19 mai 2023, 23:59

METALLICA

@ Paris (Stade de France)

Depuis l’annonce de la sortie de « 72 Seasons » et, quasiment dans la foulée, de cette tournée internationale aux pratiques tarifaires certes contestables, METALLICA suscite des polémiques plus extravagantes et démesurées encore qu’à l’accoutumée, sur-enflées par le climat de haine généralisée, de violence verbale banalisée (ou en tout cas pour les lâches retranchés derrière un écran), de frustration, d’ignorance et de bêtise abyssale. 

Oui, avec les années, METALLICA est devenu si gros que l’on devra désormais se contenter de stades pour les apercevoir – comme tous les derniers géants. Sûrement en est-ce fini des Bercy – et peut-être pourraient-ils occasionnellement venir se faire plaisir avec une poignée de concerts intimistes privilégiés. Mais avec l’âge et le besoin vital de se ménager le corps et l’esprit au cours de nouvelles tournées aménagées, l’heure est au confort et à une certaine économie (!), et l’ère des périples pharaoniques du « Black Album » avec des centaines de dates déployées sur plus de deux années complètes est bien révolu. En terme de rythme, l’heure est donc à la pré-retraite – et les quatre Cavaliers de l’Apocalypse ont aujourd’hui bien mérité de telles aisances, au bout d’une incroyable carrière de plus de quarante années. 

Nous laisserons donc aux cyniques le soin de ruminer leurs éternels arguments, nourris par des déceptions parfois légitimes et autres consternations plus ou moins panurgiques, amplifiées par des chapelets d’attaques faciles à l’encontre de nos musiciens et rédigées d’avance, dans le seul but de faire quelques bons mots, de se payer une posture et de gagner ci et là de nouveaux pauvres gars dans leurs rangs. 

En ce qui nous concerne, nous (moi), éternels gens optimistes, un peu candides, enthousiastes et globalement heureux (pas très metal tout ça, j’en conviens), nous appréhendions ces deux soirées des 17 et 19 mai 2023 avec le même entrain habituel. Après tout, ne faudrait-il pas être fou (ou tout simplement stupide) pour dépenser autant et y aller à reculons ? Pour n’y cultiver que cette rancoeur et ses déclinaisons de désillusions post-adolescentes (post-72 saisons donc, restons dans le thème) ? Parce que oui, si vous n’êtes ni fait pour les stades ni sympathisant du grand Capital, il ne fallait pas y aller.

En ce qui concerne notre petite équipe, nous étions déjà très heureux de jouir d’une bonne place en gradins inférieurs, tout juste au-dessus de la voie royale qui pave l’arrivée des gladiateurs dans l’arène – et encore une fois, le ressenti de ces deux soirées (et donc l’expression de ce compte-rendu) est strictement lié à cette même position (avec exactement les mêmes sièges, en S14 rangée 20, vous saurez tout). D’évidence l’appréciation d’un tel concert dans un si grand espace dépend de l’endroit où l’on se trouve : forcément, l’expérience ne sera pas la même si vous êtes arrimés aux barrières devant l’un des pieds de micro de James, que si vous vous retrouvez assis en plein virage dans les gradins supérieurs avec deux pylônes dans votre axe de vision avec le son qui tourne. Oh, et bien sûr il y avait les chanceux munis du sésame pour le snakepit : de toutes manières, ces derniers, aux premières loges, apprécieraient n’importe quoi, qui de James Hetfield en train de réciter des Ave Maria, qui de Robert Trujillo de préparer des burritos ou Lars Ulrich de distribuer des baguettes (pour ne pas dire des pains). 

Et après, au-delà de ces considérations, des frustrations, oui, il allait y en avoir – surtout parmi ceux qui ne pouvaient/voulaient pas assister aux deux soirées d’affilée : parce qu’ils allaient non seulement forcément louper un certain nombre de classiques réputés immanquables, mais aussi de surprises. Rappelons-le, tout le concept de cette tournée baptisée "M72 World Tour : No Repeat Weekend" étant de proposer deux shows radicalement différents pour un public averti. 

