18 mai 2023, 19:51

SLEEP TOKEN

"Take Me Back To Eden"

Album : Take Me Back To Eden

Quand la musique possède son propre univers, elle a le pouvoir de faire basculer l’auditeur dans une autre dimension, où l’imaginaire prend vie. Après avoir lâché plusieurs singles depuis le début de l’année, SLEEP TOKEN revient avec « Take Me Back To Eden », le dernier chapitre d’une trilogie entamée avec « Sundowning » en 2019, puis « This Place Will Become Your Tomb » en 2021. Explorant encore plus profondément les joies, les émerveillements mais aussi les affres et les tortures qu’engendrent un amour fou, une passion inaboutie, qui ravit le cœur et l’âme autant qu’elle les consume. Amour de l’autre, amour de soi, amour de qui ou de quoi ? Puissance d’un sentiment qui revient à jamais hanter les nuits, régies par la Déesse Sommeil, faisant de cette fiction une réalité ?

Car le fond est tout aussi important que la forme chez les mystérieux SLEEP TOKEN. Et pour ce faire, le groupe ne s’interdit rien, explorant les territoires du RnB, de l’electro, du rap, du black metal, du jazz... Et si les frontières entre les genres sont complétement dissoutes, cela n’en rend le propos que plus cohérent, appuyant les bouleversements émotionnels par des changements abrupts de rythme et de style. ("The Summoning", "Vore", "Ascensionism", "Take Me Back To Eden"...)
Les guitares sont encore plus présentes que sur les deux précédentes offrandes, donnant plus de poids et de mordant à l’ensemble, même si les ambiances éthérées, les claviers et le piano sont encore les grands pourvoyeurs de mélodies imparables. La voix de Vessel est au centre de tout, envoûtante, chaude et ronde, gorgée de soul, quand elle ne part pas dans des notes angéliques tutoyant la stratosphère, ou dans des cris déchirants et glaçants sortis des entrailles de la Terre. Elle est le véhicule des peines de cette âme déchirée par des sentiments contradictoires.

A l’écoute de ces douze titres, on aurait tôt fait de se perdre dans des circonvolutions artistiques et musicales s’il n’y avait pas le génie créatif de ce groupe qui jamais n’oublie son propos et sait donner du sens à chaque incartade en territoire étranger. Tout est harmonieux et fluide, même lors de ruptures brutales comme sur "Ascensionism", qui passe du doux piano au chant rappé, avec la voix de Vessel distordue par le vocoder, puis aux screams puissants sur fond de guitares djenty et de rythmique ultra heavy.
Si l’on reconnait immédiatement le son de SLEEP TOKEN avec "Chokehold" qui démarre l’album, on est bien plus surpris par la suivante, "The Summoning", qui met en avant un gros riff épais, un solo de guitare divin ainsi que la voix de Vessel qui passe aisément d’un falsetto aérien à un growl bien gras, avant un changement de rythme qui coupe la chanson en deux, pour finir sur un style plus groovy. Sur tout l’album, on ne peut qu’admirer la dextérité des musiciens, à l’aise dans tous les genres. Du groove, il en est aussi question sur "Granite" et son refrain irrésistible : « I was more than just a body in your passenger sea / You were more that just somebody I was destined to meet / I see you go half blind when you're looking at me / But I am. / Between the second hand smoke and the glass on the street / You gave me nothing whatsoever but a reason to leave / You say you want me but you know I'm not what you need / But I am » (« J'étais plus qu'un simple corps sur ton siège passager / Tu étais plus que quelqu'un que j'étais destiné à rencontrer / Je vois que tu deviens à moitié aveugle quand tu me regardes / Mais je suis. / Entre la fumée ambiante et le verre dans la rue / Tu ne m'as rien donné d'autre qu'une raison de partir / Tu dis que tu me veux mais tu sais que je ne suis pas ce dont tu as besoin / Mais je le suis ») Tandis que le piano jazzy s’invite sur "Aqua Regia", dans un corps à corps sensuel, "Vore" nous avale dans une spirale de violence teintée black, puis un refrain à l’ambiance éthérée. Toi en moi, moi en toi. Ou le rêve impossible de ne faire qu’un...

