J’attends dans l’ancienne morgue du site minier du 9-9 bis. Ce lieu, devenu le bureau de la directrice, sert de salle d’interviews durant le Tyrant Fest. C’est l’endroit idéal pour parler de black atmosphérique. Après une prestation énergique et malsaine dans l’auditorium, M. (chant/guitare) et Äzh (batterie), le duo fondateur de LUNAR TOMBFIELDS me rejoint. Très vite la complicité entre les deux amis est perceptible.
D’où vient le nom LUNAR TOMBFIELDS ?
M. : Le dernier morceau du EP de VENENUM porte ce titre, et ça correspondait à ce que nous avions en tête. Ce nom représente bien les deux aspexts des thématiques que nous développons. Le côté astral, spirituel, avec cette petite humanité qui regarde l’immensité du ciel. Et bien sûr, la notion de cimetière lié aux répétitions de l’Histoire, aux mêmes choses qui reviennent sans cesse.
Äzh : Le groupe a été formé durant le confinement, quand tout était à l’arrêt. Bon, on a un peu grugé les règles et on se retrouvait dans une voiture. Le ciel était clair, nous étions dans une ambiance particulière qui collait bien à ce nom.
Les astres, le ciel tiennent une grande importance dans vos concepts.
M. : Les astres sont à voir comme une métaphore. Ils symbolisent ce qui est plus grand que l’humanité, comme les croyances, les dieux, le hasard. .
Äzh : Ils nous rappellent à une nécessaire humilité, à la place de l’homme sur la Terre, dans l’univers. Il y a des choses bien plus grandes que nous. C’est essentiellement la thématique du premier album. Ces références restent symboliques : chacun peut y mettre ce qu’il veut, comme l’astrologie, cette impression que les cartes ont été tirées pour nous avant même notre naissance.
M. : Nous ne voulons pas inscrire nos morceaux dans un temps ou un lieu précis.
Vous êtes donc tous les deux d’accord sur les concepts abordés. Vous répartissez-vous l’écriture des textes ?
M. : Je propose le concepts puis nous nous mettons d’accord. Ensuite, j’écris les textes. Rien ne se fait sans l’aval de l’autre.
Et pour la musique ?
M. : Il y a plusieurs temps. J’arrive avec les premières idées puis Äzh les dégrossit avant que nous passions au travail final.
Äzh : M. arrive avec les ossatures , les grandes lignes. Je les digère, les remanie, puis nous travaillons à deux.
M. : C’est comme une pate que nous modelons à deux. Nous avons ou avons eu des groupes avec jusqu’à cinq musiciens et les décisions trainaient en longueur ; la démocratie a ses limites.
Äzh : Bien sûr, nous faisons des concessions. Nous sommes très différents, avec des approches différentes. Nous nous complétons.
Et sur scène, comment jouez-vous avec les musiciens qui vous accompagnent ?
Äzh : Ce sont deux amis qui sont avec nous . Ils jouent dans beaucoup de groupes et savent où se trouve leur place dans LUNAR TOMBFILEDS. Ils bénéficient de quelques libertés, même si elles ne sont pas immenses.
M. : Ça se passe naturellement. C’est confortable de jouer avec eux car nous avons un socle commun.
Äzh : Nous sommes ensemble sur la route et nous vivons des moments sympas ensemble.
À propos de ces moments sur la route, des anecdotes ?
M. : Il y a deux semaines nous sommes passés d’un concert à Barcelone à un autre le lendemain en Belgique après 12 h de route…
Äzh : Il y a eu aussi notre prestation au Forest Fest. Nous avons roulé toute la nuit précédente, dormi deux heures dans le camion pour être sur scène dès 14 heures… et nous avons tout de suite été dedans. Nous avons beaucoup joué, accumulé les dates. Tu sais qu’il y aura toujours des bons concerts… et des lundi soirs, comme quand l’un d’entre nous est malade.
Il y a une grande évolution entre vos deux albums, « The Eternal Harvest » (2022) et « An Arrow To The Sun » (2023) : morceaux plus courts et plus directs, plus agressifs. Mutation aussi au niveau du chant...
M. : Les deux albums reflètent notre état d’esprit au moment où nous les avons créés. Nous avons aussi appris de nos erreurs…
Äzh : Le premier album a été conçu rapidement. Nous avons vite trouvé notre concept, notre identité. Nous n’avons donc pas de recul. Il était plus contemplatif, plus lent, sans doute en raison du confinement. Après cette période, nous avons donné de nombreux concerts, d’où notre envie de plus de dynamisme, d’agressivité. C’est le live qui a donné la direction du deuxième album.
