Septembre 2024, 110 ans après on relance les hostilités générales. Je parle évidemment de la première guerre mondiale, mais c’est uniquement en musique cette fois qu’on va nous la peindre, avec le second album de KANONENFIEBER, « Die Urkatastrophe », ou catastrophe primale. On ne saurait mieux qualifier la boucherie que fut la ''der des der''. Le groupe, allemand rival dans la thématique de ses confrères ukrainiens 1914, chante quant à lui dans sa langue natale, ce qui confère au rendu une texture très réaliste.
''Grossmachtfantasie''. Une voix militariste dans un vieux poste TSF, grondements lointains de machines, comme un écho du détournement que l’on fit de l’industrialisation pour mieux déchirer les corps de 20 millions d’anonymes. Les canons de la rythmique tonnent de mille blasts, c’est le ''Menschenmühle'', le moulin à hommes, les riffs moulinent au propre comme au figuré. Et cette voix hurlante au milieu du no man's land, qui nous harangue et nous interpelle avec ses « deutschland, deutschland, vaterland », c’est Noisy Niemcy le multi-instrumentiste de ce one-man band chaud. Il sait y faire, nous voilà pris aux tripes par des baïonnettes brûlantes.
KANONENFIEBER ou la fièvre des canons. Les ''Sturmtrupp'', ou troupes d’assaut arrivent sur nous en vagues sonores. Prenez le côté martial de RAMMSTEIN, le groupe chante dans la même langue gothique, ajoutez la folie vocale sans limite de CRADLE OF FILTH, et drapez le tout de la théâtralité de GHOST (les membres sont masqués, en réponse à l’anonymat des victimes de la guerre, les représentations live sont de réelles pièces musicales), et vous aurez un assez criant tableau du groupe. On retrouve dans le sillons (sanglant) du disque la puissance que KANONENFIEBER livre sur scène. Ce groupe avance vers la notoriété avec l’assurance d’un panzer.
Les différents tableaux représentent plusieurs aspects du conflit. ''Der Maulwurf'' est plus nuancé, la basse se balance de gauche à droite, la batterie est plus légère, on nous narre la progression laborieuse des rats de tunnels, oubliés pendant des semaines dans les profondeurs, luttant sans relâche dans le but d’atteindre les lignes ennemies pour les faire exploser. Les guitares creusent durement à leur côté, dans l’attente de l’imminence du chaos, de l’ensevelissement de l’arrivée inattendue de l’adversaire surgissant d’une galerie parallèle, l’angoisse dégouline des stalactites érigées dans la glotte de Noisy. L’écoute des compositions de KANONENFIEBER est à l’image de cette chanson, de cette description, l’immersion est totale. ''Lviv zu Lemberg'' est une charge de cavalerie furieuse portée par un black metal épique. On retrouve plus loin le même procédé dans ''Gott mit der Kavallerie'', aux grosses guitares qui sont tels un million de sabots enragés. ''Waffenbrüder'' est empreint de la mélancolie qui berce la fraternité des armes, il oscille entre mélopées nostalgiques et chant électrisé, une dualité symbolisant à merveille le ressenti des camarades piégées dans une atrocité orchestrée par d’autres. Quand on saisit le sentiment intrinsèque sans comprendre la langue on peut affirmer que c’est une incroyable réussite.
Avec une série de battements progressifs, la terre en tremble, surgit ''Panzerhenker'', lutte syncopée d’une batterie qui explose sous les coups des chars anglais, et des riffs qui répondent en retour pour les repousser. Un growl qui a la chaleur du goudron d’été arbitre cette lutte qui voit la victoire de l’homme face à la machine. Un morceau fort, une musique éprouvante de par sa volonté à s’imposer jusqu’au fond de la tranchée. On a bien besoin après ce maelstrom de ''Ritter der Lüfte'', une virée en biplan avec un chevalier du ciel au travers des nuages, pour s’aérer dans tous les sens du terme. Même si le tonnerre rythmique trouble la tranquillité des cieux, les guitares sont plus aériennes.
''Verdun''. Mon dieu, il est l’heure de rappeler la grande boucherie pour des dizaines de milliers d’hommes marionnettes. ''Ausblutungsschlacht'' ou la bataille sanglante. La voix de Noisy hurle d’un dépit de bon aloi, la musique lâche toute sa puissance, en la dosant savamment, KANONENFIEBER réussit le tour de force de restituer l’horreur avec une orchestration à la noirceur épique et poignante. Le black metal y colle à merveille. Après cela toute lutte est vaine. C’est donc en toute logique que retentit l’acoustique ''Als die Waffen Kamen'', mélodieux pour panser les plaies des survivants.
Ce serait facilité de juste déclarer que l’album de KANONENFIEBER est une tuerie. Non, il faut écouter ces compositions magistrales de metal extrême. Quand le musicien se sent concerné par son propos, on le sent jusque dans ces tripes. Ici c’est clairement, ou gravement, le cas. Un groupe émergeant promis à un glorieux avenir.