27 décembre 2024, 17:11

BODY COUNT

Interview Ernie C.


Si vous nous demandez de choisir un musicien de la mouvance metal ayant été sous-estimé durant toute sa carrière, nous hésiterons probablement longtemps avant de répondre, mais Ernie C. de BODY COUNT ferait partie des réponses potentielles. Capable de tartiner du riff marécageux ou de vous faire remuer le popotin avec sa science de la six cordes métalliquement funky. Ern’ c’est une sorte d’excellence bizarroïde, unique, et sûrement due à un parcours durant lequel il n’a jamais vraiment pris le temps de s’arrêter. Il vient aujourd’hui nous parler de « Merciless », dernier rejeton de son groupe BODY COUNT, toujours emmené par un Ice-T terriblement sulfureux mais définitivement efficace. Entretien avec un guitariste pas comme les autres, qui continue de se renouveler, et qui n’a jamais eu aussi faim.
 

Bonjour Ernie. Tout d’abord, je tenais à te féliciter pour tes quatorze ans de sobriété. Je vois que tu as célébré cela ce matin...
Ernie C : Merci beaucoup ! Figure-toi que j'ai discuté avec Randy Blythe (LAMB OF GOD) juste avant que tu ne m’appelles. Il a été le premier à me féliciter ce matin. C’est incroyable d’en être là. « Merciless » est le troisième ou quatrième disque du Ernie sobre. Je vis vraiment les meilleures années de ma vie et j’adore ça. En plus, je n’ai plus à me soucier de la casquette de producteur. Je peux simplement jouer de la guitare, et ne penser à rien d’autre ! Mais j’imagine qu’on va en parler... (rires)

Comment trouves-tu toujours le feu sacré après tant d’années à jouer ?
J’ai toujours soif d’apprendre. Tout simplement. Tu sais que je passe mes journées sur YouTube à regarder ce que font les jeunes ? (ndr : il éclate de rire). Mec, ils ont dix mille doigts ! Moi j’en ai que dix. Je ne comprends pas ce qu’il se passe la plupart du temps, mais j’y travaille ! Je crois que les gamins reviennent vers quelque chose de plus old-school. Comme tu le sais, Will Putney produit nos disques également, et il nous guide aussi vers des directions que je retrouve dans ces tutoriels YouTube que je suis assidûment. Il y a un retour en grâce du metal, je le sens... Les gosses veulent retourner vers quelque chose d’old-school, retravailler et faire avancer des sonorités qu’on entendait dans les années 90. 

Je t’avoue que j’ai un peu de mal à y croire, une année sur deux l’avis des gens semble changer sur cette question...
Tu sais, c’est connu mais le metal est un superbe exutoire. Je ne crois pas que ce soit très sain d’évacuer sa colère et d'assister à la chute du monde en écoutant du Justin Bieber, surtout pas par les temps qui courent. Nous allons avoir besoin du metal. 

On entend parler de « Merciless » depuis 2022, nous avons failli ne plus y croire !
(rires) Disons que la pandémie a fait beaucoup de mal à « Carnivore » (ndr : précédent disque de l’équipe), nous n’avons pas pu tourner pour le promouvoir, mais... On nous a rapidement demandé un nouvel album. C’est là qu’Ice-T entre en scène. Tu sais, je le connais depuis toujours, et il arrive toujours à me surprendre. Le mec commençait déjà à dire dans des interviews ou ailleurs qu’on allait appeler le disque « Merciless » alors qu’on avait pas écrit une seule chanson ! (éclats de rire) Voilà pourquoi tu entends parler de ce disque depuis deux ans, voir plus.

Cela a changé quelque chose à votre méthode de travail ?
Même pas. Tu sais, je n’écris plus tant que ça. Surtout depuis qu’on vit tous dans des villes différentes. Ice écrit, Will Putney écrit, notre boulot c’est de faire en sorte que ça sonne comme du BODY COUNT. 

Il y a quelques années tu expliquais dans une interview que l’opinion d’Ice sur ton travail comptait énormément pour toi. Qu’il rendait ton jeu plus ''digeste''...
Et c’est toujours le cas. Tu sais, je ne joue pas pour les autres, je joue pour moi. La plupart des musiciens jouent pour se faire plaisir. Donc, quand on se pose et qu’on travaille, sérieusement, on peut s’emballer. Parfois, je me retrouve en studio avec Ice et il me regarde en mode : « tu crois pas que t’en fais un peu trop ? » (rires). Ice c’est la voix du public qui calme les ardeurs un peu trop présentes du musicien passionné que je suis. Dès fois, c’est un peu déprimant, mais il a très souvent raison. Puis bon, qui aurait envie d’entendre Ernie C faire du Steve Vai !? 

Si c’est bien fait, je signe !
(rires) Crois moi, tu ne veux pas ça ! Tu sais, je n’ai jamais vraiment ressenti ce besoin que certains peuvent - et légitimement - avoir de faire un projet solo. Je mets tout ce que j’ai dans BODY COUNT. C’est déjà mon projet solo.

« Merciless » est un album où vous laissez beaucoup plus d’espace à vos camarades...
Normal, je ne produis pas le disque ! (ndr : il éclate de rire pour la énième fois) Will Putney, en tant que producteur, se pose beaucoup moins de questions que moi. Avant, j’étais toujours inquiet de prendre trop de place justement, ou pas assez. Il sait doser cela, pourtant il est guitariste aussi, et je trouve que le tout sonne super bien. Je vais laisser passer quelques années pour voir comment l’amour que je porte à « Merciless » évoluera, mais oui, je suis plutôt content. Chaque disque peut être le dernier, arriver à en finir un, c’est prendre le risque de ne pas arriver à en faire un autre. Je ne veux pas avoir de regrets. Je suis fier que nous soyons allés au bout.

