Lorsqu’on part pour un concert à Paris un dimanche, on s’imagine que les difficultés de circulation seront moindres par rapport aux jours de la semaine. Grossière erreur ! Paris, tout comme la plupart des grandes villes dans le monde, ne dort jamais. Et les galères pour accéder à la capitale se multiplient d’année en année… En chroniqueuse avertie qui vit en campagne, on prend ses dispositions et on part suffisamment tôt, pense-t-on, pour arriver en temps et en heure au concert convoité, en l’occurrence celui des Suédois de SOEN, accompagnés de nos amis de MOLYBARON et des Italiens TERRA dans la belle salle de l’Elysée Montmartre. Donc, près de deux heures après le départ de nos pénates, quand enfin arrivée au parking, on voit s’afficher le mot "complet" en grosses lettres rouges, on se sent pour le moins… dépitée ! Mais, c’est sans compter sur la pugnacité sans faille de la chroniqueuse acharnée qui, à force de tourner dans les rues parisiennes, finit par dénicher une place (gratuite !) entre un bungalow de chantier et une poubelle, puis court rejoindre la station de métro qui la ramènera à la salle du spectacle, à peine 15 minutes avant le début des concerts.
A peine le temps de saluer Gary Kelly, chanteur et guitariste de MOLYBARON sur qui l’on tombe en arrivant, de récupérer l’accréditation presse et de se faufiler, ni vue ni connue, jusqu’à la barrière à laquelle on va s’arrimer pour les 3h30 qui arrivent. La soirée n’affiche malheureusement pas complet, mais la foule est tout de même bien dense. Avec un premier album éponyme sorti en juillet 2022 et une nouvelle version acoustique éditée plus tard, le quatuor italien TERRA a vu le jour en 2014, mais il a fallu 4 années supplémentaire pour voir le groupe prendre sa forme définitive. Tous installés en devant de scène, les musiciens démarrent par une intro percussive et tribale, ultra dynamique et hypnotique, qui va immédiatement donner le ton de leur concert. Polyvalents, les quatre artistes alternent les instruments avec une aisance déconcertante. En effet, le batteur Daniele "Zed" Berretta est également le chanteur principal, Lorenzo "JB" Saponetta s’occupe de la guitare rythmique, des percussions, des chœurs et de la voix saturée, Paolo Luciani de la guitare lead, des percussions, instruments à vents et chœurs, tandis que Stefano Alfonsi est en charge de la basse, des percussions et des chœurs.
En une trentaine de minutes, ils vont faire une démonstration magistrale de leur talent impressionnant. Daniele, charismatique au possible, possède une voix sublime, claire et angélique, et frappe ses toms comme un beau diable, tandis que ses compagnons délivrent une puissance et une musicalité de tous les instants. C’est instinctif, tribal, groovy, mélodique, c’est une musique ancrée aux racines de l’art brut qui s’envole dans les airs tout en nous maintenant fermement au sol. Le groupe a parfaitement choisi son patronyme (TERRA : terre en Italien, mais aussi la Terre) qui reflète au mieux sa musique : un mélange de metal, de rock et d’art primitif, tout aussi captivant pour l’oreille que pour les yeux. En effet, visuellement, le quatuor, dont trois avec des dreadlocks d’une longueur impressionnante, offre une énergie et un univers bien marqués, avec une présence enviable. Prestation sans faille et extrêmement généreuse d’un groupe à découvrir de toute urgence. Le public ne s’y trompe pas et réserve une très belle et bruyante ovation à TERRA. Enorme coup de cœur qui me poussera d’ailleurs à aller me procurer leur disque dont l’étui, en bois, a été fabriqué par les membres du groupe. Chaque pièce est unique ce qui en fait un très bel objet de collection, en plus d’être un régal auditif.
