
L’année commence fort ! 2025 est à peine entamée que STICK TO YOUR GUNS, l’un des plus grands groupes du punk-hardcore, propose son nouvel album sans concessions : « Keep Planting Flowers ». Deux semaines plus tard, le 25 janvier, nous avons pu nous poser autour d’une table avec Jesse Barnett, chanteur et parolier du groupe californien afin de discuter de l’album, mais aussi du monde tel qu’il est en ce début d’année. Un échange sans filtre avec quelqu’un qui a des choses à dire !
« Keep Planting Flowers » est paru il y a quelques jours maintenant. Comment te sens-tu après avoir sorti cet album ?
Jesse Barnett : Très très bien. D’une certaine manière, pour beaucoup d’entre nous, c’était presque une nouvelle version du dernier. Non pas que nous n’étions pas fiers du dernier, mais il y a eu beaucoup de choses autour et de ce fait nous avions vraiment besoin d’une réussite. Et sortir cet album et de voir les retours positifs, c’est vraiment agréable, surtout après huit albums. Être capable de continuer c’est génial !

Bien que le son de l’album soit puissant et sombre, les paroles ont un message très positif. Est-ce que ça vous est venu naturellement, ou est-ce que c’était le plan dès le début ?
Je pense que c’est un peu là que STICK TO YOUR GUNS s’épanouit, dans cette sorte de zone. Car, tu sais, avec tout le nihilisme et le pessimisme qui existe dans le monde, et en particulier dans notre scène musicale, ce que je comprends, je me disais qu’on pouvait dire quelque chose qui, je trouve, n’était pas vraiment dit. En tout cas, pas par les gens que je voulais entendre le dire. Donc je ne sais pas, c’est difficile à dire, car avec le recul, ça semble si différent de quand ça s’est fait. Et je suppose que dans la manière que j’ai de travailler, je ne pense pas toujours aux paroles. C’est quand je reçois de la musique, ou quand je reçois en quelque sorte l’inspiration, parfois je vais écrire un mot ou deux, ou une phrase. Parfois je suis dans le bus, en tournée, je vais penser à un truc que je trouverai cool et j’écrirai la phrase. Mais plus tard, quand on travaille vraiment sur l’album, c’est le moment où j’assemble tout, donc je dirais que ce n’est pas vraiment sur le moment, mais je ne passe pas trop de temps sur une chanson car je pense que les artistes peuvent parfois se ralentir eux-mêmes, tu vois ce que je veux dire ?
Oui c’est un peu cette envie de sortir un chef d’œuvre comme "Let It Be" qui prend le dessus, alors qu’il faut bien sortir quelque chose en fin de compte.
Exactement !
J’ai beaucoup aimé une des chansons de cet album en particulier, "Keep Planting Flowers", qui a un message très fort : il faut amener quelque chose de positif pour le futur alors que tout semble sans espoir. Est-ce que c’est comme ça que tu vois la vie aujourd’hui ?
J’essaie. C’est difficile, tu sais. Et il y a une citation que j’aime suivre, d’un artiste de hip-hop chez nous qui s’appelle Sage Francis. Dans une interview qu’il a donnée, il a dit « ma musique est une meilleure personne que moi ». Et c’est ce que j’espère faire avec STICK TO YOUR GUNS, j’écris du point de vue de la personne que j’aimerais être, pas nécessairement de la personne que je suis aujourd’hui. Et donc, en particulier pour une chanson comme "Keep Planting Flowers", c’est une vague, c’est presque un rappel pour moi-même car je lutte tellement contre le désespoir, en me réveillant en me demandant quel est le but de tout ça, et si ça a vraiment une importance. Mais cette injonction presque militante de me réveiller chaque jour et d’essayer de créer quelque chose de beau et de nouveau, c’est presque méditatif, tu vois ?
C’est un peu comme un mantra, tu te dis que si tu le chantes chaque soir ça finira par arriver...
Exactement, ou en tout cas je peux inciter mon esprit à se dire « les choses peuvent changer ». Et actuellement, rester sans espoir ne semble pas utile. C’est tout ce qui importe pour moi. Être en vie, et vivre en société avec d’autres gens. Il faut que je sois utile, que je fasse en sorte de l’être, donc j’essaie de rejeter les choses qui ne me sont plus utiles, et d’accepter les choses qui peuvent me faire apprendre et grandir.
Comment appliques-tu l’idée de répandre la positivité, la compassion et la bonté dans le monde, et que dirais-tu aux gens pour leur faire comprendre que la bonté résoudra mieux la situation actuelle du monde que la haine ?