"Ascensionism" est un morceau à tiroir, superbe et émouvant, avec son intro au piano, son chant mélancolique qui se transforme en phrasé rappé puis s’envole dans un cri, pour enfin retourner à une mélodie douce-amère. On retrouve plus de simplicité sur "Are You Really Okay", chanson pleine d’empathie, guidée par la guitare acoustique. Prendre les souffrances de l’autre pour le soulager ou bercer sa propre fragilité dans ses bras, avec ces mots : « I cannot fix your wounds this time / And I don’t believe you when you tell me you are fine / Please don’t hurt yourself again. » (« Je ne peux pas réparer tes blessures cette fois-ci / Et je ne te crois pas quand tu me dis que tu vas bien / S'il te plaît, ne te blesse pas à nouveau. »). Vient alors la chanson la plus bouleversante de l’album, "The Apparition", qui danse sur un fil de délicatesse. Confession poétique, sensuelle et charnelle à cet autre qui n’est pas là, à cette absence ressentie jusqu’au fond des tripes. Où es-tu, toi que je connais depuis toujours, toi dont je sens la présence en moi, toi qui me hantes sans répit ? « Why are you never real ? / Whenever you appear / You leave me with that grace / I am trembling with fear / But I know / That you will disappear / Just as I awake / Whisper in my ear. / But I believe / Somewhere in the past / Something was between / You and I my dear / And it remains / With me to the stay / No matter what I do / This scar will never fade. » (« Pourquoi n'es-tu jamais réel ?/ Chaque fois que tu apparais / Tu me laisses avec cette grâce / Je suis ébranlé par la peur / Mais je sais / Que tu disparaîtras / Juste au moment où je me réveille / Chuchote à mon oreille. / Mais je crois / Que quelque part dans le passé / Quelque chose existait entre / Toi et moi ma chère / Et cela reste / Avec moi jusqu'à la fin / Peu importe ce que je fais / Cette cicatrice ne s'effacera jamais. »)

Alors que le vocoder s’empare de la voix de Vessel sur "DYWTYLM", la déformant pour un rendu mécanique et métallique, la mélodie et les riffs puissants font leur retour sur "Rain", chanson prenante et épique au refrain superbe. Sur fond de pépiements d’oiseaux (de paradis ?), le morceau éponyme, "Take Me Back To Eden", comme un condensé de son univers, rassemble tous les éléments qui font le son de SLEEP TOKEN : ambient, electro, piano, guitares heavy et rythmique lourde, et bien sûr, toute la versatilité du chant de Vessel. "Euclid" boucle l’album, mais aussi la trilogie, et quelle meilleure manière pour cela que d’affirmer « The night belongs to you » (« La nuit t’appartient ») comme un écho au tout premier morceau de « Sundowning », "The Night Does Not Belong To God", dont le frontman reprend ces vers, dans une tonalité différente : « The whites of your eyes / Turn black in the lowlight in turning divine / We tangle endlessly like lovers entwined / I know for the last time / You will not be mine / So give me the night, the night, the night... » (« Le blanc des yeux / Noircit dans la pénombre en devenant divin / Nous nous emmêlons sans fin comme des amants enlacés / Je sais pour la dernière fois / Tu ne seras pas à moi / Alors donne-moi la nuit, la nuit, la nuit… »). Achèvement d’une histoire ou retour vers un passé toujours présent ?  D’ailleurs, est-ce vraiment la fin ? Comme la vie est faite de cycles, la nuit succède au jour, encore et toujours, inlassablement. Et la nuit t’appartient, définitivement.

« Take Me Back To Eden » a réussi le tour de force de plonger plus profondément encore dans le cœur de l’âme humaine, dans les tourments et les peines, dans les espoirs et les enchantements, dans la souffrance et dans l’extase, et lorsque s’achève l’écoute de ce troisième et somptueux album de SLEEP TOKEN, on n’a qu’une envie : retrouver la nuit.

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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