26 mai 2024, 23:59

Bruce Dickinson

@ Paris (L'Olympia)


Si au cours des années 90 les irréductibles fans d’IRON MAIDEN et donc du chanteur en solo ont pu aller applaudir Bruce Dickinson à de nombreuses reprises dans l’intimité de petites salles comme l’Elysée Montmartre à Paris (bien quatre fois depuis 1990), voire même à l’Arapaho (!) sur la tournée "Balls To Picasso" en 1995, cela faisait plus de vingt-cinq ans que l’on n’avait pas pu le voir dans une telle configuration – à l’exception d’un Trianon en 2020, date à laquelle il s’était déplacé pour ne se livrer qu’à ses confidences, anecdotes, et autres questions-réponses seul face à son public. Depuis 1998, il s’est donc passé un paquet de choses du côté de chez Bruce, à commencer par son retour très médiatisé dans un IRON MAIDEN devenu dès lors plus important encore depuis deux décennies qu’il ne l’avait été dans les années 80. La suprématie du groupe est telle aujourd’hui que pouvoir aller voir Bruce Dickinson en chair et en os à l’Olympia en 2024 relève de l’exceptionnel – d’autant que sa carrière solo avait été mise en pause depuis la sortie de « Tyranny Of Souls » en 2005, et que son grand retour avec le savoureux « The Mandrake Project » cette année est accompagné de louanges et d’un très grand intérêt, tant du côté des médias, friands, que du public, extatique.

Après l’avoir vu gesticuler de loin sur la gigantesque scène du PowerTrip à Indio en octobre dernier avec MAIDEN, nous nous retrouvons dans le cadre feutré et cosy du temple du music-hall des Grands Boulevards, 48 heures seulement après le show miraculeux des BLACK CROWES entre les mêmes murs, pour vérifier par nous-mêmes, quasiment les yeux dans les yeux, de l’extraordinaire et quasi-surnaturelle santé du chanteur.

C’est aux alentours de 20h55 que son groupe s’empare de la scène, après une intro empruntée à la série The Invaders. Et joie, c’est avec notre morceau préféré de tout son répertoire solo, "Accident Of Birth", chanson soi-disant à l’origine du concept présent, et qui s’éternise sur ses premières mesures rythmiques, que le chanteur savoure son entrée. D’emblée, le son est colossal, d’une robustesse désarmante, et particulièrement clair – peut-être même un peu "trop" loud : ça y est, l’adage nous frappe et la vieillesse nous terrasse, mais de là où nous nous trouvons, la rangée juste devant la console de mixage en mezzanine, droit devant le volume est cataclysmique sur la durée, frôlant d’un demi-décibel l’inconfort.


L’inconfort est aussi parfois visuel : autant nous régalons-nous de la présence de Tanya O’Callaghan, sculpturale et talentueuse bassiste déjà aperçue chez WHITESNAKE, dont la silhouette féline et athlétique assure sans conteste l’une des meilleures dynamiques du show de la soirée dans des mouvements de dreadlocks colorés, autant le tandem rythmique qu’elle forme avec son batteur est contrasté, tant le californien, Dave Moreno, hired gun convoité chez mille groupes d’intérêt tout relatif, est disgracieux – à faire passer Mikkey Dee pour le regretté Taylor Hawkins. Que dire aussi de l’énigmatique Mistheria, virtuose italien costumé comme chez Disney, clone quasi gothique de Jaz Coleman, préposé à la guitare-synthé rouge ou attelé derrière son arsenal de claviers sur une plateforme symétrique à son collègue balourd de l’autre côté de la scène. Oh, sûr qu’il assure le show lui aussi, d’autant que ses interventions meublent autant la tessiture musicale de la soirée que les deux duettistes de choix qui s’opposent également de part et d’autre, le Suisse Chris Declercq, et le Suédois Philip Naslund, à la présence très remarquée – et bien plus ''rock'n'roll'' que son confrère plus académique.