M. : Nous avons donné 30 concerts pour défendre « The eternal harvest » et, dès le dixième, nous jouions des morceaux de « An arrow to the sun ». Mon chant a évolué pour correspondre aux paroles, pour être davantage en accord avec nos goûts respectifs.
Le chant féminin a disparu...
Äzh : Ca ne collait plus.
M. : Je pense qu’il n’y en aura plus, ce ne serait plus cohérent.
Vous alternez maintenant entre français et anglais. Comment choisit-on la langue utilisée pour les paroles ?
M. : J’exprime des choses différentes selon la langue utilisée… qui implique chacune une façon de chanter différente. S’il est plus facile de chanter en anglais, je me mets davantage à nu avec le français, qui me permet de m’exprimer avec plus de précision.
Äzh : Avec le français, il y a une prise de risque car l’auditeur comprend mieux. L’anglais, je trouve, est plus adapté pour retranscrire des idées.
Pensez-vous qu’un support est plus adapté qu’un autre pour écouter votre musique ?
M. : Non, le support est neutre.
Äzh : Sans parler des écoutes dématérialisées, le mix et le master sont identiques pour le CD et le vinyle. Dans le travail du son, il n’y a aucune différence.
M. : Notre label, Les acteurs de l’ombre, a sorti directement les deux formats, comme pour tous ses groupes.
Même si l’auteur de l’artwork des deux albums n’est pas le même, le style est similaire...
M. : Denis Forkas, dont une œuvre illustre « The eternal harvest », est un peintre que j’apprécie. La peinture existait déjà. Etant russe, il n’était pas disponible pour travailler sur « An arrow to the sun ». Sözo Tozö, dont j’avais vu passer des créations sur les réseaux, a réalisé notre deuxième pochette. Elle réalise des peintures à l’huile… et adore Denis Forkas. Nous avons élaboré un cahier des charges et elle a compris ce que nous voulions. En trois ou quatre échanges de mail c’était fait.
Äzh : Il y a une évolution dans l’atmosphère des pochettes qui correspond à celle de la musique. La première est plus éthérée quand la seconde est plus dynamique, avec plus de force et des couleurs chatoyantes.
Pas de clip prévu pour présenter l’un de vos morceaux ?
M. : J’ai beaucoup de mal avec les clips. Je préfère laisser les auditeurs entrer par eux-mêmes dans notre musique.
Äzh : Nous ne faisons pas de la musique pour YouTube, je n’ai pas envie que nous soyons là-dessus.
Un album live vous tenterait-il ?
Äzh : C’est vrai que nous sonnons différemment en live que sur album, l’interprétation est différente.
M. : Pourquoi pas… Si une scène s’y prêtait, éventuellement, mais ce n’est pas un projet.
Äzh : Ce serait dans un format spécial, dans un cadre limité.
Jusqu’où pensez-vous pouvoir aller avec LUNAR TOMBFIELDS ?
M. : Le groupe est avant tout une passion. Il n’a pas été conçu dans une fin mercantile. Tant que nous avons les capacités, la possibilité de faire notre musique.
Äzh : Nous voulons être sur la route, faire de bons concerts car, en tant que jeune groupe, nous devons nous faire connaître…
M. : …Sans pour autant faire 200 dates par an.
Äzh : Nous avons envie de jouer avec des groupes que nous aimons, comme PRIMORDIAL, ENSLAVED ou BÔLZER, devant un public. Nous souhaitons sortir de la bonne musique...
M. : …Sans limite de style, juste conforme à notre vision.
Äzh : Nous sommes à un moment charnière dans le black. Je trouve qu’il a beaucoup de formations commerciales, ce qui me fait chier. Dans les groupes émergents, je perçois de moins en moins de sincérité, des visées plus mercantiles. L’esprit underground se perd…
M. : Nous ne voulons pas trahir nos valeurs.
Äzh : Prendre plus de thunes, ce n’est pas notre objectif. Nous voulons juste faire de la bonne musique dans de bonnes conditions.
Et dans l’immédiat, quelle est la suite de l’aventure LUNAR TOMBFIELDS ?
M. : Nous avons commencé à travailler sur le troisième album. Nous avons le nom, le concept, quelques maquettes.
Äzh : Nous avons toutefois des choses à faire avant de nous y atteler complètement.
M. : Nous avons encore six mois de promotion pour « An arrow to the sun ». De toute façon, ce n’est pas une course. Nous n’avons pas envie d’aller vite. Rien ne presse, nous n’avons pas de deadline.