
THE GREAT OLD ONES fait partie des incontournables de la scène extrême française. Son black metal atmosphérique immergé dans le monde de Lovecraft est d’une richesse incommensurable et si le monde de Cthulhu est fascinant, sa musique est complètement envoûtante. Avec le nouvel album « Kadath », les Bordelais nous plongent dans le monde de Randolph Carter et La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue, une nouvelle énigmatique. C’est Benjamin Guerry, leader du groupe, qui nous gratifie de son éloquence pour nous raconter la genèse de ces nouvelles compositions.
Tu dois être impatient de parler un peu de ce nouvel album, « Kadath ». Cela fait un moment qu’on n’a pas entendu de nouveau THE GREAT OLD ONES, depuis « Cosmicism » en 2019.
Eh bien oui, cela fait bien longtemps, trop longtemps même ! Mais c’est la vie, c’est comme ça.

Pour quelles raisons s’est-il écoulé 6 ans entre les deux albums ? La COVID ? Les concerts ?
Oh, ça fait 5 ans, non ? Allez, 5 ans et demi depuis octobre 2019. Mais oui, la COVID est arrivée en mars 2020 donc, on a eu la chance d’avoir le temps de faire au moins une tournée française en tête d’affiche et ça, c’était chouette. Mais après, tout est tombé à l’eau comme pour tout le monde. On avait une tournée qui était bien calée mais qui a été reportée deux fois et qui finalement est passée à la trappe. C’est bien dommage. Après, il y a eu beaucoup de choses. Déjà, la reprise des concerts où l'on a eu pas mal de dates et ça, c’était plutôt bien. Ensuite, j’ai eu besoin de me poser pour composer, donc il a fallu que je prenne le temps. Après, il y a eu le ciné-concert aussi, qui nous a pris beaucoup de temps. C’était un projet qu’on a développé pendant la pandémie en se disant que si les concerts reprenaient assis, comme prévu, ce serait un bon modèle. Mais bon, on a mis tellement de temps qu’à la fin, les concerts normaux avaient repris. Finalement, on l’a quand même présenté 5 ou 6 fois, géniales, mais j’aurais aimé le faire beaucoup plus. Mais concrètement, c’était soit on se concentrait sur le nouvel album, soit on faisait le ciné-concert. Il était compliqué de mener les deux de front. Et puis aussi la vie personnelle a fait qu’il s’est écoulé un peu de temps depuis le dernier album. On a eu aussi l’envie de se renouveler et pas de faire le classique morceau post-black de base, essayer de proposer quelque chose d’un peu nouveau même si ce sera toujours dans la lignée de ce qu’on a fait jusque-là. On voulait proposer quelque chose dont on est vraiment fiers.
Mais vous pouvez être fiers de cet album car il est vraiment très bien ! On évolue toujours dans l’univers de Lovecraft mais il me semble qu’il y a une part de lumière aussi qu’il y avait peut-être moins dans les albums précédents...
Eh bien dans cet album, il y a clairement le thème qui joue car il s’agit de La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue qui sort du mythe de Cthulhu dans l’œuvre de Lovecraft et attaque le cycle du rêve. C’est une longue nouvelle, plutôt de fantasy mais quand même avec des éléments d’horreur. Et ainsi, il fallait qu’il y ait un aspect plus lumineux et aussi plus épique dans l’album. En tous cas, ça collait de ne pas faire quelque chose d’uniquement lourd, sombre mais qui amenait des émotions différentes. Ça reste du THE GREAT OLD ONES mais effectivement, plus épique et, sur certains passages, plus lumineux.
De ce fait, quelles ont été tes influences musicales lors de la composition de « Kadath » ? "La Quête de Kadath", c’est l’influence pour le thème, mais t’es-tu inspiré musicalement également ?
