18 mars 2024, 17:30

UDÅD

Interview Thomas Eriksen


Thomas Eriksen est un musicien aux grandes qualités et si nous le connaissons grâce à MORK, c’est avec un black metal bien plus primitif et bien plus sombre qu’il revient cette année. Ce son si particulier sort directement des tripes d’un nouveau projet solo intitulé UDÅD, et le premier album éponyme devrait ravir les plus extrêmes d’entre vous. Voici la première interview donnée par Thomas Eriksen à ce propos.
 

Salut Thomas. Nous nous sommes déjà entretenus, mais c’était à propos de MORK. Cette fois, c’est un tout nouveau projet que tu nous présentes : UDÅD.
Oui, c’est un peu bizarre d’ailleurs pour moi car tu es ma première interview alors que j’ai enregistré l’album il y a presque un an et demi de cela !

Ah ! Et pourquoi ne sort-il que maintenant alors ?
Eh bien, je l’ai enregistré entre novembre et décembre 2022, mais je n’avais pas de contrat avec une maison de disques pour le sortir. J’ai dû donc le promouvoir auprès des labels. J’en suis arrivé à Peaceville Records et ils m'ont signé, mais il fallait que j'accepte une sortie selon leur planning. Et c’est maintenant ! Alors il faut que je me rafraîchisse un peu la mémoire ! Mais tu sais, si Peaceville ne s’était pas prononcé, je crois que j’aurais sorti l’album moi-même, de façon indépendante.

Parlons un peu de cette nouvelle musique qui semble être le côté sombre de MORK, si l'on peut la présenter ainsi. « Udåd » est un album impressionnant, effrayant même. Est-ce qu’on peut parler d’un retour à l’essentiel, à l’authentique true-black metal à l’état brut ?
Oui, je suis entièrement d’accord. « Udåd » pourrait se traduire par "acte malveillant", donc ça correspond tout à fait.

Qu’est-ce que cela symbolise pour toi ?
D’une part, c’était un nom qui n’a jamais été utilisé, ce qui est important. Et quand j’ai commencé à chercher des noms de groupes, il m’a juste paru naturel et approprié. C’est un nom court de quatre lettres, comme MORK, mais c’est une coïncidence. J’ai imaginé le logo aussi et un de mes amis, qui dessine des pochettes d’albums, l’a rendu un peu plus original. Et en plus, il est lisible ! Très important.

Ce logo est donc quelque chose d’authentique. Est-ce que tout le concept de l’album tourne autour d’une volonté de t’éloigner de la scène actuelle, plus moderne, pour te concentrer sur la base du black metal ?
Lorsque j’ai sorti le premier album de MORK, « Isebakke », j’avais déjà une attirance profonde pour le necro black metal, ce son primitif des vieux catalogues de black. Cet album ressemble à ce que je fais avec UDÅD. Mais MORK a bien sûr évolué au cours des années. Je l’ai laissé faire, je ne suis aucune règle, je ne m’enferme pas dans des cases quand je compose. Je veux par contre qu’il ne ressemble à rien de ce qui existe dans le monde. Car MORK sort d’un esprit libre, créatif, sauvage. Donc chaque album de MORK est un peu différent. Mais UDÅD est quelque chose dont j’ai vraiment eu besoin car cette atmosphère primitive de necro black metal me titille tout le temps. Je ne me lasserai jamais des vieux albums de BURZUM, « Transylvanian Hunger » de DARKTHRONE, de tous ces vieux trucs magnifiques. Si ces chansons avaient été produites différemment, elles n’auraient pas eu la même vibration. J’ai donc ressenti le besoin de creuser plus profondément et de revenir à ce son necro. Et j’ai eu la chance que Peaceville me suive dans cette aventure. Par contre, je n’ai pas créé MORK pour contrebalancer la scène actuelle. J’ai simplement eu besoin de sortir cette musique de moi-même. Quand je l’ai composée, je n’avais aucune attente des fans, des auditeurs, des médias. Je voulais juste que ça sorte. Donc, peu importe si l’album fait un flop commercialement. Je me suis libéré. J’en suis très fier. J’ai obtenu le son que je cherchais vraiment. On ne peut pas l’écouter et dire qu’il ressemble à quelque chose d’autre car il est le mélange de tout ce qui me traverse l’esprit. Ça peut être du BURZUM, du BLACK SABBATH, de la musique country... J’en suis très satisfait !