Le changement de plateau ne traine pas : rapidité et efficacité. MOLYBARON, groupe franco-irlandais qu’HARD FORCE suit depuis ses débuts, entre en scène sous les acclamations des spectateurs. En effet, la ville qui a vu naître ses petits est fière de les accueillir à nouveau dans cette salle six ans plus tard (le groupe a effectué le deuxième concert de son histoire en 2017 ici même). Et ils ont bien grandi, les “MOLY boys. Trois albums sous le coude (« Molybaron » - 2017, « The Mutiny » - 2021 et « Something Ominous » - 2023) leurs permettent de proposer une setlist diversifiée offrant un large panel de leur style, unique en son genre. Malgré un temps de jeu de 40 minutes seulement, MOLYBARON emporte sans peine l’adhésion du public, qui plonge tête baissée dans une énergie joyeuse et communicative. Quels progrès réalisés par le groupe ! Les quatre musiciens ont gagné en assurance, ce qui leur confère une belle prestance qui attire les regards. Le son est excellent (il en sera de même tout au long de la soirée), la voix de Gary Kelly n’a jamais sonné aussi juste et forte, sa guitare assurant la rythmique et la dynamique des compos, la basse de Sébastien de Saint-Angel groove à n’en plus finir, Camille Greneron matraque ses toms sans relâche avec une puissance, une précision impeccable et un toucher magique, alors que Florian Soum prouve qu’il a mérité la place qui est devenue la sienne en délivrant des soli superbes et des riffs implacables.
Huit titres au compteur ce soir, dont "Something Ominous", le génial "Set Alight", "Twenty Four Hours", "Animals" et son irrésistible refrain," Breakdown", le déjà classique "Lucifer", le nouveau hit "Vampires" et l’incontournable "Incognito" avec son pogo final jouissif, seul rescapé du premier album. Les musiciens se montrent enjoués et le frontman, très à l’aise, n’hésite pas à exhorter la foule à faire le plus de bruit possible. Suffit de demander : les spectateurs s’époumonent sans s’économiser. Il s’agit sans aucun doute du meilleur concert de MOLYBARON auquel il nous ait été donné d’assister, tant par la qualité du son, par l’énergie déployée que par le professionnalisme des petits qui sont maintenant devenus des Grands. Bravo, mille fois bravo au quatuor pour avoir su évoluer de manière aussi positive, avec un talent, un travail acharné et une volonté qui forcent le respect !
Tout comme pour le changement de plateau précédent, les choses ne traînent pas et les maîtres de la soirée investissent les planches sous les vivas d’un public tout acquis à leur cause. SOEN, dont la popularité va croissant d’année en année, a bien gagné ses galons, avec une discographie jamais prise en défaut et des prestations live de toute beauté. Ce soir, avec l’ambiance exaltée, le charisme des musiciens, le son parfait et l’émotion échangée, est de ces moments qui restent ancrés longtemps en mémoire. Malgré des petits ratages que l’on pardonne aisément (la mauvaise tonalité de Joel Ekelöf sur "Lascivious" et quelques riffs foirés par Cody Lee Ford sur "Martyrs", au demeurant irréprochable sur tous les autres titres), la qualité de la prestation est hautement enthousiasmante et le quintet ne se ménage pas. L’ouverture se fait sur un poème de Dylan Thomas, « Do not go gentle into that good night », immédiatement suivi de "Sincere" au tempo un poil ralenti par rapport à l’album. Mais le deuxième morceau, "Martyrs", redonne vite du dynamisme à ce démarrage qui pouvait sembler un peu poussif, Joel Ekelöf nous gratifiant même d’un final époustouflant sur lequel il tient la dernière note un long moment (fait très appréciable : le frontman utilise un peu moins son prompteur qu’auparavant, même s’il y revient de temps en temps pour certains morceaux). L’ensemble du groupe retrouve ainsi très vite ses marques et attaque la magnifique "Savia" regonflé à bloc.
Le son est puissant et clair et la mise en lumière s’accorde magnifiquement aux diverses ambiances, entre attaques frontales comme avec "Memorial", "Deceiver" ou "Unbreakable", qui voit le public s’égosiller sur le refrain final, ambiances plus feutrées sur "Lascivious", sur laquelle Joel nous invite à danser, ou intimistes comme avec la trop rare "Ideate" issue du premier album, « Cognitive » (2012). Cette chanson est l’occasion pour le bassiste ukrainien Oleksii “Zlatoyar” Kobel de briller par son toucher et sa dextérité. Rejoint sur l’intro par l’excellent Martin Lopez (batterie) qui fait montre d’une sensibilité féline au son de ses percussions ethniques, puis par les deux guitaristes, Cody Lee Ford et Lars Enok Åhlund, et enfin Joel qui dédicace ce moment acoustique hautement émouvant à toutes les récentes victimes des terroristes fanatiques religieux, à toutes les victimes des guerres stupides et insensées que mènent des politiciens véreux, cupides et bouffis d’orgueil, à toutes celles et ceux qui souffrent au quotidien de l’immensité de la bêtise humaine.
