parler musique, les neuf titres de l’album mélange des éléments traditionnels de metal old-school mais aussi une approche très moderne de la musique avec des textures très différentes. Comment rendez-vous votre musique si spéciale ? Est-ce que tu as trouvé la recette parfaite pour DØDHEIMSGARD ? Tu dois être fier d’avoir ta propre identité musicale ?
En fait, l’identité est quelque chose de très important pour moi. Je considère que tu fais de l’art, il doit venir d’une source bien identifiée, spécifique. J’aime penser que quand les gens écoutent ma musique, ils savent que c’est moi qui l’ai écrite. Mais l’originalité ne doit pas non plus tout supplanter. Je veux que mon empreinte ressorte sur ma musique mais je veux aussi qu’elle permette la connexion. Etre original, c’est facile. Tu peux taper deux poêles ensemble et prétendre que tu en fais de la musique mais cela ne fédèrera personne. Sur l’album, il y a du black metal traditionnel mais j’ai préféré travailler sur la nature évocative de l’art, sur l’aspect émotionnel. Je veux que l’album vous fasse ressentir quelque chose et si j’y parviens, je me sens plus libre car j’ai établis un lien, une connexion.

Est-ce que tu vois une différence entre ton public aujourd’hui et celui de vos débuts, quand DØDHEIMSGARD était un groupe de pur black metal ?
Oui, je pense qu’on a vraiment changé de public et que peu des fans des débuts sont restés. Mais je pense que cela dépend de ton degré de compréhension de notre musique et de notre concept, de ton ouverture d’esprit. Quand on a sorti « 666 International » en 1999, il a été complètement détruit. Pas par les media mais par nos fans ! Ou alors c’est nous qui avons détruit nos fans peut-être avec cet album ! Ils l’ont détesté en tous cas. Mais certains sont revenus 15 ans après pour nous dire que finalement, ils avaient réécouté l’album et qu’ils l’aimaient et que finalement, nous avions raison.
C’est intéressant je trouve, car le black metal, qui est sensé être libre, libre des courants musicaux, libre des maisons de disques…était devenu très normé, traditionnaliste et du coup, très stagnant. C’est bien de challenger tout ça un peu à un moment donné.

Pour terminer, est-ce que vous allez venir jouer en France bientôt ?
Oui, c’est inévitable mais sortir un album en avril est toujours un peu problématique car tous les festivals sont déjà bookés donc je pense que notre grosse année pour les concerts sera en 2024. On va jouer cette année, en Tasmanie, à Mexico, deux endroits où je ne suis jamais allé alors j’ai hâte. On fera une dizaine de concerts cette année mais plus l’an prochain, avec une tournée normalement prévue.
En attendant, merci pour votre soutien et cet entretien très intéressant qui nous a permis d’aller au-delà de la musique. A bientôt en France !
 

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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