Tu peux en être fier en effet ! C’est un album minimaliste, mais pas du tout simpliste car en l’écoutant, on a vraiment l’impression que tu y as mis des émotions très personnelles. Même si c’est du pur black metal, très cru, on y décèle énormément de feeling...
Oui, c’est très important pour moi. Mais si je fais du black metal primitif, j’ai besoin de quelques mélodies. Si la musique est seulement laide et pleine de colère, il n’y a pas d’émotions. Et pour moi, le black metal, c’est l’émotion. Le côté minimaliste est très important aussi pour UDÅD. C’est un album très personnel en effet aussi. Le label m’a demandé les paroles pour pouvoir les interpréter, les traduire peut-être, faire des lyric-videos... Mais cette fois, j’ai dit non. Je ne voulais pas leur donner les paroles. Elles sont personnelles et doivent le rester. Les auditeurs doivent simplement se concentrer sur le son, la vibration. Les vocaux sont effectués de telle sorte que de toute façon, tu ne puisses pas vraiment distinguer les mots.
Je dois d’ailleurs te parler un peu de ces lignes vocales qui sont une partie très importante de l’album aussi. Quand j’ai terminé d’écrire la musique, j’ai dû me concentrer sur les paroles et je ne voulais pas chanter comme dans MORK car ça n’aurait eu aucun intérêt. Donc, j’ai essayé quelque chose de complètement différent : je me suis mis debout et j’ai crié de tout le haut de mes poumons. Et sans mentir, la maison tremblait quand je chantais. J’ai dû m’asseoir à la fin de presque chaque phrase car je sortais tout ce que j’avais en moi à chaque fois. C’était même douloureux. Je ne sais pas si je pourrais reproduire ça en live par exemple. Mais c’est sur l’album déjà !

Oui, quand tu chantes, on a l’impression que tu es possédé, comme si tu voulais faire sortir toutes tes tripes ! C’est impressionnant ! Tu disais que c’était douloureux, mais est-ce que tu as eu besoin de travailler ta voix pour arriver à ce résultat, peut-être de manière différente de ce que tu fais avec MORK ?
Je chante depuis de nombreuses années, mais la technique, si on peut l’appeler ainsi, que j’utilise sur cet album est quelque chose que tu ne devrais jamais faire car elle détruit ta voix. Ce n’est pas bon du tout ! Mais j’ai eu besoin de quelque chose de vraiment désespéré et je crois que j’ai réussi. En tous cas, j’ai obtenu le résultat escompté.


Quel était d’ailleurs ton état d’esprit quand tu as écrit l’album ? Tu disais que c’était une façon de faire sortir tout ce que tu avais en toi, mais y a-t-il eu d’autres sources d’inspiration ?
Oui, c’était une période particulière, en hiver 2022, où j’ai vraiment ressenti le besoin de faire cette musique. Tout a commencé quand je suis allé à Bergen pour me faire faire un nouveau tatouage. Je suis allé chez Oyarde Kilinsis, qui a aussi dessiné des pochettes d’albums, notamment de BURZUM. Et nous avons un peu discuté pendant les 8 heures de tatouage, je buvais une bière, le magasin était fermé, c’était seulement elle et moi. Et elle m’a raconté plein d’histoires sur la vieille scène de Bergen, Count Grishnackh... Mais elle m’a dit quelque chose que je ne savais pas. Elle m’a parlé d’un réalisateur de film allemand, Jorg Buttgereit, très undergound, qui a fait ce film morbide au début des années 90 : Der Todesking. C’est un film à propos du suicide. C’est très sombre, morbide, oppressant... Et elle m’a dit que la bande-son de ce film était quelque chose que BURZUM a utilisé sur deux albums. Je pensais qu’il avait écrit les mélodies, mais elles viennent de ce film allemand. J’ai donc eu envie de le constater par moi-même et j’ai regardé le film et j’ai été époustouflé par l’ambiance dégagée. Cela a provoqué chez moi l’envie d’écrire l’album de UDÅD. Ca a été très rapide car si on revient à l’album « Isebakke » de MORK, il a été écrit en une ou deux semaines. Eh bien pour celui-là, ce fut pareil. J’ai écrit une chanson par jour à peu près et ensuite j’allais me balader en forêt, de nuit, avec ce film et la dépression en tête. C’était une atmosphère très particulière, mais très appropriée pour l’album.
On parlait de la pochette de « Udåd » tout à l’heure. Au début, je voulais prendre une capture d’écran de ce film avec mon logo dessus. Et comme je suis un gars poli, j’ai envoyé ma demande à Jorg Buttgereit. Je lui ai parlé de ce nouveau projet de black metal dont personne n’avait encore entendu parler et je lui ai dit que je voudrais vraiment utiliser une image du film pour la pochette de l’album car il avait été pour moi une grande source d’inspiration. Mais malheureusement, il voulait que je lui verse des droits, beaucoup d’argent. Alors j’ai abandonné l’idée. Mais l’album reste un hommage au film et il aura donc quand même un peu de pub. Il aurait pu être mis un peu plus en avant, mais bon... C’est comme ça.

