Le chemin de vie de SEETHER est pavé d’épines prêtes à vous arracher des lambeaux de peau au passage, et s’il y a des roses, elles sont d’un noir de suie. Le cœur de l’ADN du groupe sud-africain mené par le compositeur Shaun Morgan (chant, guitare et également producteur attitré du groupe) est profondément enraciné dans la dépression, le mal-être et la souffrance psychologique. Ce neuvième album, « The Surface Seems So Far », ne fait pas exception à la règle. Bienvenue dans les abysses de l’âme. Attention : personnes fragiles, s’abstenir !
En effet, il faut avoir les pieds bien ancrés au sol et une certaine stabilité émotionnelle pour s’attaquer à un album de SEETHER, sous peine de vite se retrouver tiré par le fond et submergé par des vagues toutes plus noires les unes que les autres, à l’image du personnage sur la pochette. Il est ici question d’affronter ses propres démons et de survivre dans ce monde on ne peut plus hostile. La musique est un exutoire pour Shaun Morgan et sans aucun doute son point d’ancrage dans la vie pour ne pas sombrer. Et pour l’auditeur, cette musique est aussi cathartique et peut, paradoxalement, panser les plaies et évacuer les idées noires. Ainsi, "Judas Mind" ouvre l’album avec un riff lancinant avant d’exploser sur un break des plus agressifs. Si elle évolue peu d’un album à l’autre et que l’on reconnait bien le style du groupe, la structure des chansons est toutefois efficace et les mélodies accrocheuses nous font mordre à l’hameçon. Qualifié de post-grunge, SEETHER est le digne successeur des NIRVANA, PEARL JAM, ALICE IN CHAINS et consorts des années 90. Toujours accompagné de Corey Lowery à la guitare depuis 2019, de Dale Stewart à la basse et aux chœurs et de John Humphrey à la batterie, Shaun Morgan développe sur « The Surface Seems So Far » une facette encore plus sombre de sa personnalité.
Pas de titre aussi marquant sur ce disque, comme "Dangerous" a pu l’être sur le précédent, « Si Vis Pacem, Para Bellum » (2020), ou "I'll Survive" sur « Poison The Parish » (2017) mais une profusion de moments forts, tel ce "Dead On The Vine" à la mélodie irrésistible, "Walls Come Down" au groove entrainant, ou "Lost All Control" à l’ambiance pesante, qui s’insinue dans la cervelle avec ses paroles abruptes qui ne laissent planer aucun doute : « What have I done to myself ? / Now I’m alone /And it feels like I’ve lost all control / I need to go home / And salvage what’s left of my soul. » (« Qu'est-ce que je me suis fait ? / Maintenant je suis seul / Et j'ai l'impression d'avoir perdu tout contrôle / Je dois rentrer à la maison / Et sauver ce qui reste de mon âme. »)
Avec sa voix rocailleuse de plus en plus burinée par les années, et ses cris d’écorché vif, Shaun Morgan nous guide dans le labyrinthe des tourments qui l’habitent, pour tenter d’apercevoir un peu de lumière ("Try To Heal"). Mais elle est bien faiblarde, cette lueur. Difficile de sortir du tunnel dans ces conditions. D’autant que la vie est faite de cycles difficiles à briser et que l’on a tendance à reproduire inlassablement les mêmes schémas ("Same Mistakes"). Les guitares sont saturées, les rythmes sont essentiellement mid-tempo et rampants, quand ils ne sont pas carrément ralentis sur des morceaux façon ballades comme "Beneath The Veil", "Semblance Of Me", "Same Mistakes" ou "Regret", ce qui renforce plus encore cette impression de lourdeur, tel un fardeau que l’on traine derrière soi et dont on n’arrive à se dépêtrer. Le célèbre rocher que Sisyphe doit porter sur son dos, éternellement... La colère, la révolte, la fougue et la rage de la jeunesse, présentes sur les premiers albums du groupe comme « Disclaimer » (2002), « Karma And Effect » (2005) ou « Finding Beauty In Negative Spaces » (2007), ont fait place à une amertume teintée de désespoir, un constat sombre et une image de soi particulièrement dégradée, ainsi que l’on peut s’en apercevoir sur les paroles extrêmement dures de ''Dead On The Vine'' : « No I don't deserve the things that feel good / And I don't behave in the way that I should / These lessons we learned and kept from childhood / Emotionally stunted, I fell where I stood / I tried it before and failed it this time / I felt like a coward that's missing a spine / This moment is fleeting, no love for myself / And I'm the unspoken asshole / So who gets to shake me now / Oh, who gets to cut me down / Oh, who gets to break me / Then pillage and rape me / Then leave me alive somehow » (« Non, je ne mérite pas les choses qui me font du bien / Et je ne me comporte pas comme je le devrais / Ces leçons que nous avons apprises et gardées depuis l'enfance / Émotionnellement rabougri, je suis tombé là où je me tenais / J'ai essayé avant et j'ai échoué cette fois / Je me suis senti comme un lâche à qui il manque une colonne vertébrale /Ce moment est éphémère, pas d'amour pour moi / Et je suis le trou du cul taciturne / Alors qui va me secouer maintenant / Oh, qui va m'abattre / Oh, qui va me briser / Puis me piller et me violer / Puis me laisser en vie d'une manière ou d'une autre... »)
Quand la santé mentale vacille, que l’envie de se battre disparait, on baisse les bras. On se dit que finalement, les années passent mais rien ne change vraiment. Or rien ne changera si l’on ne prend pas conscience que cette étincelle de changement doit venir de l’intérieur. Le point de vue doit impérativement changer d’angle pour donner une autre perspective du tableau, qui n’est peut-être pas aussi noir que ce que l’on pourrait penser. L’album se referme sur "Regret", belle chanson mélancolique sur laquelle SEETHER montre sa vulnérabilité sans fard. Et ce seul et dernier regret : « I‘ve been the reason love has passed for hate » (« J'ai été la raison pour laquelle l'amour est passé pour de la haine »)
Il se dégage de « The Surface Seems So Far » une tristesse indéniable et poignante, mais la tristesse n’est-elle pas un élément de la vie. Loin du positivisme forcené que l’on nous rabâche à longueur de journée et qui veut nous inciter à croire que « ça va bien se passer », n’est-il pas plus judicieux d’accepter cette tristesse et cette noirceur comme parties intégrantes de la route sinueuse que nous avons à parcourir ? L’une des composantes qui nous fait aussi avancer, grandir, mûrir... Et trouver au bout du compte une certaine forme de paix intérieure, malgré ou plutôt grâce aux obstacles qui se dressent sur cet éprouvant chemin que l’on nomme la vie.