5 juin 2024, 18:32

EVERGREY

"Theories Of Emptiness"

Album : Theories Of Emptiness

EVERGREY est un groupe prolifique et constant. L’écoute d’un album des Suédois ne déçoit jamais. Le seul reproche que l’on pourrait leur faire, c’est qu’ils peinent parfois à nous surprendre, appliquant toujours la même recette à leurs compositions. Or, pour ce quatorzième album, les filous se font un malin plaisir à nous faire mentir. Et ce n’est pas pour nous déplaire. « Theories Of Emptiness » est, de ce fait, particulièrement novateur. Certes, on y retrouve la marque habituelle du groupe, mélancolie, mélodicité, cavalcades rythmiques et profondeur des textes en tête, mais ce disque contient également des éléments surprenants qui ajoutent un plus non négligeable à l’attrait du metal progressif du groupe.

Histoire de ne pas déstabiliser l’auditeur de suite, on commence cependant par "Falling From The Sun", morceau typique du répertoire d’EVERGREY, rapide et percutant, présenté comme la suite de l’excellent "Ominous", issu de l’album précédent, « A Heartless Portrait (The Orphean Testament) » (chronique ici). Si l’on se base sur les paroles, ce qui relie les deux chansons est cet éternel combat entre obscurité et lumière, cette lutte infinie entre la part d’ombre et le rêve d’atteindre la clarté du soleil, et c’est aussi cette volonté de ne jamais baisser les bras, quels que soient les obstacles qui se dressent sur la route : « Paint your skies with hopes and drown what kills your dreams / And no matter how hard it seems / Keep on dreaming don’t stop believing / Don’t stop believing or noone can save us » (« Peins ton ciel avec des espoirs et noie ce qui tue tes rêves / Et peu importe à quel point cela semble difficile / Continue de rêver, n'arrête pas de croire  / N'arrête pas de croire ou personne ne pourra nous sauver »). "Misfortune" est un titre entrainant et combatif qui fera mouche en concert avec ses « Oh oh oh oh, oh oh oh ».

S’ensuit le très lourd et agressif "To Become Someone Else", avec son pont fait de nappes de claviers inquiétantes signées Rikard Zander, qui donnent l’impression d’être branché à un réanimateur, la vie en suspens : « If I cut my loss right now and I’ll become someone else / Then I wish this was the end of this endless night » (« Si j'arrête tout de suite et que je deviens quelqu'un d'autre / Alors je souhaite que ce soit la fin de cette nuit sans fin »). Les guitares (Tom S. Englund et Henrik Danhage) et la rythmique (Johan Niemann - basse et Jonas Ekdahl - batterie) sont plombées, comme une colère rentrée, grondante. On admire le travail des musiciens dont chacun apporte sa pierre à l’édifice, mettant en valeur les mélodies et la voix charismatique de Tom.

"Say" fait aussi partie des belles surprises de ce nouvel opus. Le morceau est vif, le refrain particulièrement savoureux et la mélodie aux claviers est aussi accrocheuse qu’émouvante. Choisie fort judicieusement comme second single, la chanson est accompagnée d’une vidéo dont la fin est particulièrement explicite. On y voit en effet Jonas, batteur du groupe depuis 2003, hormis une pause entre 2010 et 2014, remercier les fans face caméra puis partir dans un flou artistique, nous laissant nous-mêmes dans un flou… beaucoup moins artistique ! Une manière élégante d’annoncer que le batteur quitte le groupe pour se consacrer à la production, ce qui a été officialisé quelques jours plus tard, mais également une annonce déchirante, tant la personnalité du jeune homme, sa frappe redoutable et son art de la composition vont cruellement manquer aux fans ! (Effectivement, Jonas était non seulement le batteur, mais aussi le cocompositeur et coproducteur avec Tom Englund. Retrouvez l’interview qu’il nous avait accordée en 2022 ici).