Et il n’y eut aucun mensonge dans la publicité.


Bannissons de suite ce qui a le plus impacté le début de chaque soirée : le jour. Hélas l’organisation METALLICA avait choisi de démarrer les hostilités à 20h45, et force est de constater que ce fut bien trop tôt. Certes un mega-concert en stade s’avère radicalement différent d’un show indoor, mais dès l’introduction historique et morriconienne de "The Ecstasy Of Gold" qui fait invariablement dresser les poils chez tout le monde (même chez les imberbes) et chialer les plus endurcis d’entre nous, son effet n’eut pas la même résonance habituelle alors qu’elle irradie d’habitude chaque mètre cube des salles plongées dans le noir. Et si cette scène centrale, géniale, éprouvée depuis 1991 en mode diamond et désormais en size XXL au beau milieu de la pelouse, permet à chacun d’avoir une visibilité optimale, elle n’est jamais aussi bien mise en valeur que par le déploiement d’un light-show littéralement spectaculaire – là où la seule lumière naturelle rendait l’ensemble bien terne, et paradoxalement peu visible. 

La magie de la nuit tombée, associée à l’ingéniosité de cette nouvelle scénographie (ses huits écrans géants circulaires disposés au sommet de tourelles) et de ses mouvements de lights pharamineux, ont enfin fait décoller chaque show, le point de bascule coïncidant peu ou prou avec deux moments précis dans les set-lists respectives – "Fade To Black" (justement), et "Welcome Home (Sanitarium)", chacune en septième position dans la liste des chansons interprétées.

Cette set-list : complémentaire donc et, surtout, miroir. C’est quasiment avec une précision de geek statisticien que le groupe a agencé l’ordre de ses morceaux. Outre ces deux fausses ballades épiques, puissantes et émotionnelles, aussi emblématiques l’une que l’autre d’un certain Âge d’Or, c’est la manière dont se répondent les deux soirées qui participe à en faire un tout cohérent, comme deux parties de game dont la mi-temps durerait 24 heures – et qui ne nécessitait alors aucun rappel, aucune prolongation n’étant possible pour déterminer laquelle était la meilleure.


Les mercredi et vendredi, les concerts ont donc démarré avec "For Whom The Bell Tolls" et "Creeping Death" (avantage... le 19 !), puis la progression dans le répertoire s’est donc opéré comme une partie de ping pong : trois extraits de « Lux Æterna » aux mêmes endroits au cours de la première heure de chaque set, chacun basculant dans la deuxième avec comme pivot récréatif les grands classiques instrumentaux que sont "Orion" et "The Call Of Ktulu" (eux maladroitement choisis en ouverture des gigs d’Amsterdam). Ballades et titres heavy de l’ère « Black Album » en suivant ("Nothing Else Matters" + "Sad But True" le 17, "The Unforgiven" et "Wherever I May Roam" le surlendemain) ; grands moments de viriles bourrinades thrash en treizième position avec "Blackened" et "Battery", comme une compétition de BPM... Après une double salve de bourrasques pour caler l’ambiance, le ton, et l’étalage en grande dignité de la forme physique des sexagénaires en début de sets ("Ride The Lightning" / "Holier Than Thou" puis "Harvester Of Sorrow" / "Cyanide" le 19), c’est à des raretés délicieusement exhumées que les connaisseurs ont pu apprécier : "I Disappear" (tiré de la bande originale de Mission: Impossible 2) et de "King Nothing", extrait de « Load » en 1996 – nombreux étant les fans repentis et sages qui ont enfin réhabilité ce chef d’oeuvre mésestimé, et qui en attendaient par conséquent quelques pépites.


En guise de classiques, dans une dernière partie crescendo qui tutoyait les sommets, aucune surprise de voir figurer "Seek & Destroy" (et deux jours après, un "One" d’anthologie à la mise en scène épique où nous avons été complètement transportés sur le front), avant que chaque soirée ne s’achève respectivement avec "Master Of Puppets", et "Enter Sandman". Pas de rappel(s) donc – c’était inutile : pour la somme investie, certes coquette, les fans ont eu droit à 4 heures de concert, réparties en 32 chansons. 