C’est un argument intéressant, car je crois vraiment que la bonté est une fonction innée humaine. C’est agréable d’être bon, et je pense que c’est quelque chose qu’en tant qu’humains nous devrions mieux écouter, car nos boulots, parfois nos écoles et les autres institutions, avec lesquelles nous devons interagir quotidiennement, nous disent de réprimer cette bonté. Tu ne peux pas réfléchir avec ton cœur, tu dois réfléchir avec ton cerveau. Et au final, je pense que ce qu’ils nous disent, c’est que la société est faite d’une manière si misérable que si tu n’écoutes que ton cœur et tes passions, si tu ne suis que ce qui te semble bon, tu vas te réveiller et réaliser que nos systèmes sont inhumains, non seulement pour nous, mais aussi pour tout le monde et toutes les choses qui nous entourent. Et, alors que je pense que la bonté est une vertu très importante, je pense aussi que dire la vérité en est une aussi importante. Je dirais que ça l’est encore plus dans un environnement aussi chargé politiquement que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Parfois, pour dire la vérité, nous devons trouver comment dire la vérité avec bonté. Car parfois, la vérité est difficile à avaler. Elle peut parfois passer comme négative. Par exemple, avec Los Angeles en feu, il y a beaucoup de raisons qui ont causé cette situation. Et de dire la vérité à un moment où tant de gens ont perdu tant de choses, ça peut être perçu comme de la négativité. Mais en réalité, il s’agit juste de dire « Regardez ce qu’on a perdu. Comment peut-on se protéger pour que ça n’arrive plus ? » Et je pense que le "reste du monde" le sait. Le modèle français est honnêtement un très bon début. C’est un mode de vie un peu plus socialisé, tu vois ? Pas socialiste, mais socialisé. Il y a un système de santé socialisé, des moyens de transport relativement peu chers pour que les gens puissent aller d’un point A à un point B avec peu de difficulté. Chez nous, à Los Angeles, tu ne peux aller nulle part si tu n’as pas de voiture, tu es coincé. Donc il y a des gens coincés dans des quartiers et qui ne peuvent jamais en sortir. Ils ne peuvent pas aller faire leurs courses dans des marchés pour prendre de la nourriture saine. Donc quand ils ont un régime de mauvaise qualité, ça les amène à l’hôpital, ça les rend malade et ça leur fait payer des factures de soins. La société américaine est si malade qu’elle fait en sorte que les gens échouent. Puis elle essaie de donner toutes ces petites astuces, alors qu’il ne faudrait pas qu’elle les prépare à l’échec pour commencer. Je pense que la bonté ultime est de réaliser ça, et de se battre pour une société dans laquelle les gens ne sont pas obligés de vivre dans la rue, et dans laquelle on ne devrait pas donner les meilleures années de nos vies pour rendre quelqu’un d’autre riche. On devrait pouvoir s’offrir le temps et les ressources pour décider de qui nous sommes en tant que personnes, pourquoi nous sommes là et tout ça. Les êtres humains font des choses géniales ! On a visité un sous-marin l’autre jour, et je suis abasourdi par ce que les humains peuvent accomplir ! Je ne parle bien sûr que pour moi, je ne connais pas assez la France et son histoire pour commenter. Je ne suis qu’un invité ici, et je veux être respectueux, mais en Amérique si tu es une personne brillante, tu auras un boulot dans une entreprise du domaine de la guerre, tu vois ? Ils vont te rendre très riche, et tu seras heureux. Mais si tu prends Albert Einstein, il a trouvé comment diviser l’atome, et on en a fait une putain de bombe, tu vois ? Donc j’aimerais que notre créativité ne nous emmène pas toujours vers le désespoir, mais plutôt vers l’ouverture et la compréhension.

J’ai aussi beaucoup aimé la chanson "Eats Me Up Inside", qui montre une contradiction entre le fait de vouloir aider et le fait de s’aider soi-même quand on est dans une mauvaise situation. C’est difficile de trouver le bon équilibre !
Oui, c’est difficile de concilier ça. J’adore aider, mais parfois j’aide jusqu’au point où ça me fait du mal, tu vois ? Et parfois, c’est comme trouver l’équilibre qui va avec tes limites. Il faut trouver la rigueur pour aider les gens de manière concrète mais sans être toujours épuisé. C’est difficile. Tu sais, avec ma librairie, mon centre communautaire et toutes les choses que je fais, je donne tant de temps et d’efforts aux gens, puis je rentre chez moi et j’apprends que ma mère traverse une mauvaise passe et je n’ai pas le temps d’aider, tu vois ? Donc parfois, en grandissant, on doit apprendre à prioriser ce qui est nécessaire, car on a une mentalité que le capitalisme nous a instillé : on n’a jamais le temps. Il n’y a pas assez de temps, donc on se dépêche encore et encore, en tout cas aux États-Unis, on n’est pas une société qui va lentement. Donc j’essaie de rejeter ça en ralentissant un peu, et en essayant de comprendre. Il n'y a pas besoin de tout accélérer et tu peux mieux aider les gens quand tu vas lentement, et quand tu es plus attentif à ce genre de choses. C’est une chanson très importante pour moi, je ne savais pas comment elle serait reçue car il y a un côté très mélodique, mais les gens ont l’air de vraiment aimer celle-là.
J’ai vu que les bénéfices des pass VIP que vous avez vendus pour cette tournée allaient aider les victimes des incendies de Los Angeles. As-tu une piste à donner à nos lecteurs qui voudraient aider aussi ?
Alors, déjà à travers ma librairie, car on fait beaucoup de programmes pour ça, donc donner à All Power Books pourrait être un moyen. Actuellement, tout le monde travaille à contrôler les feux, mais notre air est si toxique maintenant que la peinture des maisons, et tous les matériaux qui ont brûlé sont maintenant dans l’air. Donc il y a des rapports qui sortent et alertent sur le fait qu’on va devoir de nouveau porter des masques tout le temps, et tout le monde aura besoin de filtres à air. C’est une des missions principales de notre espace communautaire : trouver des filtres à air pour les gens, car tout le monde ne peut pas se les payer. Les filtres à air sont chers, tu vois ? Mais je pense qu’aider les gens à pouvoir se payer des masques ou des filtres à air serait le meilleur moyen d’aider. Il y a beaucoup d’organisations qui le font sur Los Angeles, et je suis sûr que vous pourrez les trouver. Mais je vais aussi profiter de cet instant pour parler de All Power Books, car on fait tout notre possible pour aider les gens avec ça. Merci beaucoup pour ta question !