Pour préciser, la nouvelle n’intervient pas que sur les paroles et le thème global de l’album. Elle a aussi une influence sur la musique. Pour ce qui est des influences musicales, je suis resté beaucoup sur ce que j’écoutais déjà il y a longtemps. Après, j’ai été très influencé par ENSLAVED et je pense que ça peut s’entendre. Un peu plus que d’habitude. Ça reste l’un des groupes dont j’écoute vraiment toute la discographie, des premiers albums aux plus récents. Et notamment le dernier album, « Heimdal », que j’ai trouvé vraiment fantastique. Je pense qu’ENSLAVED nous a beaucoup influencés sur cet album. Après, il y a toujours mes amours de jeunesse : EMPEROR, MAYHEM dans une certaine mesure, avec toujours cette envie de créer une musique riche. La tendance de THE GREAT OLD ONES, c’est de composer un peu comme pour un orchestre, pas dans la même mesure mais ça reste une musique où il y a plusieurs couches, il faut l’écouter pas mal de fois pour se rendre compte des différentes subtilités.
Comment t’y prends-tu alors, car c’est toi qui composes la musique ? Est-ce que tu composes et joues toi-même des différents instruments ?
Il n’y a pas de recette secrète dans la composition. Je compose toutes les guitares, la basse et je programme la batterie. Après, la personne qui l’enregistre apporte beaucoup car je ne suis pas batteur et de temps en temps, j’ai envie d’avance, pas de passer du temps sur les rythmes, les breaks en détails. Je sais que mon batteur fera de toute façon bien mieux que moi. J’apporte la base, les intentions. Pour cet album, j’ai eu beaucoup d’aide, beaucoup de soutien de mes acolytes, notamment quand je bloquais. Ça m’a beaucoup apporté sur certains passages. Ils sont toujours très honnêtes avec moi. Ils me disent si ça leur plaît, car c’est essentiel que ça plaise, non seulement à moi mais aux autres musiciens aussi. On ne fait pas du grindcore, alors on n’a pas 40 morceaux sur nos albums. Il est donc essentiel que nous échangions pour trouver le parfait compromis entre ce que je propose et ce que pensent les autres membres. On veut des morceaux peaufinés à fond.
Comme les morceaux sont très longs, on a vraiment l’impression qu’ils sont comme des tableaux que tu présentes. Les auditeurs sont en immersion totale dans votre monde, musicalement, esthétiquement et émotionnellement également. C’est quelque chose que tu travailles ?
Ce n’est pas très réfléchi. Un jour, je me le promets, j’arriverai à composer des morceaux courts. Mais généralement, j’ai besoin de temps pour développer des atmosphères, laisser la place aux autres de poser leur sensibilité dessus. J’ai toujours eu envie de faire vivre un voyage et je vais faire un parallèle : un voyage peut être très intense mais quand on part en voyage loin, généralement, on est plutôt content d’y partir 1 mois plutôt que 3 jours. Eh bien, notre musique et nos albums, c’est un peu ça. Tu as besoin de t’imprégner des choses pour pouvoir vraiment ressentir les émotions, sortir de ton quotidien. On a besoin de temps pour immerger l’auditeur dans notre univers et celui de Lovecraft. Pour faire des morceaux courts, il ne faudrait pas sacrifier l’émotion et l’atmosphère... pas facile ! Pour l’instant, ce n’est pas possible. Ce n’est pas une bonne idée commerciale mais comme pour le premier single qui en est extrait, "Me, The Dreamer" qui dure 12 minutes, ça représente le démarrage de l’album. Il y a une atmosphère, et ce morceau justement passe de quelque chose de très épique à une deuxième partie beaucoup plus sombre, plus lente mais qui colle parfaitement au propos.
En effet, il est très représentatif de « Kadath », avec toutes les atmosphères que l’on peut retrouver tout au long des 7 morceaux...
C’est vrai. Après je pense que tous les morceaux auraient mérité d’être le premier single car ils sont tous très bons. Quand c’est un concept album, il est difficile de ne pas présenter le premier morceau en premier, c’est le début de l’histoire, il permet de rentrer dans l’univers. Ça semblait évident d’utiliser celui-ci pour présenter le nouvel album en tous cas.
