Cette formation norvégienne a toujours tenu une place à part au sein de la scène metal. Atypique à plus d’un titre, son style n’est pas le plus évident à appréhender pour le commun des mortels, c’est d’ailleurs ce qui fait tout son charme. Prog ? Doom ? Heavy ? Post ? Avant-garde ? Gnè ? Toutes ces étiquettes paraissent superflues tant MADDER MORTEM les broie, malaxe et digère dans un maelstrom sonore insaisissable. Il s’en contrefout aussi, probablement. Car chacun de ses albums, chefs d’œuvre de sensibilité et d’élégance, est un puzzle aux mille pièces disposées en trompe-l’œil. Tourbillon d’émotions allant de la folie furieuse au calme inquiétant en passant par de véritables moments de grâce, le quintet brise les frontières des genres à chacune de ses apparitions. Et ce huitième album, « Old Eyes, New Heart » ne fait pas exception à la règle. Et il aura fallu cinq années, cinq longues années marquées par le deuil (le père de la chanteuse Agnete et son frère Birger Petter, guitariste, est décédé l’année dernière) pour voir le groupe refaire surface. L'abnégation, peut-être, la passion, pour sûr.
J’évoquais donc ces moments de grâce dont seul MADDER MORTEM a le secret. Sa chanteuse, Agnete, y est pour beaucoup. Son timbre de voix, tantôt éraillé, tantôt angélique, ensorcelant, fait le bonheur des amoureux de la différence depuis maintenant plus de 25 ans. Mais l’alchimie ne pourrait fonctionner sans le génie créatif de son frère à la guitare, capable de transformer tout ce qu’il riffe en or. A l’aise dans tous les registres, Birger Petter s’adonne avec dextérité à alterner au sein d’un même morceau une embardée heavy cotoyant une rythmique syncopée... en passant par une partie acoustique plus solennelle. Mais les trois autres compères ne sont pas en reste, avec une mention spéciale pour le batteur Mads Solås présent sur le navire depuis le 1999. Une éternité. Tormod Langøien Moseng, bassiste et Anders Langberg, second préposé aux guitares, apportent eux aussi leur contribution à cet ensemble homogène et délicat. L’alchimie.
Cette fameuse alchimie. Que l’on retrouve une nouvelle fois ici de la première à la dernière minute, que cela soit dans les moments les plus calmes ("On Guard", "Colld Hard Rain", "Long Road") empreints d’une atmosphère propice au recueillement que sur ses accès, relatifs, de fureur ("Unity", "Things I’ll Never Do"). A l'instar de ceux qui portent en eux la richesse et l’originalité dans chaque recoin ("Master Tongue", "Towers"), marque de fabrique que MADDER MORTEM perpétude avec ferveur depuis toujours. Mais s’il ne fallait retenir qu’une seule chose de ce huitième album, cela serait "Here and Now". L’un des plus beaux morceaux écrits par le groupe pour sûr. Une composition d’une sensibilité, on y revient toujours, prompte à tirer une larmichette au métalleux le plus endurci. Où Agnete fait une nouvelle fois des miracles du fin fond de ses cordes vocales, appuyée par une section rythmique d’une justesse absolue. Cela ne se décrit pas, cela se vit.
Ceux d’entre vous qui suivent le groupe, que ce soit depuis ses débuts ou pas, le devinent sans même en avoir écouté une note. Oui, cet album des norvégiens ne fait pas exception à la règle et porte la bande à Agnete toujours plus haut, toujours plus loin, inatteignable par la plupart de ses semblables. Et ce voyage de quarante-huit minutes qu’est « Old eyes, New Heart » est un petit moment de bonheur, trop court comme à chaque fois, qu’il convient d’apprécier sans modération. Un petit moment de bonheur que l’on souhaiterait revivre encore... et encore.