Et cette scène justement : l’absence de fumigènes accentue la froideur de l’ensemble, les lumières, bien trop sobres et sans éclat particulier, se diluant dans un néant, sans la moindre accroche visuelle ni le moindre mystère photogénique. On a davantage l’impression d’assister à un clinic de professionnels qu’à un concert dont la dimension épique pourrait rester figée dans une éternité de souvenirs s’il y avait ce minimum de part de magie – d’autant que le "petit" écran vidéo, bien calé au centre dans le fond, parait ridicule, figé, et aussi inopportun tant il diffuse sans le moindre intérêt artistique bon nombre de visuels pour la plupart bâclés, datés ou inappropriés. Question scénographie, désolé : on a vu bien mieux – et tant qu’à faire dans le dépouillé, rajoutez donc une bonne dose de paraffine pour jouer sur les couleurs.

Heureusement, notre Bruce est lui dans une forme olympique – jusqu’à ce qu’il se confesse rapidement sur la foutue grippe qui semblerait l’handicaper en terme de chant. Vraiment Bruce ? Même si l’on t’aperçoit te moucher et t’asperger le larynx de sprays toutes les cinq minutes dos au public sur un coin d’estrade, sans réelle pudeur, tu ne nous aurais rien dit, même le fan le plus sourcilleux n’aurait rien vu ni entendu : c’est simple, tu chantes comme le Dieu que tout le monde admire au sein de cette sphère metal qui te hisse au même niveau que l’autre ténor, ton ainé Rob Halford. A 65 ans, aucune note un peu plus perchée, vigoureuse ou trainante ne semble te faire peur – mieux : tu les enchaînes, et en aucun cas tu ne choisis ici la facilité, sur les deux heures sur lesquelles est déployé ce show qui ravit les purs et durs.


Que l’on ne se trompe pas : cet Olympia 2024 est un triomphe. Dès la fin de "Accident Of Birth", donc, Paris est à tes pieds, dans ta nouvelle ville d’adoption – et tout le concert va se maintenir à un très haut niveau de liesse et d’acclamations de la part de tes 2600 disciples inconditionnels, qui scandent ton nom, répètent de toutes leurs fibres la théâtralité de tes moindres mouvements, et chantent (moins bien) chaque note des morceaux de ta déjà prolifique carrière solo – et sans jamais devoir emprunter la moindre béquille du côté de chez IRON MAIDEN ici, merci.

Moins foncièrement amateur de son répertoire solo justement, j’avoue éprouver quelque ennui au cours de certaines chansons un peu trop longues ou sophistiquées à mon goût, d’autant que l’album « The Chemical Wedding » est de loin le plus représenté ce soir, avec pas moins de cinq extraits – mais le public est une nouvelle fois aux anges – ce qui est le principal –, tout particulièrement sur des titres épiques comme "Jerusalem", "The Alchemist" ou "The Tower" joué en rappel (là où j’aurais moi bien apprécié un petit "Bring Your Daughter To The Slaughter" un peu plus rock'n'roll). Toutefois, c’est à travers les sélections du dernier « The Mandrake Project » que je trouve les prestations bien plus convaincantes, l’album étant particulièrement solide, aventureux et accrocheur, se bonifiant même au fur et à mesure de plusieurs mois d’écoute, sublimé par ces versions live – telles "Rain On The Graves", le très cinématographique "Resurrection Men" ou même le single "Afterglow Of Ragnarok", bien plus appréciable même que sur disque. Les moments de grâce s’enchaînent, entre la grandiloquence de morceaux aussi ambitieux et émouvants que "Tears Of The Dragon" ou la fausse ballade "Navigate The Seas Of The Sun", mais également depuis ce grand moment de camaraderie musicale, soit une démonstration collective façon jam-session autour du "Frankenstein", tube instrumental du Edgar Winter Group en 1973, à coups de percussions ou de résonances de thérémine, Dickinson faisant mine de jouer les alchimistes – ou les Jimmy Page d’un soir, catogan gris sous bonnet noir.

A l’instar du catalogue MAIDEN post-« Brave New World », qui n’est pas totalement à l’aise ou familier avec son répertoire solo peut en effet trahir quelques bâillements à répétition – qui contrastent cependant avec la frénésie collective qui aura autant contaminé la fosse que les balcons, la communion étant complète et fébrile partout autour du petit homme dont la voix fait encore hérisser tous les poils.

Nul doute que la soirée du dimanche 26 mai 2024 représentera l’un des sommets dans la vie d’un fan de Bruce Dickinson – pour les autres, cet Olympia restera un souvenir sympathique mais qui, dans un tout autre registre il est vrai, ne saura être comparé à la soirée des frères Robinson deux jours plus tôt.


Photos © Régis Peylet - Portfolio

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK