Jeudi 16h. Appel de la rédaction. "Naiko, tu es dispo demain, à l'aube ?"
Vendredi, 13h30, les trois légendes sont attablées devant moi (et accessoirement une poignée de journalistes du monde entier, mais je suis seul au monde !).
Quel est votre plus grand souvenir de ce soir de décembre 2007 ?
Vous avez commencé le concert avec «Good Times Bad Times». Y-a-t-il une raison particulière à ce choix. Résumerait-il finalement la carrière de LED ZEPPELIN ?
(Question de Philippe Manoeuvre) Avez-vous été satisfaits du jeu de Jason Bonham ?
Quelle a été la première chanson que vous ayez joué lors de votre première répétition ?
Plant : «Nous n’avions rien de nouveau (morceau) à jouer, non ?»
Page : «Pas vraiment non, nous faisions ce que nous voulions. Mais l’intensité qui s’en dégageait… La communion de nous quatre, si je puis dire. Ça a été très intense dès le début. La première chose que nous avons joué… Jason a dit que nous avions fait «Houses of the Holy» dans les premières chansons, mais il n’en était pas persuadé… C’était sûrement parce qu’elle allait être une des chansons les plus difficiles à jouer, pour chacun de nous. Ça aurait été un bon échauffement en somme, pour s’y mettre directement. Je crois que nous voulions débuter par celle-là.
Jones : «Jason était génial. Au fur et à mesure que nous parcourions les chansons du répertoire et que les set-lists changeaient, nous nous arrangions pour terminer les titres d’une certaine façon de manière à être raccord avec ce qui allait suivre. Nous jouions un titre et nous nous demandions : «Hmm, comment se termine-t-elle celle-là ?» - Nous regardions Jason qui nous disait : «En 1971 vous la terminiez comme ça, et en 1973 comme ça, etc…». Il a une mémoire quasiment encyclopédique, c’était un réel compliment.»
Plant : «Il détient de bons bootlegs. De bons trucs de BEATLES aussi. C’est une mine d’informations. J’ignore quel groupe il va intégrer à l'avenir… Mais il assure vraiment.»
Y-a-t-il eu un moment pendant le concert de 2007, ou un moment depuis cet évènement, où vous vous êtes dit : «C’était génial, j’aimerais bien le faire à nouveau !» ? Et si c’était le cas, qu’est-ce qu’il vous en a empêchés ?
Quand vous regardez les musiciens, stars d’aujourd’hui, vous dites-vous qu’à votre époque, c’était quand même plus marrant ?
Page : «En ce qui concerne la création de musique et la poursuite d’une carrière sans tomber dans tous les pièges que l’on vous tend aujourd’hui, absolument. Nous n’avions aucune ligne de conduite à suivre ou quoi que ce soit. Nous devions créer de la musique et la promouvoir en donnant des concerts. C’était un processus beaucoup plus simple, et beaucoup plus positif pour les musiciens».
Plant : «A l’époque, il n’y avait pas de vision d’ensemble sur ce que tu faisais de ta carrière, etc… Nous, comme tous les autres groupes qui ont débuté avec nous, personne ne s’attendait à devoir faire plus que… ce que nous faisions déjà. Même s'il s’agissait encore d’enregistrer des disques, on ne parlait pas de ça [en parlant de la conférence de presse] et de ressembler à une bande de sélectionneurs de football en train de donner une interview à la fin d’un match. Les gens que nous rencontrions sur la route étaient plus ou moins… Des brigands en fait. Nous ne faisions que nous amuser, et le concept de se pencher sur une carrière et que l’on te demande de revenir sur ce que tu as dit : «Crois-tu que tu pourrais le refaire ?»… Le truc à propos de ce que nous étions lors de notre apogée, et c’était notre seul but dans notre vie créative, est que nous étions constamment en train de créer. Il y a une heure de cela, nous étions en train de parler de comment est-ce qu'on pourrait se retrouver avec une nouvelle forme de musique ne serait-ce qu’en en modifiant quelques lignes. A l’époque on ne se posait pas la question : «Et qu’est-ce que t’en penses maintenant ?». Ce qui m’inquiétait, c’était de savoir ou non si j’avais fait mes devoirs de français.»
Y-a-t-il eu un moment durant le concert où vous vous êtes dit : « Ça y est, nous y sommes !» ?
Comment avez-vous célébré cet évènement en descendant de scène, il y avait-il un contraste avec la vieille époque ?
Plant : «Je crois que nous nous sommes juste pris dans les bras les uns des autres en lâchant un grand «Pchhhh» de soulagement. Tout le monde nous regardait, histoire de voir ce qui allait se passer. Ça exige énormément de faire tout ça. Il y avait un réel sentiment de camaraderie, l’aboutissement d’une véritable aventure. Comme Jimmy était en train de dire, c’était quasiment insensé que nous n’ayons fait aucun concert pour se rôder ou quoi que ce soit. C’était ça l’échauffement ! C’est d’ailleurs une bonne façon de faire les choses, mais elle comporte aussi ses inconvénients.
Page : «Ensuite, il y a eu une énorme fête… avec beaucoup de célébrités. Ça devait être bien, alors que nous étions en train de planer à l’ether.»
Plant : «Vous pouvez vous en procurer 24h/24 au Marathon sur Chalk Farm Road.»
