Autant le dire d’emblée : c’est exactement ce genre de concert-là que l’on considère comme parfait. Comprendre "généreux, appliqué, spontané, ultra énergique", et donc à l’inverse de certaines prestations perçues dernièrement – ou habituellement – comme bavardes, inégales, ennuyeuses, démonstratives, sans âme et surtout affreusement longues. Corey Taylor, pas vraiment un amateur en ce qui concerne l’appropriation et la maîtrise d’une scène, a livré en ce dimanche soir 19 novembre un show exemplaire, et donc d’une longueur idéale : 1h20 rappel compris, mais sans que personne n’y ait rien trouvé à redire tant il a tour à tour cajolé et rudoyé ses fans dans la fournaise du pit.
Personne ou presque n’attendait grand chose du groupe de première partie, OXYMORRONS, une jeune formation new-yorkaise étiquetée "rock fusion" tel qu’on l’entendait jadis – et qui recycle aujourd’hui une attitude old-school à travers une formule faite de punk soft, de pop et de trap-metal selon les règles d’usage. Deee et KI, les deux MC frangins d’origine haïtienne et natifs du Queens, occupent l’espace avec une bonhommie et une bonne humeur communicatives. Si le son est hélas très maigrelet et manquant de relief (on entend très peu la guitare du tout aussi sympathique Jafé), ce qui pêche d’emblée en robustesse est compensé par cet entrain si positif qu’affichent les quatre musiciens, choisis en personne par Corey Taylor pour toute sa tournée – US et européenne. Avec des morceaux comme "Enemy", "Head For The Hills" ou le single "Look Alive", entrecoupés de speeches au flow redoutable (et certainement guère compris par l’assemblée !), la température monte d’un cran au fur et à mesure que les OXYMORRONS se mettent le public dans la poche du baggy, en le faisant participer et en l’agrémentant de refrains aussi simples qu’irrésistibles. Si les Parisiens se sont montrés tour à tour dubitatifs, puis polis, c’est carrément conquis et très enthousiastes qu’ils ont salué nos quatre jeunes punks Afros, tant boostés à la dopamine... qu’à la mélanine.
Trente minutes plus tard, après des musiques d’ambiance très punk hardcore 80’s, le tonitruant "Get Down And Get With It" de SLADE, suivi de l’excellent "Party Time" des méconnus 45-GRAVE font office de première intro, avant que le chanteur, TRÈS attendu, et donc TRÈS acclamé, débarque enfin sur scène après ses musiciens au son de son propre "The Box", dont l’invitation finale « welcome to the show » ouvre littéralement les hostilités. Le théâtre parisien est déjà en effervescence – ça promet pour la suite : cela faisait d’ailleurs un bon moment, toutes proportions gardées, que nous n’avions pas assisté à une telle acclamation de la part d’un public particulièrement surexcité tout au long de la soirée. Radieux, souriant, presque juvénile et à des années lumière du nuage de polémiques qui assombrissent ces jours-ci le freak circus habituel de l’hydre à neuf têtes, l’éternel ado provocateur et bientôt quinquagénaire prend possession des planches du Trianon avec toute la classe et la confiance qu’il irradie, en se montrant à tant de reprises si reconnaissant envers ses fans, dans un perpétuel échange d’admiration et d’amour. Mais point de mièvrerie ici : le set démarre avec "Post Traumatic Blues" en guise de déflagration suffisamment éloquente, faisant trembler les murs, les balcons, et ce plancher plus gondolant que flottant – et qui va même régulièrement se transformer en trampoline géant.
