
La Quête Onirique de Kadath l’Inconnue est une nouvelle du romancier torturé mais inspiré H.P. Lovecraft. Si l’horreur et le cauchemar y restent à l’honneur, elle se distingue du mythe de Cthulhu par son aspect fantasy et, comme son nom l’indique, onirique. Qui de mieux alors pour incarner cette sombre quête que les Français THE GREAT OLD ONES ? Grâce à ce cinquième album légitimement intitulé « Kadath », ils subliment le black atmosphérique en lui donnant du relief pour en faire une véritable musique immersive, où l’émotion se mêle à l’introspection.
Dès les premières notes de "Me, The Dreamer" et le cri torturé « Kadath ! », on sait que l’on plonge dans un univers chaotique mais duquel notre intuition nous réclame la visite détaillée. Aux riffs rapides et aux rythmes blastés s’ajoutent des mélodies épiques et des vocaux caverneux hypnotiques. La deuxième partie du morceau de presque 11 minutes est bien plus sombre et atmosphérique avec des dissonances fort à propos et des riffs cadencés. Difficile de faire plus riche et nuancé pour une entrée d’album. Un titre oppressant et puissant avec une dernière partie d’une splendeur lugubre imparable.
L’intro acoustique de "Those From Ulthar" nous emmène vers un morceau globalement plus lent, lourd et diaboliquement pénétrant. Cette sensation vient bien sûr d’une musique alternant passages arpégés et guitares cinglantes mais surtout ligne de chant mi-hurlés, mi-murmurés, qui mettent en valeur la finesse de la composition des morceaux de THE GREAT OLD ONES. On est dans de la haute couture et c’est toute une vie horrifique qui prend alors forme autour de nous.
Le plutôt court "In The Mouth Of Madness" et ses riffs accrocheurs, ses rythmes variés et ses passages clairs très aériens nous fait succomber à l’envie d’explorer la folie d’un monde vertigineux, infini. Le très black "Under The Sign Of Koth" est au contraire vif, violent, froid et insidieux. Les dissonances de la deuxième partie du morceau nous donnent autant de frissons que peut les ressentir Randolph Carter dans le roman de Lovecraft.
Les deux minutes instrumentales de "The Gathering" poussent ce sentiment à l’extrême avant la dernière pièce, le dernier chef d’œuvre magistral qu’est "Leng". On peut décemment parler d’apothéose pour nous, pauvres voyageurs, plongés dans le monde splendide du songe cauchemardesque. Alternant atmosphères mélancoliques, rythmes colorés, mélodies pleine d’émotions et riffs puissants, ce morceau nous permet de ressentir pleinement notre statut de rêveur imprudent. Nul besoin de hurlements d’outre-tombe de paroles growlées. Les instruments se suffisent à eux-mêmes pour exprimer la quête d’un inconnu incompréhensible mais dont on sait que la clé est en chacun de nous. Une fin théâtrale, majestueuse et d’une richesse incommensurable, dont les détails se révèlent à chacune des écoutes de ce « Kadath » juste parfait. Et « soudain, les nuées se dissipent et la lumière spectrale des étoiles se met à luire au-dessus de nous, tandis qu’au-dessous, tout est noir ». C’est exactement ça.
Ce vide intersidéral, on le retrouve enfin sur "Astral Void (End Of The Dream)". Avec ses parties vocales récitées, ses riffs dissonants et ses rythmes enivrants, on plonge dans un état second, à la sortie d’un rêve et l’entrée d’un cauchemar, entre sommeil paradoxal et sommeil profond, un état de grâce où le corps ne répond plus à l’âme, où la musique est comme la bande son de cette chute brutale dans l’au-delà, mystique et audacieux.
« Kadath » n’est pas simplement un album de black metal atmosphérique. Il est une expérience sensorielle unique qu’il faut vivre. THE GREAT OLD ONES a toujours fait preuve d’une inspiration immense mais on est ici bien au-delà de la maîtrise musicale. Lovecraft doit souffler directement à l’oreille du groupe ce qu’il souhaite pour magnifier son art. Précieux.