Puis, tu es désormais sur un disque où tu partages l’affiche avec David Gilmour...
Qui l’aurait cru hein ? Tu sais qu’à la base, c’était Richie Sambora qui devait être l’invité pour cette reprise de ''Comfortably Numb'' ? 

C’est assez surprenant !
Ice a choisi la chanson, je savais qu’on allait la reprendre sur « Merciless », et il m’avait expliqué : « tu verras la chanson laisse beaucoup de places, tu vas pouvoir tout donner niveau guitares ! » J’étais aux anges ! Puis, on décide que Richie Sambora sera invité pour jouer avec moi là-dessus. Enfin, on envoie le tout aux équipes de Gilmour et là, nouvelle surprise : Il adore ! Il veut jouer dessus ! Le problème étant que maintenant il faut l’aval de Roger Waters et de son équipe. Mec, on l’a eu. C’est la première fois en 25 ans qu’ils se mettent d’accord sur quoique ce soit !

C’est l’effet BODY COUNT !
Même pas ! Tu sais, on joue ''Comfortably Numb'' en concert en ce moment. Et chaque soir, il y a une ribambelle de gus qui allument leur briquet ou la lumière de leurs téléphones et qui font des vagues hyper lancinantes. L’esprit BODY COUNT se perd, je te le dis ! (rires) 

Pas tant que ça, Ice est toujours aussi agressif au micro à en juger par ce que « Merciless » a à proposer...
Je le connais depuis le lycée. C’est la même personne. Je ne dirais pas que la vie ne nous a pas un peu assagi, mais dans le cas de Ice... (il marque une pause). Mec, Ice est un putain de ranger, il a fait l’armée, il a la rage, c’est le badass ultime. Il a toujours ce gamin du lycée en lui. Je le vois toujours. Il me ramène tout le temps à cette époque.


 

Qu’est-ce que tu ressens quand tu découvres ce qu’il écrit ? Quand tu l’entends chanter ? Que ce soit les anciens ou les nouveaux titres...
C’est vraiment très drôle que tu me poses la question. Il y a une semaine, je regardais une interview de Stewart Copeland et il redécouvrait tout le catalogue de THE POLICE, il décortiquait tout : son jeu de batterie, les placements voix de Sting etc... Et il n’arrêtait pas de dire à quel point Sting était un génie. Franchement, je vais te dire la même chose d’Ice. Je suis souvent bluffé quand je lis ce qu’il écrit. Et tu sais, il était, il est, et il sera pour toujours mon rappeur favori. Je connais tout de lui. Je vais à ses concerts de rap, je sais exactement ce qu’il va faire, à quel moment. Il sait comment rendre les choses (il réfléchit), comment tu disais toute à l’heure ? Digestes. C’est pas comme Busta Rhymes, je comprends rien de ce qu’il baragouine...

Comment as-tu vécu la réédition de « Forbidden » de BLACK SABBATH ? Tu étais le producteur sur ce disque !
J’étais très heureux, sincèrement. Tu sais, ce n’est pas un secret de dire que ce disque n’est pas le plus apprécié des fans de BLACK SABBATH. Parfois, on me taquine un peu à ce sujet. J’aime bien répondre : « Excuse-moi, combien d’albums de BLACK SABBATH as-tu déjà produit ? » Et là, c’est toujours le silence radio. Je suis tellement fier de cet accomplissement. Mec, j’étais en studio avec Tony Iommi, Brian May, Jeff Beck et Cozy Powell. Moi ! Un petit gamin noir qui vient de South Central Los Angeles. Je vois pas comment tu peux être plus accepté que cela dans le milieu du rock'n'roll ! Donc, « kiss my ass »

Tu n’as jamais caché ton admiration pour Iommi...
J’ai travaillé avec lui sur « Forbidden », ça a duré plusieurs mois, c’était incroyable. Il m’a fait mouiller la chemise comme jamais, crois-moi. Je crois que j’ai arrêté de produire car je n’ai jamais vécu quelque chose d’aussi fort que la création de ce disque. Tu sais, un jour il a débarqué dans le studio avec la guitare qu’il avait utilisé pour composer et enregistrer ''Iron Man''. Je le revois, il la pose dans un coin et il m’interpelle : « Hé Ern’ ! J’ai enregistré ''Iron Man'' avec cette gratte. Je la laisse là cette nuit, si jamais tu veux t’amuser. »

Tu n’as pas dû beaucoup dormir...
Je n’ai jamais autant posé devant un miroir, et j’ai joué ''Iron Man'' au moins quatre fois d'affilée avec un sourire gros comme ça. (rires). Il y a quelques temps, je l’ai vu présenter cette guitare sur le site de Guitar World je crois. Bref, je regarde la vidéo et je laisse un commentaire en disant : « Dire que j’ai joué sur cette guitare... ». Et là, une armée de rageux débarque, je me fais insulter etc... Tu sais comment sont les gens sur internet... Puis, d’un coup, un mec est arrivé et a simplement écrit : « Les gars putain, c’est Ernie C. Il joue dans BODY COUNT, il a produit BLACK SABBATH. S’il y a bien quelqu’un sur cette planète qui a pu jouer avec cette gratte, c’est lui. » (ndr : il éclate de rire pendant deux minutes).
 

Blogger : Maxime Archambaud
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