Alors la grande question : quel soir fut le meilleur ? 

Incontestablement le vendredi 19. De tous les avis glanés, entendus et perçus ci est là, au-delà de l’impression personnelle et explicite avec devant soi un Stade aussi enflammé, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute. Malgré un titre de trop du dernier « 72 Seasons » qui a fait retomber l’ambiance et posé un premier bémol ("You Must Burn!" – voire aussi ce "If Darkness Had A Son" qui n’avait guère convaincu en tant que single) ainsi que ce "Cyanide" que personne n’attendait, cette soirée fut mémorable – certains la plaçant déjà auprès des meilleurs shows des Américains dans leur Panthéon personnel. Oui, tout a concouru ce soir à ce que METALLICA confirme son statut de patrons définitifs de la scène, exactement comme ils l’ont prouvé au Hellfest 2022 : par une démonstration de force sans équivoque, après 359 groupes en 7 jours qui n’atteindront jamais cette stature – qu’on le veuille ou non.


Ô ce vendredi saint : un bien meilleur son, si fort et si robuste à défaut d’être parfait, un jeu de lights plus subtil, un Stade tellement mieux rempli (certains angles de vue faisaient de la peine mercredi), un public chaud bouillant bien plus investi qui a répondu comme un seul homme, face à un groupe affamé et complètement remonté. Ulrich, Hetfield, Hammett et Trujillo se sont-ils remis en question après un mercredi soir plus en retenue ? Nous ne savons pas ce qu’il s’est dit et passé entre eux au moment du debriefing, mais entre eux-quatre et la bonne cinquantaine de milliers de fans présents, cela pouvait s’apparenter à une vraie communion – comme nous en avons tant vécues avec ce groupe, qu’il s’agisse du Bataclan en 2003, de San Sebastian en 1992 ou encore, parmi tant d’autres, de Bercy en 2009. 

Si les fans du Snakepit ont, eux, à chaque fois sali leur caleçon en jouissant de cette proximité avec un groupe généreux quoi-qu’on-en-dise (combien d’artistes restent sur scène dix minutes à chaque fois pour remercier leur public, là où tous les autres se faufilent fissa dans leurs loges comme des voleurs), oui le mercredi soir fut un peu plus faible et inégal, tant en intensité, qu’en scénographie (ce faux feu d’artifice virtuel, digne des animations Windows des Gens ???), ainsi qu’en qualité de jeu (si l’on peut vraiment se montrer tolérant avec certaines approximations, l’intro de "The Day That Never Comes", un très bon titre de l’ère « Death Magnetic », fut massacrée par Kirk et bien des plombs sautèrent tant des dents ont grincé. L’ensemble du public n’était pas vraiment dedans et l’échange habituel n’a pas été complètement assouvi, d’un côté comme de l’autre.


Mais ce vendredi 19 mai 2023, dès ce "Creeping Death" tonitruant qui est forcément parvenu à fédérer TOUT le public où qu’il soit placé (le Stade entier a scandé à pleins poumons ces « Die ! Die ! Die ! » au cours du break), il s’est passé ce quelque chose qui, même dans le creuset bétonné d’un Stade pouvant refroidir bien des émotions par cette absence de proximité (là où il peut toutefois en exacerber d’autres en sublimant le spectacle et en décuplant cette sensation de communauté), peut, par sa force émotionnelle, tendre vers un état de Grâce et remplir la mission initiale de chaque concert de METALLICA – en tout cas ici en mission sur notre sol depuis 39 ans.

Et pour conclure, en risquant de répéter ce que j’ai pu placarder sur le mur de mes réseaux sociaux perso : « MESSAGE AUX HATERS : ALLEZ-Y, FAITES MIEUX !!!! ».

Bon courage –

Et pour les autres, rendez-vous ailleurs, ou en 2024 pour de nouvelles aventures.


Photos © Benjamin Delacoux (Portfolio 17 mai) / © Régis Peylet (Portfolio 19 mai)

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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