Arriviez-vous à distinguer des visages dans le public à l’O2 ? Avez-vous aperçu Paul McCartney ou Dave Grohl ?
Page : «Non, je ne me rappelle de personne, à part nous, en train de communiquer avec le public. On m’a dit qu’il y avait trois générations de Presleys dans la salle, c’est quand même quelque chose. Les mecs d’OASIS, parmis d’autres. Mais nous ne pouvions distinguer personne.»
Plant : «Ils étaient dans la catégorie VIP.»
Jones : «Si ils n’étaient pas au premier rang, nous ne pouvions pas les voir.»
Il y a une sorte de magie qui s’opère quand vous jouez ensemble. Retrouvez-vous cette même alchimie chez de nouveaux groupes ?
Jones : «Une grande partie de la musique pop d’aujourd’hui. Les groupes de nos jours ont l’air extrêmement motivés. Tout le monde se met au devant de la scène avec un micro et joue d’une manière très directe, ce que nous n’avons jamais fait. Nous étions plus à travailler ensemble avec une multitude d'accompagnements instrumentaux. En revanche, (notre démarche) c’est quelque chose que personne ne semble pratiquer aujourd’hui. Ça me surprend, mais ça n’a plus l’air de se faire ainsi. De mon point de vue, je ne peux pas vraiment citer de noms.»
Plant : «Je crois que nous nous sommes fait évincer par les COCKNEY REJECTS en 1977 pour avoir duré un peu trop longtemps. Je suis assez emballé par MUMFORD & SONS, parce qu’ils construisent, ils sont pessimistes et optimistes, et ils peuvent pratiquement retourner un public entier, ce qui est fantastique. Il y a aussi pas mal de bon DJs et d’autres choses de ce genre en ce moment, ce qui est très bien.»
Qu’attendez-vous de ce film ? C'est la transmission d'un héritage ou une simple partie de plaisir ?
Page : «En allant directement à la fin de votre question, oui, il va faire partie de notre héritage, parce que c’est ce que nous avions entrepris de faire sur une journée. En revanche, ce qui doit être souligné ici, c'est que lorsque nous avons envisagé de jouer à l’O2, il n'y avait pas d'intention initiale d'y tourner un DVD, ou un film ou quoi que ce soit. C’est juste qu'avec tout le matériel déployé derrière nous et l'excellent travail que Dick Carruthers était en train de faire, il nous est paru évident de l’enregistrer. De plus, ne l’oublions pas, nous n’avons fait qu’un concert, nous ne savions pas si nous allions assister à un festival de fautes et de pains, mais au moins nous avions la possibilité l’enregistrer, même si c’était pour le garder dans notre collection personnelle, pour notre propre divertissement. Ce n’était pas l’idée première d’en faire un DVD… Mais c’est ce que c’est désormais, et je suis heureux de voir que cela vous plaît à tous.
La performance a-t-elle été modifié en studio ?
Plant : «On ne va pas vous le dire ! Espèce d’insolent ! Nous étions parfaits !
Je crois qu’ils ont dû modifier la ligne de chant à la fin de «Kashmir» en toute honnêteté, parce que j’ai manqué d’air. »
Page : «Si il y a eu quelques retouches, il s’agirait du strict minimum comparé à ce que d’autres peuvent faire. Le concert était tel qu’il est. Il n’y a eu que de petites choses à rectifier, parce que nous avons bien assuré du premier coup.»
Qu’est-ce que le blues et le rock ’n’roll signifie pour vous aujourd’hui, comparé à il y a 30 ou 40 ?
Page : «En ce qui concerne les tout débuts du blues et du rock ’n’ roll/rockabilly de mes années adolescentes, je peux toujours l’écouter et prendre un plaisir fou, encore aujourd’hui. En revanche, depuis cette époque, je pense que chacun de nous a développé des goûts plus ou moins éclectiques. Mais évidemment, et en ce qui me concerne, c’est la musique que j’écoutais quand j’avais 12 ou 13 ans qui m’a séduit… Et elle a fait un bon boulot.»
Plant : «En parlant de blues, de country blues… Un nombre conséquent de portes s’est ouvert ces 40 dernières années, permettant l’accès à des chanteurs comme King Solomon Hill, et d’autres gars fantastiques du Delta qui n’ont peut-être fait que 4 ou 5 disques, mais qui ont totalement posé les bases pour les autres. Willie Brown, à propos de qui Robert Johnson chante dans «CrossRoad Blues», je crois qu’il n’a enregistré que 5 ou 6 disques et il était bon, mais c’était le jeu, un nombre incalculable de musique était aussi jouée à côté du blues. Robert Johnson jouait de tout. Les références à ces vieux musiciens sont comme une maison spirituelle pour moi. Encore aujourd’hui je suis toujours ému par ce qu’ils ont vécu, leurs aspirations et ce qu’était leur monde. C’est vraiment intouchable, car comme nous, ils venaient d’un autre temps. Nous sommes aussi d'une autre époque, comme vous avez pu le voir ce matin [dans le film]. Donc le blues et le rock ’n’ roll pour moi, c’est toujours une part de ce qui me fait vivre aujourd’hui.»
John, souhaites tu terminer avec un commentaire là-dessus ?
Jones : «Le blues et le rock ’n’ roll est une part de ce qui le fait vivre aujourd’hui… J’adore aussi.»
(remerciements à Hugo Tessier pour sa contribution essentielle).