Mise en lumière une nouvelle fois de Martin Lopez, batteur magistral aussi discret que flamboyant, qui assène l’intro de "Monarch" avec une puissance remarquable et une précision chirurgicale derrière son impressionnant kit. On sent la ferveur grimper de plusieurs crans dans la fosse et "Fortress", issu du dernier album « Memorial », recueille des acclamations bruyantes. Autre moment profondément émouvant avec la superbe "Illusion" dédiée à Masha Amini, cette jeune étudiante iranienne assassinée l’an dernier par des policiers parce qu’ils jugeaient sa tenue vestimentaire "non conforme". On sent les larmes poindre en assistant à cette interprétation sincère toute en délicatesse de Joel Ekelöf, dont la voix est d’une beauté et d’une puissance saisissantes. SOEN est un groupe qui a toujours défendu les droits humains et dénoncé toutes formes de violence. C’est ensuite au tour du multi-instrumentiste, Lars Enok Åhlund, de briller sur l’intro de "Modesty". Ce musicien incroyable est aussi à l’aise une guitare entre les mains que derrière ses claviers ou aux chœurs. La fin du spectacle approche et Joel invite la foule à chanter avec lui sur l’incontournable "Lotus", joyau de la discographie du groupe sur lequel Cody Lee Ford délivre son inoubliable solo dont la pureté des notes résonne dans l’air comme autant de perles d’espoir. C’est sur ce moment lumineux que le groupe sort de scène sous les applaudissements déchaînés d’un public conquis.
La ferveur est telle que SOEN ne se fait pas prier longtemps pour revenir interpréter les trois derniers morceaux. Le frontman profite de cet instant pour remercier chaleureusement les fans. On le sent véritablement ému, tout comme ses compagnons, dont les sourires éclatants en sont le témoignage. Les cinq artistes enchaînent sur le toujours très efficace "Antagonist", repris en chœur par la foule qui connaît les paroles sur le bout des doigts. Puis vient le vote du public. En effet, le groupe a pris l’habitude sur cette tournée de proposer deux titres aux spectateurs. Joel Ekelöf nous laisse décider entre "Djinn" et "Lunacy", choix cornélien s’il en est car les deux morceaux sont excellents, mais c’est l’admirable "Lunacy" qui remporte l’adhésion de la majorité (même si un petit groupe d’irréductibles dont je fais partie réclamera les deux… en vain !) Cependant, pas de déception, tant cette chanson est bouleversante et l’interprétation qui en est donnée ce soir dépasse de loin les précédentes auxquelles j’ai pu assister. Pour clore en beauté, le groupe nous offre "Violence", un des meilleurs extraits du dernier album, avec son refrain addictif. L’audience déchaînée ovationne le groupe avec force hurlements à s’en déchirer les cordes vocales et applaudissements fournis.
Et compte tenue de la qualité du spectacle, tant émotionnelle qu’auditive et visuelle auquel nous venons d’assister, de la dynamique et de l’équilibre de la setlist proposée, l’enthousiasme passionné récolté par le groupe est largement mérité. Avant de quitter la scène, les cinq musiciens remercient une nouvelle fois les spectateurs et s’adonnent à la rituelle photo de fin de concert. Heureux sont ceux qui réussissent à attraper au vol l’un des médiators distribués par les guitaristes. SOEN vient de délivrer un concert de haute volée, généreux, intense et chaleureux où la dimension humaine et le partage sont les maîtres-mots. C’est une soirée qui restera longtemps gravée en nous grâce à ces trois groupes aux univers bien marqués, différents, certes, mais qui ont délivré des prestations captivantes pleines de fougue, de spontanéité, de sincérité et de justesse. Qu’ils en soient remerciés ! On repart chez soi le cœur léger et les yeux brillants pour une nouvelle semaine de travail, la tête dans les étoiles, loin de la morosité ambiante.
Photos © Axelle Quétier - Portfolio