Tout le spectre musical du chanteur sera ainsi passé en revue, par conséquent du plus thrash au plus punk-pop-rock ("We Are The Rest"), en passant par le hard carrément sleaze de "Talk Sick" (très très "It’s So Easy" des GUNS du côté du guitariste Zak Throne) ou des power-ballads parfois plus dark (telles que "Midnight" entre autres), soit un juste reflet de ses humeurs et couleurs musicales déjà explorées sur « CMFT » en 2020 – et sur sa suite parue en septembre dernier. Mais aussi jouissives ses compositions solo soient-elles, l’un des nombreux highlights de la soirée a été précédé d’un savoureux moment suspendu avant qu’il ne s’attarde à présenter ses musiciens, en démarrant par « ...before I forget » (« ...et avant que je n’oublie »). Éructations. Cris - renouvelés : alors qu’il feint d’ignorer la réaction des si nombreux maggots présents ce soir, il réitère son petit effet en enchaînant par un deuxième « oh, and before I forget... », rendant les fans plus dingues encore - lorsqu’ils qu’ils ne succomberont pas à une véritable hystérie collective, fort prévisible, une fois lancé le riff de… "Before I Forget". C’est évidemment lorsque Corey s’amuse à reprendre du SLIPKNOT dans un tel cadre intimiste en club, que l’ambiance, déjà particulièrement chaude, explose le mercure. Si cette version assénée par ses morning dudes n’a toutefois pas la densité habituellement déployée sur les scènes XXL du monde entier, ne boudons pas notre plaisir : entendre un tel morceau du patrimoine du metal des années 2000 relevait ici de l’exceptionnel. Mais avant cette démonstration de force assez redoutable, on avait déjà compris que Corey Taylor ne se contenterait pas seulement de ses deux remarquables album solo : dès la deuxième chanson "Tumult", c’est déjà du côté de chez STONE SOUR que le chanteur protéiforme vient piocher ses morceaux de choix : il emprunte également à son autre groupe le très FOO FIGHTERS "Song #3", ainsi que la bombe à fragmentation "30/30-150" extraite de « Come What(ever) May » enregistré chez Dave Grohl dans ses studios 606 - au même titre que l’ultime ballade "Through Glass", reprise à gorge déployé par un Trianon très en voix. Outre la blague acoustique "SpongeBob SquarePants Theme" expédiée avec dérision en moins d’une minute, il enchaîne avec "Snuff", chanson autrement plus ténébreuse du répertoire de SLIPKNOT.
On note tout au long du set la complicité et l’amitié déployées avec ses frères de scène, et notamment le guitariste Christian Martucci, particulièrement charismatique et remonté, grosse tignasse iroquoise et t-shirt MISFITS aussi bigarré : si l’on n’a pas vu passer le concert tant il était donc frénétique et sans le moindre temps mort, le rappel va achever les fans, incapables d’en redemander davantage, avec ce "Duality" inespéré et si fédérateur. Lors de ses premières tournées en solitaire, tant aux Etats-Unis qu’en Angleterre il y a une bonne douzaine d’années, Corey Taylor était passé maître dans l’Art de reprendre avec sincérité des chansons de groupes qu’il admire : ce soir, après une longue tirade, c’est à BLACK SABBATH qu’il se permet de rendre hommage en guise de dernière salve, en choisissant de surcroît un morceau bien moins évident qu’un "War Pigs" ou qu’un "Paranoid" : s’il a pu forcément décontenancer une frange plus jeune de son public, c’est l’extraordinaire et antique "Fairies Wear Boots", un cru de 1970, que le chanteur et ses potes nous ont offert pour clore cette somptueuse soirée, avant de s’éterniser à saluer leurs fans au son du "Science Fiction/Double Feature" du Rocky Horror Picture Show.
Paris se souviendra longtemps de cette toute première date de Corey Taylor en solo, et les malchanceux qui n’ont pu s’y rendre vont heureusement pouvoir se rattraper : il vient d’annoncer une toute dernière date, exceptionnelle, à son nouveau périple estival européen, soit à L’Olympia le 2 juillet prochain (après une participation au Hellfest ?). Du coup, on y croit aussi très fort.
Photos © Régis Peylet - Portfolio