Bon, je vous préviens, les rares photos qui illustrent cette chronique ne rendent pas justice aux musiciens de cette soirée. Il faut dire que j’ai été copieusement lâché par mon équipe, préférant d’un côté commémorer les 40 ans de DREAM THEATER et de l’autre pleurer la révérence tirée par SUM41. Rude concurrence frontale, un soir de week-end à Paris…
Certains n’hésitent d’ailleurs pas à prédire que c’est un avant-goût et que les temps à venir nous réservent de plus en plus de dilemmes.
Donc, voilà, du smartphone, c’est pas terrible, c’est juste pour habiller le texte… mais ce n’est pas l’essentiel.
Samedi, il faisait bon profiter d’une salle calibrée pour ressentir la proximité des artistes et les voir sans être obligés de plisser les yeux.
Je vous avoue qu’ayant toujours été sensible aux outsiders, je m’étais un peu plus déplacé pour CARDINAL BLACK, jamais produit en France, que pour Myles, vu sous toutes les coutures avec ALTER BRIDGE, Slash, en solo… et même en tête à tête acoustique lors de trois rencontres pour METALXS.
Un élan de motivation supplémentaire pour apprécier “en vrai” le fameux Chris Buck, qui m’est apparu un jour au fil d’un scroll sur Instagram, révélation immédiate d’un guitariste pas banal surgi de nulle part.
Pas banal ? Exceptionnel, plutôt !
On peut être séduit par sa technique et cela suffirait déjà - accrochez-vous à sa maîtrise de la main droite - mais que dire également de toutes les subtilités de son jeu où l’attaque est toujours contenue et la finesse explosive, en rythmique comme en solo.
Pas étonnant il y a une dizaine d’années, que ce gamin de 21 ans déjà en pleine possession de son instrument ait tapé dans l’oeil d’Alan Niven, le manager originel de GUNS N’ ROSES, qui l’avait pris sous son aile.
Faux-départ malheureusement en guise de début de carrière, mais la persévérance porte enfin ses fruits. Il était temps.
Bref, revenons à ce 23 novembre 2024 : après un petit quart d’heure de retard, la turbine des Gallois se met à chauffer dès le premier titre, le single “Tell Me How It Feels” avec une cohésion parfaite de la section rythmique, un bassiste fait de swing et de précision (Sam Williams), un batteur habité (Adam Roberts), un claviériste aux sonorités du meilleur des 60s et 70s toujours en soutien (Michael Blanchfield) et la présence de Tom Hollister au chant, barbu débonnaire à la voix soul, chaude et émouvante que seules ces contrées outre-Manche savent produire depuis 60 ans. Le malt, sans doute.
CARDINAL BLACK ne se résume donc pas à Chris Buck, même si personne n’est dupe qu’il incarne depuis quelques années son atout-maître, sans faire offense aux autres membres du groupe.
Ouvrir est toujours la tâche ingrate mais ici, le son est impeccable, les instruments dosés à la perfection… Grâce à Tom, la communication bourrée de simplicité et d’humour s’installe à merveille avec le public qui, disons-le clairement, est d’abord venu pour Myles Kennedy, mais entend savourer ce bon moment sans a priori, puisque CARDINAL BLACK se donne si généreusement. Et pourtant, il y a un parti-pris pas évident avec la présence de quelques mid-tempos dans ce set trop court. Le groupe installe une proposition nuancée, alors qu’en principe, quand on est peu connu, qu’on doit convaincre et qu’on dispose de peu de temps, on privilégie l’esbrouffe. Je ne vous cache pas que s’ils avaient lâché Buck dans la nature une ou deux fois supplémentaires pour qu’il s’embarque dans ses envolées comme sur “Warm Love”, cela n’aurait pas été de refus. Mais c’est une première et, ils nous l’ont promis, ils reviendront.
Pour ce baptême français, en tout cas, le Cabaret Sauvage est la salle parfaitement dimensionnée pour ce répertoire et les vibrations qui s’en sont dégagées. Preuve en est l’ovation finale du public, qui s’est bien chauffé la voix, pour le groupe de Cardiff.
L’entrée en scène de Myles Kennedy est frappante d’humilité.
Sans tambour ni trompette, pas d’attitude conquérante, il esquisse son fameux sourire presque timide face à la salle comble qui l’acclame, saisit sa guitare et c’est seulement là qu’il attaque de manière tonitruante le premier titre de son troisième album solo, “The Art of Letting Go”.