Après ce moment émouvant vient un autre passage poignant avec la sublime ballade "Ghost Of My Hero", sur laquelle la voix unique de Tom Englund prend toute sa dimension évocatrice, sensible et mélancolique qui touche droit au cœur, accompagnée d’une orchestration épique et de mots intimes et touchants : « This is what’s left of me I’m not gonna hide it / You’re still much a part of me and I won’t fight it / And all that I’m left with here is this violence / This is what’s left of me / I’m going silent. » (« C'est ce qu'il reste de moi, je ne vais pas le cacher / Tu es toujours une partie de moi et je ne vais pas le combattre / Et tout ce qu'il me reste, c'est cette violence / C'est ce qu'il reste de moi / Je me fais silencieux. »). Où es-tu, celui que je rêvais d’être, ombre mouvante d’un passé irréversible ? Ou l’impossibilité de faire marche arrière et de refaire ce qui a déjà été fait, quelle qu’ait été la situation. Le contraste est d’autant plus marquant avec le morceau suivant, "We Are The North", puissant, heavy et vindicatif. Claviers menaçants, riffs agressifs, voix rageuse et superbe solo de guitare. Le constat d’une société incapable de se remettre en cause, de renouveler profondément et qui répète inlassablement les mêmes erreurs. Portrait noir mais réaliste d’une humanité à la dérive.

A l’opposé, "One Heart" prouve qu’il existe une étincelle, qu’il suffit de raviver pour en faire un brasier de joie. Ce morceau est exaltant, mariant une énergie ultra positive, un rythme dansant, des guitares incisives et des chœurs puissants, assurés par les fans ayant répondu à l’appel du groupe pour participer à l’enregistrement fin 2023. Le rendu est tout bonnement formidable et fait de ce “One Heart” un hymne à gueuler à pleins poumons et sans nul doute un futur incontournable des setlists d’EVERGREY. Une vraie réussite et un très gros coup de cœur ! Le ton général reste lumineux avec "The Night Within", qui, contrairement à ce que son titre pourrait laisser croire, exhale un élan positif, optimiste et généreux. Parenthèse de légèreté avant le morceau le plus prenant et menaçant de l’album. "Cold Dreams" possède une ambiance pesante, angoissante, un ton violent et hargneux, mais allégé par de belles envolées aériennes, dues aux chœurs assurés par Salina Englund, la fille aînée du vocaliste, et par un superbe solo de guitare. On atteint un équilibre parfait entre clarté et obscurité avec une belle complexité toute progressive pour cette chanson, la plus intense et innovante de l’album, en duo avec Jonas Renske (KATATONIA) dont la voix se marie à merveille à celle de Tom. Elle s’achève sur des notes de piano suspendues dans le temps. Sublime !

"Our Way Through Silence" s’avère délicate et mélodique à souhait et emporte l’adhésion grâce à un refrain ô combien lyrique et accrocheur et un texte sombre qui évoquent l’immensité de territoires infinis, l’immensité de la vie. Mais aussi l’immensité du vide. Ce vide bénéfique et salutaire qui n’est pas à craindre, mais se découvre vierge, telle une page blanche, prête à recueillir les premières traces d’un à venir. Un nouveau chapitre, une nouvelle étape de vie. C’est aussi le propos de "A Theory Of Emptiness", la dernière pièce de l’album, une ode poétique récitée par une voix féminine, accompagnée par le piano délicat de Rikard Zander. « Emptiness is something I’ve noticed is a great source of beauty and happiness. In whichever way you look there’s nothing between you and infinity in all directions. » (« J'ai remarqué que le vide est une grande source de beauté et de bonheur. De quelque côté que vous regardiez, il n'y a rien entre vous et l'infini dans toutes les directions. »)   

Lorsque le vide se fait, que les bribes du passé disparaissent dans le puits de l’oubli et laissent place à la liberté d’être, aucune barrière ne peut alors se dresser sur le chemin que l’on s’est choisi. Ainsi, ce quatorzième album marque la fin d’un cycle pour EVERGREY, mais aussi le début d’une nouvelle ère et, au vu de la qualité constante des compositions, de leur puissance évocatrice, de la volonté des Suédois d’évoluer et de se réinventer sans cesse, on ne peut que leur souhaiter de remporter un succès mérité, et encore de belles années radieuses devant eux. Ce ne serait que justice.

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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