Si on en revient à la musique, les chansons de « Udåd » sont assez longues, la plupart dépassant les 6 minutes. Est-ce que le temps dont tu as besoin pour t’immerger dans chaque titre est celui nécessaire pour que l’auditeur s’imprègne de l’atmosphère ?
Je crois que je tiens ça de BURZUM. Il trouve un riff qui a précisément le bon feeling et le répète indéfiniment. Pour moi, c’est une grande partie de l’expérience black metal. C’est un peu hypnotique et méditatif. Je ne fais plus trop ça avec MORK, qui prend un chemin un peu différent. C’est toujours sombre, c’est toujours du black metal, mais ce n’est plus du black metal primitif.

Et qu’en est-il de la production ? Tu as tout réalisé toi-même ?
Oui, j’ai tout fait tout seul. C’est quelque chose que tout le monde peut faire en fait.

Et en tant que one-man band, tu ne penses donc pas à te produire en live ?
En fait, je n’ai jamais pensé à reproduire l’album avec un groupe, en live. Mais dès que Peaceville a signé le contrat, j’ai eu des offres de la part de festivals ! Le jour même en plus ! Ça m’a donc amené à réfléchir, bien sûr. Pour le moment, je ne sais pas trop. Peut-être dans le futur. Il faut que les gens le demandent et j’y réfléchirai. Je ne sais même pas si je suis capable de reproduire les chansons en live. On verra !

Il y a deux chansons qui se distinguent particulièrement de l’album et dont j’aimerais que l’on parle un peu. La première, c’est "Avgudsdyrker" qui semble être un titre très païen, avec une atmosphère un peu sauvage. Tu peux nous en dire plus ?
C’est pour moi l'une des meilleures chansons de l’album. Je suis très content de l’atmosphère dégagée. Elle est assez mélodique et elle traite de ce que l’on pourrait appeler les dieux d’en-dessous. C’est un titre assez antireligieux, une chanson pleine de colère. J’aime bien sa composition. Je trouve l’intro très bonne et le pont est excellent, avec un ralentissement. C’est un titre qui fonctionne très bien.


​La seconde dont j’aimerais que tu parles est la dernière de l’album, "Antropofagens Hunger", qui est un titre très effrayant et fascinant à la fois !
L’intro et le riff principal sont quelque chose que j’ai largement copié sur un film cannibale des années 70 et d’ailleurs, la chanson parle de cannibalisme. On traite les animaux comme s’ils étaient des moins que rien avec cette industrie de la viande et pour un cannibale, l’Humain est inutile aussi. Il n’est que de la nourriture. J’ai eu un peu le même sentiment qu’avec le film allemand dont on parlait, en regardant celui sur le cannibalisme. C’est la dure réalité primitive des choses. Cela correspond bien à l’humeur générale de l’album. Une atmosphère grave et dangereuse à la fois.

Merci Thomas pour tous ces détails sur ce premier album d’UDÅD...
J’espère que les lecteurs pourront plonger dans cet album et y puiser l’énergie que j’y ai mise ainsi que son état d’esprit. Plonger-vous dans une pièce sombre, la nuit, allumez une bougie et écoutez « Udåd » du début à la fin. Pour les gens fous comme nous qui aimons nous faire du mal avec ces émotions, ce devrait être une bonne expérience. J’espère que les gens apprécieront cette souffrance avec moi. Ce n’est par contre pas un album que les fans de Britney Spears apprécieront !

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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