Nous, forcément, on est là pour le suivre et lâcher prise. En fait, ce titre résume à lui seul 80% du show.
La robustesse du trio, tout d’abord avec l’impeccable Tim Tournier à la basse (dont la double casquette est d’être aussi manager d’ALTER BRIDGE, situation peu courante pour être soulignée) et Zia Uddin, le batteur et fidèle parmi les fidèles puisqu’il connaît Myles depuis toujours, ayant partagé avec lui les premières aventures balbutiantes dans BITTERSWEET et surtout l’excellent THE MAYFIELD FOUR à la fin des années 90.
C’est un vrai band of brothers où chacun peut compter sur l’autre comme sur lui-même. On le voit d’ailleurs dès le second titre, “Nothing More to Gain” lorsque Myles et Zia, partis devant, s’aperçoivent qu’ils ont perdu Tim en chemin et attendent qu’il ait soigneusement accordé sa basse pour redémarrer leur intro. Le chanteur s’en amuse : “Ça nous permet de vous prouver qu’on ne joue pas en playback”. Qui en aurait douté ?
Cet “incident” me permet de faire un petit aparté pour tous ceux qui ne se trouvaient pas comme moi à l’extrême-gauche de la scène, c’est-à-dire juste à côté des guitares soigneusement alignées. L’exercice est périlleux pour les deux techs guitare/basse, car l’accordage est presque différent à chaque chanson et cela donne une effervescence d’allers-retours d’instruments nécessitant la plus grande des vigilances. L’assistant de Tim en fera les frais, s’emmêlant les pinceaux en lui faisant changer deux fois de basse avant de trouver la bonne au début de “Saving Face”. Sans doute aussi parce que Myles a décidé d’alterner subtilement les set-lists d’une soirée à l’autre, n’interprétant pas par exemple “Tell It Like It Is” à Paris au profit de “Saving Face” et jouant sa reprise acoustique de “The Trooper” d’IRON MAIDEN au lieu de “Haunted By Design”, ou “All Ends Well” et “Lover” seuls titres ponctuels de la tournée qu’il emprunte actuellement à ALTER BRIDGE.
C’est la deuxième fois que Myles se produit au Cabaret Sauvage et ce sont deux approches radicalement différentes entre le show de 2018, où la moitié du concert était constituée de reprises (Slash, ALTER BRIDGE, THE MAYFIELD FOUR, Robert Johnson et déjà l’adaptation de MAIDEN) et l’autre à l’album “Year of The Tiger” et cette nouvelle date qui repose plus équitablement sur ses propres compositions des trois albums solo.
Myles joue les équilibristes entre le chant, la rythmique et les parties solistes avec étoffe et maîtrise mais surtout, il s’éclate… parce qu’il respire : il n’est pas une composante au sein d’un groupe, il ne partage pas l’espace avec l’icône au chapeau haut de forme, il ne concède pas les solos les plus flamboyants à son pote Tremonti. Non, il est le boss et c’est SON moment.
Et puis, il nous l’avait confié en interview, “The Art of Letting Go” a été conçu pour être joué sur scène comme sur l’album, sans rogner sur des arrangements de studio. Pas étonnant qu’il lui consacre la moitié du concert (“The Art of Letting Go”, “Nothing More to Gain”, “Mr. Downside”, “Saving Face”, “Behind the Veil”, “Miss You When You’re Gone” et “Say What You Will”) et que la tonalité soit résolument plus brute. Cela rejaillit d’ailleurs sur le répertoire passé, ré-energisé, comme “Blind Faith” ou encore “Devil on The Wall” et le formidable “Year of The Tiger”, classique de son répertoire. Avec, toujours et encore, la plus solide des bases rythmiques pour l’épauler dans la grande tradition des fameusement nommés power-trios.
Une salle acquise à Myles, évidemment, mais un musicien particulièrement inspiré et heureux d’être là qui donne au change et qui rappelle ce soir, si nécessaire, qu’il est l’une des grandes voix mélodiques du rock de ces dernières décennies, l’un des artistes les plus prolifiques aussi avec tous ses projets menés de front et un guitariste hors-pair trop souvent dans l’ombre des autres. Myles trouve dans cette carrière solo la bouffée d’épanouissement rêvée pour poursuivre le reste du temps ses activités sans aucune frustration et cocher toutes les cases.
Au-delà du plaisir de l'instant, c’est le grand enseignement de cette date parisienne.