D’autres sont prévus ?
Oui, deux autres sont prévus.
La moitié de l’album quoi !
Eh oui ! Et c’est d’ailleurs toujours une réflexion intéressante. On a généralement 6 ou 7 morceaux par album et on en sort 3 ou 4 avant, mais libre à chacun de les écouter ou non. Ça fait partie du circuit promotionnel, donc il faut pouvoir le présenter. Ça permet de réveiller un peu le suspense. On pourrait en faire 2 et pas 3 mais les choses font que quand tu commences ta promotion 3 mois avant, 3 singles, ça rentre dans les normes et ça permet à chacun de découvrir quelque chose. « Kadath » est long, un peu plus d’une heure, donc même en en présentant 3 extraits, il restera largement de quoi découvrir à la sortie de l’album.

L’album présente la quête de Kadath dont tu parlais mais est-ce qu’on peut aussi le considérer comme une métaphore pour la quête de l’Homme en général également, avec une sorte de parcours initiatique qui serait semé d’embûches afin de réaliser un rêve potentiel ? Et est-ce qu’on peut appliquer ça à l’industrie de la musique aussi ?
En fait, quand tu lis la nouvelle, ce n’est pas vraiment ce qui ressort. Je ne vais pas la spoiler, mais le personnage de Randolph Carter qui est considéré comme une projection de Lovecraft, est un personnage qui agit peu, en tout cas physiquement. Il ne se sent pas forcément à l’aise dans la société dans laquelle il vit et se réfugie dans le rêve. C’est une représentation de Lovecraft qui aurait aimé agir, il a voulu entrer dans l’armée à plusieurs reprises mais a toujours été rejeté, mais qui était un vrai littéraire. Ici, on est plutôt dans une obsession de l’idéal qui se retrouverait dans le rêve. Je ne sais pas si l'on peut l’appliquer au monde moderne. Peut-être que oui pour les musiciens, dans le sens où l'on veut toujours trouver un idéal, aller toujours plus loin. C’est un peu notre part de rêve à tous, artistes et auditeurs. Mais la finalité de la nouvelle est assez différente et d’ailleurs plus ancrée dans le réel que ce qu’on peut imaginer. Les rêveurs ont une place à part dans notre société, différente de celle de ceux qui sont très terre à terre. Dans le mythe de Cthulhu, les personnages ont cette facette de Lovecraft mais sont moins creusés. Ils deviennent presque secondaires par rapport à ce qui se passe dans leur vie. Alors que dans La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue, le personnage appelle souvent à l’aide et n’a pas toujours la main sur ce qui se passe, mais il a un côté plus intéressant psychologiquement que les autres personnages de Cthulhu. Il exprime ses peurs, ses angoisses, sa fascination. C’est un peu plus poussé, il n’exprime pas que la folie en tout cas. Il est plus humain, dans un monde plus lumineux que dans Cthulhu. La poésie y prend plus de place. Difficile d’en parler sans spoiler ! Lovecraft était une personne complexe, donc intéressante.

En parlant de complexité et d’aspect fouillé, la pochette de l’album est un chef-d’œuvre également. Tu peux nous en parler ?
Oui, l’artwork a été fait par un artiste polonais qui s’appelle Jakub Rebelka. Il est illustrateur de bandes dessinées et je suis un grand amateur de BD. Ce qui s’est passé, c’est qu’on a joué le premier ciné-concert à côté de Bordeaux au Seisach Metal Night et je devais faire une conférence juste avant sur Lovecraft dans la bande dessinée. Et ça faisait quelques mois que j’avais les yeux sur une BD qui allait sortir 15 jours plus tard, qui s’appelle Le Dernier Jour de H.P. Lovecraft. J’ai contacté l’éditeur et je lui ai demandé si je pouvais recevoir la BD pour la conférence. Il m’a répondu qu’il connaissait THE GREAT OLD ONES et que c’était d'accord. J’étais hyper content et je l’ai reçu deux jours avant la conférence. J’ai eu une espèce de révélation à ce moment-là et je me suis dit que je voulais que ce soit Rebelka qui fasse la pochette du prochain THE GREAT OLD ONES. Il s'est trouvé qu’il était en dédicace 3 jours après à Bordeaux au Krazy Kat, la boutique de BD dans laquelle je vais tout le temps. Je l’ai rencontré et je lui ai parlé du projet. On a beaucoup échangé par mail et voilà, il a proposé quelque chose de génial, de sombre, de différent, très illustratif mais abstrait aussi en même temps. Le retour qu’on a eu sur la pochette est d’ailleurs plutôt encourageant. Il semble que cela plaise.
L’esthétique joue de toute façon un grand rôle dans THE GREAT OLD ONES, c’est quelque chose qui vous caractérise aussi...
Oui, le visuel est important pour nous. On a la chance de travailler avec des artistes différents et c’est toujours un plaisir de voir comment ils s’approprient l’univers de Lovecraft. Chacun y apporte quelque chose de nouveau. C’est fantastique !
Il y a aussi la digibox qui sort en édition limitée, avec plein de belles choses dedans. C’est toi qui as choisi les objets qui y figurent ? Ils ont l’air d’être super bien travaillés !
Oui, on a beaucoup travaillé avec le label. Il fallait que ça reste littéraire, d’où la présence du marque-page, qui est en cuir vegan, je précise. Il y aussi ce pendentif, la clé d’argent qui prend de la place dans l’univers de Lovecraft car elle permet d’ouvrir la porte des rêves. On la retrouve dans plusieurs nouvelles du cycle du rêve, avec Randolph Carter. C’est assez cohérent. Et le coffret lui-même devait représenter le livre aussi, avec un personnage très évocateur.
Est-ce que tu nous parles un peu de la reprise en bonus de Jean-Michel Jarre, très surprenante mais très aboutie ? C’est très inattendu mais très THE GREAT OLD ONES aussi !
Bon, le principe d’un-bonus track, c’est pour l’édition limitée alors c’était décidé bien avant. Mais l’histoire de la reprise vient du fait que mes parents ne sont pas de grands mélomanes. Par contre, ils avaient un 33 tours du live que Jean-Michel Jarre avait fait à la suite de la sortie de l’album « Rendez-Vous ». J’ai écouté ce live des milliers de fois et il y avait ce "Second Rendez-Vous" ou "Rendez-Vous 2" que j’ai redécouvert il y a quelques années. J’ai toujours aimé ce morceau dramatique, plus proche de la musique classique ou baroque, avec un côté sombre, une fin chaotique. Je me suis dit que THE GREAT OLD ONES devait faire une reprise de ça, qui collait parfaitement à notre univers. Je me suis lancé dans la composition de cette reprise que tout le monde a trouvé géniale. C’est bien en bonus-track, c’est surprenant et ça fait un morceau supplémentaire mais qui est dans la continuité du reste.
Que peut-on te souhaiter pour cette nouvelle année ? De quoi rêve Benjamin Guerry ? Quelle est ta quête onirique ?
Oh, ma quête onirique ? Eh bien ce serait de voir le groupe grandir encore, de pouvoir faire de plus belles scènes. On arrive à amener notre atmosphère avec nous sur des petites scènes mais j’ai toujours trouvé qu’on était mieux sur les grandes. Comme notre musique invite au voyage, quand on a un show live plus poussé, plus ouvert, on arrive vraiment à emmener tout le monde avec nous. Je nous souhaite donc de pouvoir participer à de plus grosses dates, avec de plus grosses scènes pour vraiment faire voyager notre auditoire.
THE GREAT OLD ONES au Stade France ?
Ouais... alors il y aura un juste milieu à trouver. Mais la scène du Stade de France est trop petite pour l’espace. Il nous faudrait plutôt une grosse scène dans un environnement adapté. Quand c’est trop gros, tu passes ton temps à regarder des écrans. Ce n’est pas ce qu’on veut non plus. Mais bon, si on nous le propose...
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